Car, par-delà le chaos bien réel qui s’en est suivi, un phénomène d’une inquiétante récurrence s’est imposé : des hommes politiques qui représentent l'ordre ont refusé tout dialogue avec des femmes politiques charismatiques qui symbolisent la rupture.
Dans l’entre-deux tours, Jordan Bardella a refusé le débat avec Marine Tondelier. La semaine qui suivait les résultats du second tour, Gérald Darmanin déclarait qu’il ne pouvait « pas accepter » un gouvernement avec les écologistes Sandrine Rousseau et Marine Tondelier.
TANT DE FERMETURE INTERROGE
Tant de refus de dialogue, tant de refus de coopération, interpelle.
Et nous fais donc nous poser cette question : la France aussi a-t-elle un problème avec les femmes ?
« Aussi » comme ces pays où leurs droits sont explicitement bafoués, où leur liberté n’est clairement que relative, où le taux de féminicide est au plus haut…
Question paradoxale car la France est prompte à s’enorgueillir des conditions de ses citoyennes. Ben oui, tout va bien pour les femmes dans l’Hexagone, non ?
Les femmes y occupent sans complexe absolument tous les champs de responsabilité possibles et imaginables, non ?
Voire.
Dans son actuel numéro d’été (juillet-août), Alternatives Économiques nous propose un épais dossier sur les 10 chantiers du féminisme : « Au lycée, les choix d’orientation restent très stéréotypés, ce qui a des conséquences sur les conditions d’insertions des filles. Ces différences se perpétuent tout au long de leur carrière, qu’il s’agisse de ségrégation professionnelle, de précarité dans l’emploi ou d’inégalité de salaire. Le partage des tâches domestiques est toujours en leur défaveur, ce qui contraint de nombreuses femmes à sortir du marché de l’emploi. Le tout se paye cash au moment de la retraite ».
Tout n’est pas vraiment rose en 2024 au pays d’Olympe de Gouges et de Simone de Beauvoir.
Mais bon, en apparence donc, les femmes françaises vont et viennent à peu près comme elles l’entendent dans ce pays, physiquement et socialement, qu’elles soient bien nées ou non.
Elles peuvent être chercheuses ou PDG, juges ou commentatrices de foot.
Et même chef de gouvernement.
Et même DG du FMI.
Si, si : tout cela est déjà arrivé.
Bon, pas encore Présidente de la République, n’en déplaise au visionnaire scénariste de la série Baron noir.
Nous ne sortirons pas de statistiques ici, ça pourrait gâcher l’autosatisfecit cocardier habituel sur ce thème.
Car avec cette double fin de non-recevoir, un constat moins évident justement s’impose : la société française a donné des limites implicites aux femmes. Son ouverture supposée, sa libéralité entendue… sont conditionnelles.
Attention au faux-pas, Mesdames : la sanction sera terrible.
Et les médias « chiens de garde » seront de la partie.
CAR IL EST UNE LIBERTÉ, UNE SEULE, QU'IL EST INTERDIT À UNE FEMME DE S'OCTROYER EN FRANCE.
Celle d’une remise en question radicale du système-monde dominant dans lequel nous vivons.
Si un homme le fait, l’opposition qu’il trouvera en face de lui sera sur le registre des idées.
Malheur, par contre, à la femme qui va sur ce terrain.
Le meilleur traitement qu’elle aura à subir sera le dos tourné, la porte close, comme avec les gentlemen Bardella et Darmanin.
Mais, il lui arrivera probablement bien pire, comme ce qu’a eu à subir Sandrine Rousseau lors des Primaires Écologistes de 2021, traitée de « Harpie » par Valeurs Actuelles et de « Greta Thunberg ménopausée » sur un plateau de CNews. Lorsqu’elle admit le résultat de ces primaires et son souhait de se mettre au service du nouveau patron, en l’occurrence Yannick Jadot, la palme du pire revint au tweet d’un certain Jérôme Godefroy : « C’est dans son rôle de femme soumise que je préfère Sandrine Rousseau. Elle sait jouer tous les rôles. » Autant d’insultes et de diffamations exemptes de toute forme d’impunité, cela interroge sur le concept impartial de répression et de justice en France.
