SABRINA LESAGE
Abonné·e de Mediapart

3 Billets

0 Édition

Billet de blog 8 avr. 2020

SABRINA LESAGE
Abonné·e de Mediapart

Lesbos: le problème, ce n'est pas le Coronavirus, le problème c'est Moria

Alors que les mesures de confinement sont mises en place sur l’île de Lesbos, il est surprenant de voir comment rien n’est prévu ni mis en place pour le point névralgique de l’île en cas d’épidémie de covid 19, à savoir le camp de Moria. Alors qu’il est interdit d’être plus de deux personnes dans la rue, plus de 20 000 personnes vivent entassées dans un camp prévu pour 3000.

SABRINA LESAGE
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Alors que les mesures de confinement sont mises en place sur l’île de Lesbos, il est surprenant de voir comment rien n’est prévu ni mis en place pour le point névralgique de l’île en cas d’épidémie de covid 19, à savoir le camp de Moria. Alors qu’il est interdit d’être plus de deux personnes dans la rue, plus de 20000 personnes vivent entassées dans un camp prévu pour 3000. Alors que le virus parcours le monde et les médias depuis des mois, aucune évacuation n’a été anticipée, aucun service de soins spécifique n’a été mis en place, ni aucun moyen supplémentaire développé que ce soit pour l’hôpital général de Mytilini, la capitale de l’île, ou pour les services de santé opérants à l’intérieur même du camp.

Pour les personnes vivant dans « l’olive grove », la jungle entourant le camp officiel, les points d’eau ne fonctionnent que 4 heures par jour: le matin, le soir ou l’après-midi, on se sait jamais d’un jour sur l’autre. Les distributions de savons relèvent d’initiatives individuelles tout comme le point de lavage de mains installé devant l’entrée du camp par une ONG: ni l’UNHCR, ni les autorités locales et gouvernementales ne semblent à même de mettre en place de si simples mesures d’hygiène et de prévention. Tant de diplômes et d’argents réunis pour rien.

Suites aux restrictions de circulation les rues de Mytilini sont vides et le harcèlement policier envers les personnes de couleur ou musulmanes n’en est que plus flagrant. Les personnes vivant à Moria doivent demander une autorisation auprès de la police du camp pour pouvoir sortir. Et seulement 100 personnes par heure sont autorisées à être à l’extérieur du camp en même temps et pas plus d’un membre par famille. Dur de savoir la réalité une fois encore sachant qu’aucun recours n’est possible en cas de refus. Le libre arbitre n’est pas loin. Les témoignages rapportent qu’il est dur d’obtenir cette autorisation, beaucoup n’essaient même plus ou pas, sachant que cela signifie encore de devoir faire la queue pendant des heures.

Il est clair que les mesures de prévention ne sont pas les mêmes à Mytilini et à Moria. Tout est organisé pour que les habitants de Moria sortent le moins possible du camp mais rien n’est mis en place concernant les restrictions de mouvements à l’intérieur même de Moria. En contraste avec Mytilini, les ruelles de Moria grouillent de personnes déambulant entre les lignes de boutiques, de ventes à la sauvette sur des tables à repasser ou sur des couvertures, les salons de coiffures, boulangeries artisanales et tout autre camelote pouvant rapporter quelques sous. Et puis à trois familles par tente il est difficile de garder les enfants à l’intérieur. Pour seule prévention, la police patrouille en allers et retours sur la route menant au camp pour appeler les gens à rester à la maison et à ne pas se regrouper. Quel cynisme! Comment respecter la distance recommandée d’1m50 minimum entre les personnes, alors que par endroit les tentes sont à touche touche, alors que les gens doivent faire la queue pour les repas mais aussi pour accéder aux toilettes, aux douches qui ne sont évidemment pas désinfectées entre chaque passage, ni même une fois par jour.

De nombreux témoignages de médics et de personnes vivant au camp convergent quant aux mesures prises pour faire face à toute éventuelle épidémie: aucun plan d’urgence n’est mis en place, et pire, aucune mesure n’est prise pour les personnes arrivant avec la fièvre et de la toux aux services de santé: les personnes se font prescrire quelques médicaments et renvoyer vers leur tente ou container ou cabane sans aucun test ni masque, ni autre rdv médical pour suivre leur cas.

Ne pas tester, pour ne pas voir. Voila le traitement politique du Corona virus pour le camp de Moria.

Parmi les initiatives privées, il y a eu plusieurs distributions de savons, de produits d’hygiène de base, de masques (1 par personne pour les quelques tentes bénéficiaires), la mise en place d’un point de lavage pour les mains en face du camp, des campagnes d’affichage pour informer les personnes. Mais aucune organisation générale ne garantie un accès à toutes et tous vivant à l’intérieur et dans la jungle. Pour les personnes vivant à l’intérieur du camp, leurs témoignages ne s’accordent également sur aucune mesure spéciale mise en place, ni distribution exceptionnelle de produits d’hygiène.

Une fois de plus les plus démunis, sont les plus oubliés de tout programme politique général et de tout programme politique de santé. Quant aux personnes solidaires et ONG, il leur est de plus en plus conseillé d’approcher de moins en moins le camp et les personnes y vivant afin de ne pas prendre le risque d’apporter le virus a l’intérieur: quelle belle opportunité d’isoler les personnes réfugiées bloquées à Moria et d’éloigner du regard tout ce qui se passe à l’intérieur de ce camp, destructeur par lui même de vies humaines.  Tout comme vivre à la rue, vivre à Moria tue tout simplement et ceci tous les jours de l’année: incendie, attaques, suicides, non prise en compte de maladies chroniques à pronostics vitaux et du paracétamol pour seul traitement, viols, trafics d’êtres humains, dépressions, oubli de soi même pour survivre à l’indignité…

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte