S. Degirmenci (avatar)

S. Degirmenci

Avocat

Abonné·e de Mediapart

5 Billets

0 Édition

Billet de blog 22 octobre 2023

S. Degirmenci (avatar)

S. Degirmenci

Avocat

Abonné·e de Mediapart

Liberté de manifestation : le péril Darmanin

Pour la deuxième fois en moins de sept mois, le ministre de l'intérieur, Gérard Darmanin, se voit démonétiser par la haute juridiction administrative de notre pays en raison des menaces qu'il ne cesse d'agiter contre l'exercice pacifique de la liberté de manifestation ou, pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel, contre le droit d'expression collective des idées et des opinions.

S. Degirmenci (avatar)

S. Degirmenci

Avocat

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour la deuxième fois en moins de sept mois, le ministre de l'intérieur, Gérard Darmanin, se voit démonétiser par la haute juridiction administrative de notre pays en raison des menaces qu'il ne cesse d'agiter contre l'exercice pacifique de la liberté de manifestation ou, pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel, contre le droit d'expression collective des idées et des opinions (1).

Illustration 1
© (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

En effet, par une ordonnance du 18 octobre 2023, le Conseil d'Etat, saisi en urgence par une association, a jugé que le télégramme du 12 octobre 2023, transmis par le locataire de la place Beauvau à l'ensemble des préfets de la République et visant à leur « rappeler », dans le contexte du regain d'hostilités dont le Proche-Orient est actuellement le théâtre ensuite de l'attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre 2023 et de leurs potentielles répercussions sur le territoire national, que « les manifestations pro-palestiniennes, parce qu’elles sont susceptibles de générer des troubles à l’ordre public, doivent être interdites », ne portait pas, « en dépit de sa regrettable approximation rédactionnelle », une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation et à la liberté d’expression. 

Malgré la victoire apparente du ministre de l'intérieur, le Conseil d'Etat n'a, pour parvenir à « sauver » l'instruction adressée au corps préfectoral, eu d'autre choix que d'en neutraliser le contenu et les effets attendus, en précisant que : 

  1. il incombait uniquement aux seuls préfets, compétents en la matière, - et non au ministre - d'interdire une ou plusieurs manifestation publique, dès lors que dans le régime de libertés publiques toujours encore en vigueur - mais visiblement inconnu du premier flic de France -, une mesure d'interdiction ne peut résulter que d'une appréciation effectuée au plus près par l'autorité préfectorale, qui apprécie « à la date à laquelle elle se prononce, la réalité et l’ampleur des risques de troubles à l’ordre public susceptibles de résulter de chaque manifestation déclarée ou prévue, en fonction de son objet, déclaré ou réel, de ses caractéristiques propres et des moyens dont elle dispose pour sécuriser l’évènement » ;   
  2. surtout et d'importance, que le choix d'un préfet d'interdire, sous le contrôle du juge administratif, une manifestation présentant un lien direct avec le conflit israélo-palestinien - au vu non seulement du contexte national précité empreint de tensions,  mais aussi des circonstances locales - et ce « quelle que soit du reste la partie au conflit qu’elle entend soutenir », ne saurait être motivé par « la seule référence à l’instruction reçue du ministre » ni par le « seul fait qu’elle vise à soutenir la population palestinienne ».

Si la décision ainsi rendue n'a rien d'étonnant compte tenu des règles précitées (2), le désaveu ainsi formalisé est cinglant pour le ministre de l'intérieur, qui certes n'a pas vu son instruction être suspendue pour vice d'incompétence - résultant de sa tentative de s'arroger ou de s'immiscer dans les compétences dévolues au corps préfectoral -, mais a tout de même fait l'objet d'une réprimande, à peine masquée, du Conseil d'Etat quant à la légèreté blâmable de son travail. 

Ce d'autant plus que ce n'est pas la première fois que le ministre de l'intérieur, Gérard Darmanin, se fait rappeler à l'ordre par la haute juridiction administrative et voit une des ses mesures ou annonces, en matière de liberté de manifestation, être neutralisées par le juge administratif (3). 

En effet, au printemps dernier déjà (4), le Conseil d'Etat avait pu, à l'occasion d'un référé engagé à l'encontre de déclarations du ministre qui avait affirmé, dans le contexte des manifestations alors en cours contre le projet de réforme du système des retraites, qu' « être dans une manifestation non déclarée est un délit » et que ce fait « mérite une interpellation », souligner le caractère « regrettable » de telles déclarations « en raison de leur caractère erroné », avant de considérer que les déclarations ministérielles n'avaient, en l'espèce, pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester et de se réunir.

Compte tenu de ce niveau de compétence ministérielle, il semblerait que l'adresse « Soyez fiers des amateurs » formulée le 11 février 2020 par le président Emmanuel Macron à l'attention des députés de sa majorité semble résonner encore aujourd'hui, y compris dans les rangs de l'exécutif. 

(1) Sur l'agitation tous azimut du ministre Darmanin, quelques suggestions de lecture : Depuis l’attentat d’Arras, le « one-man-show » de Gérald Darmanin, Ilyes Ramdani et Matthieu Suc, Mediapart, 19 octobre 2023 ; Gérald Darmanin, la stratégie de la surenchère, Antoine Albertini, Claire Gatinois et Julia Pascual, Le Monde, 21 octobre 2023.

(2) Le juge des référés du TA de Paris avait déjà pu rappeler, dans une ordonnance n° 2323391/9 du 12 octobre 2023, implicitement mais nécessairement l'impossibilité de toute " interdiction de principe de toute manifestation ayant le même objet ".  

(3) Nous n'évoquerons pas ici la décision n° 444849 rendue le 10 juin 2021 par laquelle le Conseil d'Etat a annulé plusieurs dispositions du schéma du maintien de l’ordre du 16 septembre 2020, parmi lesquelles celles relatives à la mise en œuvre de manœuvres d'encerclement de manifestants. 

(4) CE, ord., 29 mars 2023, n° 472440. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.