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Billet de blog 30 mars 2022

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Lettre ouverte au Président de la République

Emmanuel Macron a appelé les entrepreneurs français à bâtir une filière masques au service de l’indépendance sanitaire. Pour reconstituer le stock de l’État avec des masques importés à des tarifs prohibitifs, dont un tiers non conformes. Gaspillant ainsi plus de 100 millions d’euros d’argent public. Acculant à la faillite des industriels devenus aujourd’hui gênants et qualifiés d’« opportunistes »

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Lettre ouverte au Président de la République

Masques chirurgicaux : les fabricants français qui ne sont rien !?

Lettre à M. EMMANUEL MACRON, Président de la République

Monsieur le Président de la République,

Forts de notre connaissance des matériaux nontissés composant les masques chirurgicaux, nous avons répondu à votre appel depuis l'usine Kolmi-Hopen à Saint-Barthélemy-d’Anjou le 31 mars 2020 : « il nous faut aussi, et à mes yeux aujourd'hui avant toute chose, produire davantage en France, sur notre sol. Produire parce que cette crise nous enseigne que sur certains biens, certains produits, certains matériaux, le caractère stratégique impose d'avoir une souveraineté européenne. Produire plus sur le sol national pour réduire notre dépendance et donc nous équiper dans la durée ».

Nous avons relevé le défi et assemblé un outil industriel totalement opérationnel 100 % européen (et donc conforme aux normes en vigueur sur notre territoire) en moins de 6 mois. Ce qui, dans le temps industriel, et qui plus est dans un contexte où le savoir-faire des machines avait disparu d’Europe, est un record.  Certains ont été plus rapides, mais avec des machines chinoises non conformes au péril de la sécurité du personnel et de la qualité sanitaire des masques produits avec ces matériels.

Nous avons appliqué notre démarche qualité industrielle aux produits que nous fabriquons : performance de filtration de nos masques chirurgicaux supérieure à la norme applicable (EN14683 :2019), celle-ci étant insuffisante dans le contexte épidémique, et emploi de matériaux de standard exclusivement médical sans produits chimiques indésirables aux effets secondaires potentiellement toxiques pour la santé.

Le tout pour offrir aux citoyens français la meilleure protection possible ; pour que le Made in France ne soit pas une réplique du Made in China, condition sine qua non pour défendre une filière nationale sur le long terme.

Bien mal nous en a pris !

En plein assemblage de notre outil de production, nous avons découvert la position de votre Ministre chargée de l’Industrie, Madame Pannier-Runacher, exclusivement en faveur des masques sanitaires textiles, dans un entretien accordé au Journal du Dimanche le 9 août 2020. Ce qui nous a conduit à l’interpeler.

En effet, les avantages des masques textiles réglementés par l’AFNOR sont très contestables, tant sur le plan de leur performance de filtration, de leur coût réel pour les porteurs, que de leur empreinte écologique. Ces dispositifs, panacée utile dans un contexte de pénurie, sont significativement moins protecteurs, tests à l’appui, que les masques chirurgicaux dans un contexte d’épidémie causée par des agents infectieux à transmission aérienne.

En réponse à notre demande, Madame Lucile POIVERT, conseillère santé et biens de consommation auprès de Madame Pannier-Runacher, assistée de Monsieur Patrice LIOGIER, nous a accordé un entretien en visio le 14 octobre 2020. Ceux-ci nous ont en préambule informés que nous ne pourrions pas compter sur des commandes de l’Etat, celui-ci ayant déjà reconstitué le stock de Santé publique France pour une « longue période », essentiellement avec des « masques importés de Chine »…

Comment ne pas être médusé par cette situation ?

Vous avez donc fait un appel solennel pour développer une activité « stratégique » à vocation à s’installer « dans la durée » aux entrepreneurs français… qui découvrent 6 mois plus tard que l’Etat français n’a pas prévu de s’approvisionner auprès des nouveaux arrivants, cette « deuxième ligne » pourtant chère à vos yeux.

Comment votre gouvernement n’a-t-il pas songé à intégrer dans son plan d’approvisionnement des achats auprès des fabricants français qui ont mis les bouchées doubles pour répondre à votre appel ? Et qui ont lourdement investi pour cela.

Nous n’étions pas au bout de nos surprises ! Nous avons appris à l’issue de l’interview que Madame Pannier-Runacher a donné à France 2, diffusé lors de l’édition du JT de 20h00 le samedi 21 novembre 2020, soit 8 mois après votre appel solennel : « Le gouvernement espère aussi que les entreprises qui retourneront à leurs activités premières garderont précieusement leurs machines au cas où une pandémie surviendrait de nouveau ».

Le message de votre ministre était clair : l’aventure industrielle des nouveaux producteurs de masques était de son point de vue arrivée à son terme !

Comment ne pas être davantage sidéré par la posture de votre gouvernement ?

En tant que chargée de l’Industrie, Madame Pannier-Runacher ne peut ignorer qu’une ligne de production n’est pas une cafetière qu’on peut remiser dans une armoire pour la ressortir au gré de l’émergence de nouvelles épidémies. Et supposons un instant que les entreprises ayant diversifié leur activité d’origine avec la production de masques puissent, sans préjudice économique d’aucune sorte, stocker leur outil industriel, que va-t-il se passer pour celles qui ont créé ex nihilo une activité de fabrication de masques ? Et il y en a, Monsieur le Président.

Quelle désinvolture, encore, à l’égard des acteurs de « deuxième ligne ».

En sifflant ainsi la fin de la partie de la relocalisation industrielle de la fabrication de ces produits ayant fait défaut à la France au début de la pandémie, exposant nos soignants à la contamination, contraignant le pays au confinement et paralysant son activité économique, vous validez par l’entremise de votre ministre cette triste réalité : l’impossibilité pour les fabricants français d’être compétitifs sans le soutien actif de l’Etat face à la concurrence des pays producteurs à bas coûts, Chine en tête.

C’est un véritable gâchis. Il aurait pu en être autrement, pour le bénéfice de tous - l'État français, les citoyens et les industriels - si vos déclarations enflammées des jours de crise avaient été suivies d’une politique d’accompagnement.

Lors de notre entretien avec les collaborateurs de Madame Pannier-Runacher le 14 octobre 2020, nous avions suggéré deux pistes à creuser pour préserver cette filière « stratégique » dans la durée :

  • Développer un label qualité des masques Made in France afin de les différencier des masques importés qui, trop souvent, ne respectent pas la norme des dispositifs médicaux EN14683 :2019, laquelle est, nous le rappelons, par ailleurs insuffisante. Vos collaborateurs se sont engagés à nous mettre en relation avec d’autres fabricants de masques qu’ils savaient désireux de développer cette voie ; nous n’avons jamais été contactés. A contrario, quand nous leur avons expliqué les non-conformités majeures relevées sur des masques importés, ils nous ont donné la consigne suivante : « la prochaine fois que vous trouvez des masques non conformes, contactez-nous. Surtout n’en parlez pas aux journalistes »…
  • Donner la préférence d’achat du secteur public aux fabricants français, et notamment médical qui utilise des masques en dehors du contexte épidémique. Ceci afin de maintenir une capacité de production a minima économiquement viable qui serait boostée lors de rebonds épidémiques. Cette suggestion a trouvé une concrétisation tardive, le 14 janvier 2022, dans la parution conjointe par les ministères de Madame Pannier-Runacher et Monsieur VÉRAN d’un guide d’achat à l’intention des acheteurs hospitaliers : « Les masques sanitaires, des produits stratégiques ; bonnes pratiques et leviers d’action pour garantir la sécurité des approvisionnements». Reste à savoir quels en seront les effets sur les achats et s’il ne sera pas trop tard pour certains fabricants.

Les industriels français se sont donc heurtés de plein fouet à la concurrence asiatique qui permet aux distributeurs de proposer des masques importés à des prix de vente publics plus de moitié moins chers que le coût de revient en France. Les journaux ont rapidement titré sur « la gueule de bois » des fabricants français. Plusieurs producteurs ont mis la clé sous la porte dans l’indifférence totale. D’autres vont suivre avec la fin du port du masque obligatoire en population générale.