Sur le terrain des idées, ce fut aussi tout en nuances : « Vous êtes le pendant exact d’Éric Zemmour » lui asséna un jour Natacha Polony. Avec l’élection de Jadot, Les Échos titraient de leur côté : « Primaire écologiste : l’âge de raison ».
La raison.
La raison et le système dominant.
La clé de cette violence autorisée à l’égard des femmes qui bousculent véritablement notre système-monde est bien là.
Car tout va bien pour les femmes qui sont considérées à la fois comme du côté de la raison et s’employant à nourrir le narratif dominant d’un système-monde entièrement dévoué à la défense des privilèges d’un petit groupe.
Tout va bien pour Christine Lagarde et pour Elisabeth Borne.
Tout va bien pour Nathalie Saint Cricq et pour Léa Salamé.
Tout va bien pour Natacha Polony et Caroline Fourest.
Caroline Fourest, vous savez, celle qui a cofondé un média au titre faussement anti-système Franc-Tireur, et à la baseline trompeuse « La raison est un combat ». Son principal projet éditorial étant de tirer à boulets rouges sur les extrêmes. Pourquoi pas si le projet est aussi celui du pas de côté et surtout de l'objectivité de cette raison invoquée. Reste que Caroline Fourrest classe LFI dans les extrêmes, confondant l’hubris d’un homme et la dimension réellement progressiste du programme LFI.
Pour rappel, le Conseil d’État dans sa note du 11 mars dernier maintient LFI et le PC dans le « bloc de gauche » et non l’extrême-gauche.
Mais maintient par contre le FN-RN dans l’extrême-droite.
Oui, le Conseil d’État lui-même : ce nid de baba-cools et autres écoterroristes, comme chacun sait. Information notamment relayée par ce fanzine anarchiste qu'est 20 minutes...
Elle est au courant la tenante de la raison ou bien est-elle complètement gagnée par la doxa dominante qui diabolise ce qu’il faut bien considérer pourtant aujourd’hui comme un vrai programme de gauche que n’aurait pas renié Mitterrand ?
Précisons qu’un des cofondateurs et chroniqueurs de Franc-Tireur n’est autre que Christophe Barbier. Je me souviens d’un édito de l’Express, dans un moment particulièrement tendu il y a quelques années (les subprimes ?), dans lequel il se disait, qu’au vu des difficultés économiques que traversait alors la France, un peu de solidarité de la part des citoyens français pourrait être bienvenue, par exemple sous la forme d’une renonciation à la 5ème semaine de congés payés. Oui, on sait de quelle raison Franc-Tireur est le défenseur. La raison du plus fort, la raison du plus argenté, la raison du bien né. La raison du libéralisme qui ravage socialement et écologiquement ce monde depuis son apparition à la fin du Moyen-Âge. Certainement pas la raison du « juste milieu ». Ou alors le juste milieu d’un centre-pas-mou, de gauche comme de droite, farouchement agrippé à ses privilèges de nantis.
Bref !
Tout s'est globalement bien passé pour Margaret Thatcher.
Et tout va bien même pour Marine Le Pen et pour Marion Maréchal !
Le FN-RN est bien évidemment au service du système, dans une approche plus volontiers passéiste d’un capitalisme de vrais seigneurs et de serfs placides. Et de Royaume fermé.
Le FN-RN, n’est pas contre l’immigration. Il lit les études démographiques comme tout le monde. Ce qui lui importe c’est l’invisibilisation de ces immigrés qui vont obligatoirement être requis pour nettoyer ses chiottes, vider ses poubelles, langer ses aînés.
Mais je m’égare…
MALHEUR DONC AUX FEMMES ACTUELLES QUI OSERAIENT VENIR S'ATTAQUER À LA MÉGAMACHINE.
