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Billet de blog 15 juin 2025

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Gaza : quand le CNB persiste à vouloir rater son rendez-vous avec l’Histoire

L’assemblée générale du Conseil National des Barreaux a adopté sa troisième résolution relative aux évènements en Israël et Palestine. À sa lecture, l’on se dit que le CNB aurait mieux fait de garder le silence. En s'abstenant d'adopter une position juste et équilibrée sur la situation humanitaire catastrophique en cours à Gaza, le CNB, s’enferme dans une posture à rebours de la défense d’un ordre juridique international. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le vendredi 13 juin 2025, l’assemblée générale du Conseil National des Barreaux, chargé notamment de représenter la profession d’avocat auprès des pouvoirs publics, a adopté sa troisième résolution relative aux évènements qui ont ensanglanté Israël le 7 octobre 2023 et continue encore et toujours d’ensanglanter Gaza depuis plus de 20 mois maintenant.

Cette résolution intervient dans un contexte sur lequel les membres du CNB ont opportunément choisi de rester silencieux, à savoir, d’une part, la rédaction d’un courrier en date du 28 mai 2025 émanant de plusieurs centaines d’avocats inscrits à un barreau français visant à interpeller la Présidente du CNB sur le silence de cette instance s’agissant de l’entreprise d’annihilation à l’œuvre à Gaza et, d’autre part et surtout, la publication le 8 juin dernier d’une tribune dans les colonnes du journal L’Humanité – signée à ce jour par 2025 avocats ! – visant à interpeller, cette fois, le Président de la République quant à son inertie sur ce même sujet.

A sa lecture, l’on se dit que le CNB aurait mieux fait de garder le silence dans lequel il s’est vautré depuis ses résolutions des 13 octobre 2023 et 2 février 2024.

En effet, le lecteur ne pourra qu’être profondément choqué, si ce n’est indigné :

  • tout d'abord par l’invisibilisation grossière et répétée des populations palestiniennes de Gaza à laquelle procède le texte de l’instance représentative.

        Alors que les « 55 otages israéliens » y sont expressément mentionnés, les victimes « palestiniennes » ou « gazaouies », ne sont, elles, évoquées à aucun moment ni dans leur identité propre ni dans leur nombre – plusieurs dizaines de milliers de morts sans compter les centaines de milliers de personnes physiquement et psychiquement marquées à vie – ni davantage du point de vue des agissements criminels auxquels elles sont ou ont été exposées.

        Rien en effet n’est dit sur le blocus, la famine, les bombardements ou tirs injustifiés conduits par l’Etat d’Israël sur ce territoire.

        Rien en somme sur la dignité meurtrie des populations civiles palestiniennes.

        Uniquement une simple « CONNAISSANCE PRISE de la mort de nombreux civils ainsi que des déplacements de population en Israël et à Gaza depuis le début du conflit ».

        Fermez le ban.

  • par la volonté ensuite d’instiller, quasiment à chacune des phrases, l’idée que nous serions en présence de deux parties belligérantes munies de puissances de frappe identiques, d’un côté l’Etat d’Israël, qui se revendique officiellement comme étant une démocratie – doté par ailleurs de la force de frappe nucléaire et d’un complexe technologique et militaire des plus sophistiqués – et de l’autre le Hamas, faction armée classée comme organisation terroriste par les Etats-Unis et l’Union européenne, responsable des massacres du 7 octobre 2023.
  • et enfin l’absence totale du moindre début de responsabilisation de l’Etat d’Israël, devant pourtant pleinement répondre de ses obligations au regard du droit international humanitaire et du droit international tout court.

        Bien au contraire.

        Il est fait état du « droit d’Israël à se défendre »… le jour même où cet Etat se livrait à des bombardements supposément « préventifs » sur l’Iran.

        Il est encore fait état du « droit d’Israël à se défendre » et, dans le même temps, de l’« indéfectible attachement [du CNB] aux principes fondamentaux du droit international humanitaire » et au principe de « proportionnalité », sans toutefois qu’à aucun moment le CNB ne ressente la nécessité de rappeler ne serait-ce que l’existence de :

        - l’ordonnance du 26 janvier 2024 de la Cour internationale de justice soulignant un « risque plausible de génocide » et ordonnant, en conséquence, à Israël notamment de « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention » autrement dit de tout acte constitutif du crime de génocide au sens de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide – et de « prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ».

        Ce alors que même la résolution du CNB en date du 2 février 2024 faisait état, à tout le moins – certes d’une manière on ne peut plus laconique –, d’une « CONNAISSANCE PRISE de l’ordonnance de la Cour internationale de justice rendue le 26 janvier 2024 ».

        - des mandats délivrés le 21 novembre 2024 par la Cour pénale internationale (chambre préliminaire I) contre l’actuel Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et l’ancien ministre de la défense israélien Yoav Gallant compte tenu de l'existence de motifs raisonnables de croire que ces deux personnalités sont chacun pénalement responsables « des crimes suivants, en tant que coauteurs ayant commis les actes conjointement avec d’autres personnes : fait d’affamer des civils comme méthode de guerre, constitutif d’un crime de guerre, et crimes contre l’humanité de meurtre, persécution et autres actes inhumains » ainsi que « en tant que supérieurs hiérarchiques civils, du crime de guerre consistant à diriger intentionnellement des attaques contre la population civile ».

En persistant à vouloir adopter des résolutions partiales et partielles, le Conseil National des Barreaux, organe censé être représentatif de la profession d’avocat, s’enferme dans une posture à rebours de la défense d’un ordre juridique national et transnational fondé sur le respect de l’Etat de droit et de l’égale dignité des êtres humains impliquant un attachement intangible au respect du principe selon lequel « une vie vaut une autre vie » (1).

Et s'abstenant d'adopter une position juste et équilibrée sur la situation humanitaire catastrophique en cours à Gaza et la responsabilité première de l’Etat d’Israël, le Conseil National des Barreaux échoue manifestement à incarner les valeurs d’humanité, de dignité et de conscience, gravées au fronton de la profession d’avocat (2).

(1) La Convention du Conseil de l’Europe pour la protection de la profession d’avocat, actuellement soumise à la signature des Etats membres du Conseil de l’Europe souligne, dans son Préambule, « le rôle fondamental des avocats et de leurs associations professionnelles dans la défense de l’État de droit, la garantie de l’accès à la justice et la protection des droits humains et des libertés fondamentales ».

(2) Fort heureusement le CNB n’a pas le monopole de la représentation de la profession d’avocat, si bien que le Conseil de l’Ordre du Barreau de Seine-Saint-Denis a adopté, le 10 juin 2025, une motion déplorant le silence du CNB et l’invitant solennellement à prendre une position « publique, claire et ferme, s’agissant des crimes perpétrés à l’encontre du peuple palestinien » dans la droite ligne des mandats délivrés par la CPI au mois de novembre 2024. Il va sans dire que la délibération du 13 juin 2025 ne semble aucunement répondre à la préoccupation exprimée par ce Barreau.

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