Ce 8 juillet 2025 signe la fin d’un parcours houleux d’une loi portant des coups de pieux sérieux aux avancées écologiques de ces dernières années. En lutte contre l’écologie punitive, l’agro-industrie s’est mobilisée comme jamais pour s’assurer le vote de ce texte.
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Une loi taillée pour l’agro-industrie.
Proposition de loi visant à lever les contraintes du métier d'agriculteur. Rien qu’au nom, les sourcils se haussent. Des contraintes ? Lesquelles ? Des mesures pour garantir un revenu de base pour les agriculteurs ? Des dispositifs limitant la concurrence internationale déséquilibrée prônée dans les accords de libre-échange ? Des mesures de protection sanitaire pour les agriculteurs, métier surexposé aux risques de cancers ?
De tout cela, il n’en sera rien. Dans sa proposition de loi, le Sénateur Laurent Duplomb a proposé même tout l’inverse. Réintroduction d’un néonicotinoïde, automatisation quasi-systématique de l’utilité publique des projets de bassines, tentative de contrôle politique de la seule autorité sanitaire contrôlant la qualité de notre alimentation, réautorisation du cumul d’activité de conseil et de vente pour les pesticides… Le projet législatif de cet ancien représentant de la FNSEA et ancien président des Jeunes Agriculteurs de Haute-Loire ressemble à s’y méprendre à un projet de super-vilain voulant faire prospérer l’exploitation à outrance des ressources et l’omnipotence de l’argent.
Après un parcours tumultueux, où à l’Assemblée nationale, nous avons pu voir un nouvel abus de la Constitution pour faire passer en force un texte, la proposition de loi initiale a été dépouillée de quelques articles dangereux. Par exemple, celui concernant la mise sous tutelle politique de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), avec une forme de droit de veto d’un ministre de l’Agriculture sur les travaux de cette agence.
Il y avait également, dans un autre article, la création de nouvelles « zones humides fortement modifiées ». Ces nouvelles zones auraient notamment permis d’avoir des constructions ou des installations ayant un fort impact sur le cycle de l’eau, sans que ces dernières doivent faire les démarches d’autorisation préalable. De quoi modifier durablement les plans de nos territoires pour dresser une avenue aux grands projets inutiles que sont les nouvelles LGV, l’A69 et bien sûr les méga bassines.
Si le texte sorti le 30 juin de la commission mixte paritaire est « moins fort » que le projet de loi initial, il ne fait aucun doute de la vision de l’agriculture portée par ses défenseurs : tout pour développer les complexes agricoles industriels, étouffer de pesticides des filières moins importantes comme la bio ou les apiculteurs, quitte à sauver 300 exploitants de noisettes… Il s’agit de la défense pure et crasse du modèle vulgaire des grands pots de fer contre les petits pots de terre.
Des syndicats agricoles aux partis politiques, une convergence des programmes
Nous n'avions rien à attendre d’un Sénat à la majorité très droitière qui a adopté sans sourciller cette loi. Il était cependant plus intéressant de s’attarder sur les prises de position de l’Assemblée nationale. Contre, tous les groupes de gauche, quelques dizaines de députés du centre pour un total de 223 voix. Pour, l’écrasante majorité des cinquante nuances de macronistes, la droite et l’intégralité du groupe Rassemblement National, pour un total de 316 voix. Une alliance de fait entre le centre et l’extrême-droite, donc, pour acter les premiers jalons de reculs sanitaires et écologiques au profit de l’économie.
Dans le détail des arguments, les différents orateurs des groupes habitués du salon Pujol dénoncent chez les députés de gauche et tous les opposants de ce texte cette idée si bien énoncée par Vincent Trébuchet, député du groupe UDR, le groupe d’Éric Ciotti, « une écologie de l’interdiction, une offensive assumée contre toute ambition productive ». Tout en expliquant leurs exploits « démocratiques » de compromis de gratte-papiers dans les salons clos de la CMP, chacun va de son commentaire pour démontrer le soulagement que cette loi apporte aux agriculteurs.
Un discours presque calqué des deux premiers syndicats agricoles du pays : la FNSEA, proche du macronisme et des libéraux, et la Coordination Rurale (CR), proche de l’extrême-droite. À commencer par Aurélien Rousseau, président de la FNSEA, qui s’exclamait dans un post LinkedIn : « Ce texte n’est pas un simple ajustement réglementaire. Il est le moteur législatif dont notre agriculture a besoin pour redémarrer. [...] Sans ce moteur, la machine restera grippée. Pire : nous laissons s’installer la régression. Moins de production, plus de dépendance, une perte de compétitivité face à des agricultures moins-disantes ». La CR quant à elle, suite aux amendements qu’avait apportés la gauche lors du premier examen de ce texte, demandait au gouvernement Bayrou de faire un 49.3 sur ce texte dans sa version sénatoriale.