C’est ainsi qu’est qualifié notre système-monde actuel par le journaliste-écrivain Fabian Scheidler dans son nécessaire ouvrage paru en 2015 : « La fin de la mégamachine ».
Avec pour sous-titre : « Sur les traces d’une civilisation en voie d’effondrement ».
Un livre qui constitue bel et bien une « clé de compréhension des désastres écologiques et économiques contemporains. Accuser Sapiens, un humain indifférencié et fautif depuis toujours est une imposture. Notre histoire est sociale : c’est celle des structures de domination nées il y a cinq milles ans, et renforcée par cinq siècles de capitalisme, qui ont constitué un engrenage destructeur de la Terre et de l’avenir, une mégamachine. »
Livre qui fait écho, entre autres thèse, à celle de l’historien Georges Duby Guerriers et paysans (1973), « vaste enquête sur le premier essor de l’économie occidentale entre le VIIe et la fin du XIIe siècle » dont il ressort que « l’élan de croissance a été animé, essentiellement dans une première phase, par les activités militaires dont l’aristocratie tirait alors les profits, et qu’il le fut, dans une seconde phase, par le labeur des paysans que stimulait le pouvoir seigneurial. »
Je reviendrai dans un prochain post sur la thèse des 4 tyrannies proposée par Fabian Scheidler : le pouvoir physique (les armes notamment), la violence structurelle (en particulier sous la forme du pouvoir socio-économique), le pouvoir idéologique et la pensée linéaire (le monde obéit à des lois de cause à effet).
Une chose est certaine, il y eut en occident une forme d’accalmie avec la chute de l’empire Romain. Une mise entre parenthèse provisoire du système monétaire et d’une administration militaire centralisée qui réveilla les aspirations égalitaires de communautés établies dans les marches des petits royaumes et des Cités-États en archipels. Ce n’était que répit provisoire, avant un nouvel essor du complexe monétaro-militaire dès la fin du Moyen-Âge, dopé par l’alliance entre capital commercial et mercenariat. Les Cités-États de Gênes et de Venise en locomotive : « avec la relance du complexe monétaro-militaire, les élites européennes ont réussi à faire peu à peu pencher la balance des rapports de pouvoir en leur faveur, parvenant ainsi à mater les mouvements égalitaires. » (La fin de la mégamachine).
CINQ SIÈCLES PLUS TARD, NOUS EN SOMMES TOUJOURS LÀ.
Les progrès sociaux les plus élémentaires n’ont été acquis que récemment, somme toute, et que très durement, dans le sang systématiquement.
Mais ceux-ci semblent marquer le pas, désormais.
La France se droitise, de l’aveu même d’un reporter de BFMTV, dans le contexte actuel de la résurgence de l’affaire Sarkozy-Takkieddine : « on nous dit tout le temps qu’on doit coller à la France. Et comme la France se droitise, on se droitise avec. On est prisonnier d’un système économique. »
Comme dans la série La Fièvre, il serait intéressant de voir, étape après étape, la genèse de la banalisation d’une doxa validée à tous les étages de la société. Il serait intéressant de voir pourquoi il est désormais communément admis qu’un programme de gauche digne de ce nom constitue… un danger pour la République ! Comment des journalistes carte de presse formés aux meilleures écoles, présentent sans sourciller les partis LFI et RN comme Charybde et Scylla.
À l'aune de la liberté d'expression, serions-nous actuellement dans une Terreur sans guillotine ?
Je précise ici que je lis la presse française dans son plus large spectre de sensibilités. D’opinions faudrait-il dire. Le journalisme des faits reste aujourd’hui l’exception… Pour l’économie, je lis donc aussi bien Les Échos, La Tribune, le Figaro qu’Alternatives Économiques. Je suis toujours surpris que des gens intelligents me disent que ce dernier est « orienté ». Les autres seraient donc du côté de la raison la plus objective ? Si peu de discernement, ou tant de naïveté, me laissent toujours perplexe…
Justice sociale, pouvoir d’achat et mieux vivre des plus démunis et des plus précaires, services publics redynamisés et accessibles, égalité femmes-hommes, écologie en acte, juste redistribution par une mise à contribution accentuée des superprofits…
La mégamachine ne veut surtout pas d’un tel programme.
