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Billet de blog 4 juin 2018

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Elections législatives au Liban, business as usual ?

Appelés aux urnes le 6 mai dernier, 9 ans après les dernières élections législatives, les libanais ont largement sanctionné le Courant du futur de Saad Hariri et renforcé le Hezbollah. Depuis 2009, par trois fois et de manière anticonstitutionnelle, les députés libanais avaient prorogé leur mandat, en prétextant un contexte sécuritaire dangereux.

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Aujourd’hui, que déduire des résultats de ce scrutin ? Coup de tonnerre ou stabilité acquise pour ce petit pays du Moyen Orient, miroir angoissant des conflits de la région, jouant souvent la guerre pour le compte de ses puissants voisins ?

Un peu d'histoire

En 2005, l'assassinat de l'ancien premier ministre libanais Rafiq Hariri attribué au régime syrien de Bachar Al-Assad et les pressions internationales qui suivirent conduisirent au retrait définitif des troupes syriennes du territoire libanais où elles stationnaient depuis la fin de la guerre civile. Les élections législatives de 2005 et de 2009, les premières élections "made in Lebanon" sans interventionnisme étranger depuis la guerre civile, portèrent en tête la coalition dite du 14  Mars (parti sunnite de Saad Hariri avec les chrétiens maronites autour de Samir Geagea), pro-occidentale et pro saoudienne.

La réforme du système électorale

Depuis l'indépendance du pays du Levant (22 novembre 1943) caractérisé par sa grande diversité religieuse (dix-huit communautés religieuses officiellement reconnues), le système politique libanais est fondé sur le confessionnalisme qui partage les fonctions de représentation officielle (président de la république, premier ministre, président du parlement, etc.) entre les différentes communautés. Les 128 postes de députés de la chambre du Parlement sont également répartis entre ces communautés sur la base du dernier recensement de la population disponible, celui de 1932, donnant la part belle aux chrétiens qui étaient alors encore majoritaires dans le pays mais qui, selon les projections établies sur la base des indicateurs démographiques disponibles, ne le sont probablement plus à l'heure actuelle.

La nouvelle loi électorale adoptée en 2017 après des années de débat interne introduit certains changements :

  • Réduction du nombre de circonscriptions (26 à 15 "cazas") avec des tailles variables ;
  • Passage d'un scrutin majoritaire ("Winner gets all": le parti arrivé premier gagne toutes les places de la circonscription) à un scrutin à la proportionnelle ;
  • Introduction d'un vote préférentiel ;

Pour comprendre simplement un système électoral complexe, chaque circonscription se voit attribuer un nombre de sièges au Parlement, ces sièges étant ensuite répartis entre les communautés selon leurs poids respectifs dans la circonscription. Exemple : le caza de Zahlé (172 000 électeurs inscrits) doit élire sept députés, dont deux grecs-catholiques, un grec-orthodoxe, un maronite, un arménien-orthodoxe, un chiite et un sunnite. Pour ces élections, cinq listes pluri-confessionnelles se sont présentées, soit trente-deux candidats en lice.

Parmi l'ensemble des listes candidates, l'électeur choisit ensuite une des listes, dans laquelle il ne peut plus supprimer de noms, mais dans laquelle il doit désigner son candidat favori (ce qu'on appelle le "vote préférentiel"). Le seuil d'éligibilité (nombre de bulletins exprimés/nombre de sièges disponibles) sert à identifier les "listes gagnantes" entre lesquelles se jouera l'attribution des sièges de la caza, proportionnellement aux résultats obtenus. Au sein de chaque liste gagnante, la nomination des députés est établie en fonction des résultats du vote préférentiel pour chaque candidat, sous contrainte toujours des quotas confessionnels du caza.

Pour reprendre l'exemple du caza de Zahlé : 91 123 bulletins de vote ont été exprimés, ce qui détermine un seuil d'éligibilité à 13 018 votes. Sur les 5 listes candidates, 3 listes passent cette barre et sont donc gagnantes, se répartissant respectivement 2/2/3 sièges. Enfin, parmi ces 20 candidats appartenant à ces 3 listes, 7 sont choisis pour être députés, en fonction du nombre de votes obtenus par chaque candidat (tout en respectant les quotas du caza cités plus haut).