Pis, cela a généré des comportements peu vertueux de la part de certains fabricants de masques français. Ainsi, certains ont importé des masques et se sont contentés de les réemballer dans des boites avec un macaron « Made in France ». D’autres commercialisent des masques aux couleurs, voire motifs, fantaisie en s’exonérant de les tester. Ces produits sont donc potentiellement non conformes à la norme européenne, ceci en contravention avec les directives de l’ANSM : en effet, le certificat de conformité délivré par un organisme certifié pour un masque bleu, ne vaut pas conformité pour le masque noir commercialisé par le même fabricant. Pis encore, le président d’un syndicat de fabricants de masques français, F2M, faisant preuve de déloyauté vis-à-vis de notre profession en général, de certains de ses adhérents en particulier, est allé jusqu’à proférer des contrevérités sur les masques chirurgicaux aux dépens de la sécurité sanitaire, ce qui nous a conduit à faire une mise au point consultable ici. Mais le mal est fait. Comment ce président pourra-t-il réparer le préjudice de sa désinformation de la collectivité, au bénéfice de son intérêt personnel ?

Nous notons enfin qu’un fabricant de masques français a pu bénéficier de l’image de la Présidence de la République, sans que les conditions de l’attribution de cette distinction, fort utile en termes de communication, soient transparentes et équitables pour tous.

Ayant contribué à l’étude « Dynamique économique et réindustrialisation durable (DERIDE) des territoires » réalisée pour le Haut-Commissariat au Plan, dont le rapport a été remis à Monsieur François BAYROU le 12 janvier 2022, nous avons à cette occasion exposé en détails au Haut-Commissaire notre parcours qui nous semble emblématique de la problématique : « relocalisation industrielle en France : mythe électoral ou réalité ? ». Nous lui avons fait part de notre souci de voir se rejouer le scandale Plaintel – Honeywell, producteur de masques acculé en 2018 à la faillite par l’Etat qui n'a pas tenu ses promesses d’achats.

Nous avons à nouveau interpellé Madame Pannier-Runacher, par mail et courrier, le 10 mars dernier sur cette situation. Votre parole élyséenne et les travaux du Haut-Commissariat au Plan étant évoqués, nous vous avons adressé une copie de notre interpellation, Monsieur le Président, ainsi qu’à Monsieur Bayrou. Nous avons aussi mis en copie Monsieur Bruno LEMAIRE, celui-ci, ayant été saisi en 2018 par la société Plaintel - Honeywell, connaissant très bien les conséquences de l’absence de soutien de l’Etat à cette activité industrielle.

La réponse de votre gouvernement ?

Vous nous avez dépêché le collaborateur de Madame Pannier-Runacher, Monsieur Liogier, le chef de projet qui n’a pas jugé bon de nous recontacter en dépit de son engagement à le faire lors de notre échange du 14 octobre 2020 ; et aujourd’hui seul survivant de la cellule « Masques » de la Direction Générale des Entreprises (DGE) qui a compté jusqu’à 20 personnes.

Passons le fait que Monsieur Liogier avait surtout le souci de défendre auprès de nous le bilan masques de votre gouvernement. Ou le fait que « développer un label qualité, c’est compliqué ». Passons aussi le fait qu’il nous a informés que votre gouvernement ne pouvait rien faire pour nous, « pas en faire plus » (Plus que quoi au juste ?).

En revanche nous ne pouvons pas passer sous silence les faits ci-dessous que nous observions et qu’il nous a confirmés.

Le stock de masques de Santé publique France tout d’abord, qui a non seulement été complètement reconstitué dès l’été 2020, mais aussi surdimensionné (1 milliard de masques : 20% masques FFP2 – 80% masques chirurgicaux), tant et si bien que les prochaines commandes auprès des fabricants français ne pourront pas être passées avant la fin 2022, début 2023 !

Ce stock, composé essentiellement de masques chinois, a été acheté alors que les tarifs étaient les plus élevés, entre 40 et 60 centimes le masque chirurgical. De l’aveu même de la DGE, 30% de ces masques importés se sont avérés non conformes. Faisons un rapide calcul de la perte financière pour les seuls masques chirurgicaux non conformes : 240 millions de masques (1 Md * 0,8*0,3) achetés à un prix moyen de 50 centimes, soit 120 millions d’euros gaspillés ! Auquel il faut ajouter les millions d’euros dépensés pour les masques FFP2 non conformes.