Les hommes qui osent secouer devant elle de telles aspirations auront droit, au pire, à l’argumentation condescendante des politiques, journalistes et autres intellectuels acquis à sa cause. Mais les femmes...
CELLES QUI VONT SUR CE TERRAIN AURONT DROIT
AU PLUS BRUTAL DE L'AD PERSONAM
A Nice, aucun problème par exemple pour Christian Estrosi à insulter la conseillère écologiste Juliette Chesnel-Roux. Etrangement, il est impossible aujourd'hui de relire l'article que Nice Matin avait alors consacré sur le sujet : Conseil municipal de Nice : la petite bête qui embête Christian Estrosi
Marine Tondelier (Secrétaire nationale EELV), Claire Nouvian (Fondatrice de Bloom), Marie-Charlotte Garin (députée de Lyon)…
Aujourd’hui, des femmes engagées ont le gros défaut d’être charismatiques et habitées. Et de mettre ce « charme », cette aura, au service d’un projet véritablement égalitaire et/ou véritablement écologique. Nous savons tous comment ont été baptisées il y a cinq siècles, les femmes pouvant disposer d’un tel pouvoir.
Je pense comme Edgar Morin que les lectures matérialistes de l’Histoire sont réductrices. Fut-ce celle brillante et visionnaire d’un Marx, car elles négligent ce faisant la dimension symbolique de notre humanité : "La conception marxienne de l'homme était unidimensionnelle et pauvre : ni l'imaginaire ni le mythe ne faisaient partie de la réalité humaine profonde : l'être humain était un Homo Faber, sans intériorité, sans complexités, un producteur prométhéen voué à renverser les dieux et à maîtriser l'univers. Alors que, comme l'avaient vu Montaigne, Pascal, Shakespeare, Homo est sapiens demens, être complexe, multiple, portant en lui un cosmos de rêves et de fantasmes." (Où est passé le peuple de gauche ? L'aube 2021).
Thèse marxiste certes féconde, et de nos jours encore, mais troquant un messianisme (Le salut judo-chrétien) pour un autre (Le grand soir). C’est cette dimension sociomythologique qui manque à mes yeux dans l’approche horizontale de Fabian Scheidler.
Je lui laisserai malgré tout le mot de la fin dans sa pertinente lecture des fameuses chasses aux sorcières qui ont trouvé leur apogée au début des Temps Modernes et non au Moyen-âge, il convient de le rappeler : « L’historienne et sociologue américaine Silvia Federici défend l’idée que la chasse aux sorcières a été un moyen de briser les résistances sociales à la mise en place du mode de production capitaliste. Les persécutions ont effectivement eu un effet dévastateur sur la force de résistance des paysans. En incitant les gens à se dénoncer les uns les autres, elles ont divisé la population ; en diabolisant les femmes, elles ont creusé un fossé entre les sexes qui a profondément fissuré les familles ; et elles ont détruit les fondements culturels d’une vie paysanne qui était soustraite autant aux rituels de soumission de l’Église officielle qu’à la logique du travail salarié ».
L'Inquisition et la Terreur appartiennent au passé.
La Question et la Guillotine ne sont que de lointains cauchemars.
Mais les cerbères de notre système-monde montrent les crocs dès qu'une femme éclairée et éclairante ose s'en prendre à leur maître.
Et là, il faut bien constater que soit on les questionne avec hargne, soit on leur coupe le sifflet...
Je dédie ce post à Teresa Maffeis, cofondatrice d’ADN (Association pour la démocratie à Nice) et emblématique militante des droits humains dans les Alpes-Maritimes, qui nous a quitté le 4 février 2022.

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