Ce nouveau mode de scrutin a le mérite de rapprocher un peu plus les libanais du "one man, one vote" mais renforce également paradoxalement les logiques confessionnelles : dans un pays si fracturé, le vote préférentiel induit dans la plupart des cas un recours au vote pour le candidat de sa communauté.

Les résultats du scrutin du 6 mai 2018

Malgré la possibilité offerte pour la première fois à la diaspora libanaise de voter, le taux de participation est resté faible, autour de 49 % des électeurs inscrits, taux qui est même en baisse par rapport au précédent scrutin.

Sur les 128 sièges disponibles, le parti de Saad Hariri, premier ministre sortant (Courant du futur - sunnite) arrive premier en totalisant 20 sièges, mais avec une perte de près d'un tiers de ses sièges au Parlement, tandis que la coalition formée autour du parti du Hezbollah (chiite), appelée la coalition du 8 mars pro iranienne et pro syrienne, gagne la majorité absolue des sièges du Parlement (70 sièges au total, dont 18 pour le Courant Patriotique Libre du président Michel Aoun, parti chrétien maronite, et 49 pour Amal, autre parti chiite, et le Hezbollah).

Le Hezbollah, agitateur ou gage de paix ?

Malgré des attaques systématiques portées à l'encontre de son parrain, l'Iran, sur la scène internationale et par les régimes occidentaux en particulier, le Hezbollah est sorti plus que jamais renforcé de ces élections libanaises. Déjà largement légitimé dans l'opinion publique libanaise par ses victoires militaires qui ont mis fin en 2000 à dix-huit ans d'occupation israélienne dans le sud du Liban, le Hezbollah a bénéficié d'une double dynamique : une montée en puissance depuis le début des années 2000 grâce à ses interventions militaires couronnées de succès (guerre  contre Israël en 2006, interventions en Syrie depuis 2012...), d'autant plus amplifiée par les revers essuyés du côté de la coalition du 14 mars depuis 2005 (défaites tactiques, mauvais choix). Toutes ces raisons expliquent la large victoire du parti aux élections.

Alors, le Hezbollah a-t-il obtenu la main mise sur le Liban ? 

Si la coalition du Hezbollah a de facto la majorité parlementaire depuis 2011 du fait du retournement d'alliance opéré par les Druzes de Walid Joumblatt, ces élections auront permis au Hezbollah d'obtenir la légitimité populaire qui lui manquait. Cependant, pour comprendre sa stratégie politique sans fantasmer les véritables enjeux de cette victoire électorale, il est nécessaire de concevoir le Hezbollah davantage comme un lobby que comme un parti politique au sens entendu du terme, dans la mesure où il laisse une large marge de manœuvre à ses adversaires sur les sujets dans lesquels il n'a pas d'intérêt direct (l'économie, les questions de politique interne, les affaires courantes...) mais surveille avec attention tout ce qui relève de l'appareil de sécurité de l'état libanais. En effet, le Hezbollah est entré en politique pour défendre les intérêts de l'organisation armée, la Résistance Islamique, créée pour résister à l'invasion israélienne de 1982 et dont il est le bras politique. Il peut donc s'avérer bloquant sur des sujets qui menacent directement son existence et qui mettent en péril son approvisionnement en armes par exemple.

Néanmoins, malgré cette  nouvelle confirmation du soutien populaire de son adversaire et la "déroute" électorale de son parti, le premier ministre sortant, Saad Hariri, a été reconduit à son poste (réservé à un sunnite) et l'ancien président du Parlement (obligatoirement chiite), Nabih Berri, réélu à la tête du Parlement pour un sixième mandat...

Rien ne change alors ? Terrorisé par les évènements régionaux et malgré une lassitude et une indignation croissante de la population face à la corruption endémique du système entretenue par ces vétérans de la politique indélogeables de leurs fonctions et se transmettant le pouvoir de père en fils à la manière d'un héritage clanique, le Liban repart avec les mêmes en croisant les doigts pour essayer de faire différemment pour les quatre ans à venir...

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