On retrouve donc là un téléguidage de l’argumentaire porté par le syndicat de l’agro-industrie et son alter-égo poujadiste directement sur les bancs des droites. Pourtant, derrière l’urgence affichée, nous faisons face à une loi qui ne profite qu’à quelques exploitations seulement. Dans une intervention magistrale, la députée Manon Meunier décortique point par point les turpitudes d’un texte cisaillé pour « soixante-cinq élevages [bovins] sur 63 000 », pour épandre de nouveau de l’acétamipride sur 500 000 hectares. Un texte dont l’auteur lui-même, Laurent Duplomb, reconnaît que « cette loi ne s’adresse pas à tous les agriculteurs. En France, ⅓ des agriculteurs ont un chiffre d’affaires inférieur à 25 000 € par an. Ceux-là, ce ne sont pas des agriculteurs, ils vivent des aides. Ma proposition de loi, c’est pour les deux tiers qui produisent quelque chose. » Une certaine vision, donc, de l’agriculture.
À contrario de l’écologie punitive, développons l’agriculture punitive.
S’il est des termes qui s’imposent dans certains lexiques, l’écologie punitive a une place particulière à droite. Une écologie qui empêcherait de produire, de vendre, d’avoir une liberté économique réellement profitable aux seuls possédants de firmes agro-industrielles. Un discours internalisé sur les pesticides, qui est appris dès les débuts des néo-agriculteurs. Manon Meunier le reconnait dans son discours : « Quand vous avez utilisé un produit toute votre vie, que c’est ce que l'on vous a appris depuis tout jeune et que ce produit vous a réellement aidé à produire… Oui, c'est difficile de se dire que ce produit vous a rendu malade et qu’il va peut-être vous tuer. »
Car, au-delà des préoccupations économiques, l’enjeu est là : la santé publique. Avec des témoignages de compagnes d’agriculteurs atteints de cancers, de scientifiques du CNRS et de l’INRAE, la députée de Haute-Vienne, elle-même ingénieure agronome, a rappelé le rôle destructeur de ces produits pour la population générale et tout d'abord pour les paysans eux-mêmes. Benoît Biteau l’a résumé également plus efficacement dans une formule choc : « Les députés qui voteront pour la loi Duplomb sont des députés qui voteront pour le cancer ! »
Alors contre cet imaginaire d’un métier qui ne réfléchit plus qu’en productivité et en concurrence mondiale par le biais de mégastructures, changeons de mots. Déjà, la Confédération paysanne, principal syndicat agricole classé à gauche, a adopté depuis longtemps le terme de paysannes et de paysans pour désigner les travailleurs de la terre. Ne plus promouvoir le métier d’agriculteur, mais redorer le blason du métier de paysan. Soutenir une agriculture paysanne dont le principal but est de « produire pour nourrir, et non produire pour produire ».
Il est peut-être temps d’être également offensif et de dénoncer dès qu’il est possible « l’agriculture punitive », qui, au nom de la protection des intérêts économiques de quelques-uns, vient détériorer la santé de toutes et tous et l’environnement dans lequel on vit.
Oui, construire des mégabassines et les faire reconnaître quasiment d’office « d’intérêt général » est une mesure d’agriculture punitive, venant aggraver les capacités d’eau d’une nappe phréatique et la subtilisant à une gestion plus locale, plus commune. Oui, réintroduire l'acétamipride, qui conduit à favoriser le développement de trouble d’anxiété chez les êtres humains, en plus de réduire dramatiquement un nombre non négligeable d’espèces d’oiseaux, de poissons et de vers de terre, tous indispensables dans les équilibres biologiques de notre environnement, c’est une mesure d’agriculture punitive. Oui, rapprocher les activités de conseil avec les activités de vente de pesticides, pour renforcer l'irrésistible illusion que toute agriculture ne doit fonctionner qu’avec des pesticides, ces produits causant tant de cancers pédiatriques, oui, c'est une mesure d’agriculture punitive.
Le champ des affects négatifs ne doit pas être l’apanage des droites, et rien ne doit nous interdire de l’utiliser pour mobiliser sur des thèmes aussi graves que ceux de la santé et de la gestion de nos ressources naturelles. Le monde agricole n’est pas obligé de ressembler aux champs gigantesques de l’Eure-et-Loir, du Loiret, du sud de l’Île-de-France.
Le philosophe Jacques Ellul disait : « Lorsque l’homme se résigne à ne plus être la mesure de son monde, il se dépossède de toute mesure. » Gérer des quantités aussi grandes de terrain n’est clairement plus à notre mesure humaine. Imaginer que les exploitations agricoles doivent ressembler à des machines à cash devant faire au minimum 25 000€ de CA annuel, qu'elles soient imposées de produire pour vendre plus, n'est certainement pas à notre mesure humaine. Nos champs n’ont pas pour obligation de ressembler à des dizaines, voire des centaines d’hectares consécutifs de monoculture.
D’autres modèles agricoles sont possibles, un autre monde de production alimentaire est possible. Il ne tient qu’à nous de nous rassembler et de nous investir pour ne pas succomber aux discours larmoyants de cette agriculture punitive.
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