Santé Publique France peut acheter auprès des fabricants français des masques chirurgicaux entre 6 et 8 centimes le masque. L’Etat aurait donc pu acquérir 240 millions de masques chirurgicaux conformes pour un budget maximal de 19 M€ au lieu des 120 M€ dépensés pour des masques inutilisables.  Les chiffres des économies qui auraient pu être réalisées pour l’ensemble du stock Santé Publique France donnent le tournis.

Cette situation est tellement sidérante que nous vous posons à nouveau la question Monsieur le Président : comment se fait-il qu’aucun de vos collaborateurs n’ait pensé à réserver une partie des achats de ce stock auprès des industriels qui ont répondu à votre appel du 31 mars 2020 ? Il n’y avait là que des avantages pour notre économie et sûreté sanitaire. C’était le moyen facile à mettre en œuvre pour pérenniser la filière française.

La pérennisation de la filière ? Parlons-en justement ! Car il semblerait que les dés soient quelque peu pipés.

En effet, votre gouvernement estime aujourd’hui qu’il suffira de « 10 producteurs, peut-être un peu moins, dont ceux qui étaient déjà présents avant la crise » pour garantir l’indépendance sanitaire de la France. Votre appel ayant suscité l’arrivée d’environ 30 nouveaux fabricants de masques en France, vous envisagez donc, sans ressentir la nécessité de mettre en place des mesures de sauvegarde, la disparition de plus de 20 industriels. Votre collaborateur nous a résumé la situation en ces termes : « les gens sérieux vont rester, les opportunistes vont disparaître ». C’est donc ainsi que votre gouvernement qualifie les entrepreneurs qui ont joué le jeu et que vous avez abandonnés ? Ceux qui ne résistent pas à la concurrence asiatique et à des pratiques déloyales ne seraient que des « opportunistes » ?! C’est indigne !

Les « opportunistes » seraient-ils ceux qui sont incapables de résister à une forme de sélection naturelle du marché ? Nous notons que tous les fabricants ne sont pas traités à la même enseigne. Ainsi le guide d’achat produit par les ministères de Madame Pannier-Runacher et Monsieur Véran privilégie les adhérents d’un syndicat en ces termes : « Le sourcing pourra être effectué auprès des producteurs de masques dont certains sont fédérés à travers le F2M (syndicat des fabricants français de masques) ». Ce même syndicat dont le président, en contravention avec toute déontologie professionnelle et vérité scientifique, a affirmé sur les ondes avant la publication dudit guide : « le masque chirurgical ne sert finalement pas à grand-chose ».

En adoubant ce syndicat au comportement trouble, votre gouvernement a créé une distorsion de la concurrence qui nous est préjudiciable. Il entretient aussi la cacophonie de désinformation qui perdure depuis le début de la pandémie, à tel point que certains de nos concitoyens en arrivent à être persuadés que les masques ne servent à rien. N’est-ce pas là faire échec par anticipation à une politique sanitaire avisée dont nous pourrions à nouveau tous avoir besoin ?  Combien de malades et de morts seront la conséquence de ces comportements irresponsables ?

Monsieur le Président, qui sont les « opportunistes » ? Ceux qui s’investissent avec éthique au service la sécurité sanitaire de nos concitoyens ? Ou ceux que vous soutenez pour pérenniser la filière et qui mentent éhontément pour leur bénéfice personnel ?

Si notre société doit disparaître, grossissant les rangs de ceux que votre gouvernement qualifie d’« opportunistes », nous continuerons de contribuer au débat citoyen sur la réindustrialisation de la France et la redynamisation de nos territoires. Nous porterons la parole des entrepreneurs français ruinés pour avoir cru en la sincérité du Président de la République de vouloir développer l’indépendance sanitaire « stratégique » de la France.

Si la France connaît une nouvelle pénurie de masques en raison de ce nouveau gâchis industriel, vous ne pourrez pas vous défausser de votre responsabilité. Nous serons là pour en témoigner.

La maison brûle. Que faisons-nous Monsieur le Président ?

Dans l’attente de votre réponse, veuillez agréer, Monsieur le Président, nos salutations distinguées.

Saint-Saviol, le 30 mars 2022

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