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Cette introduction, en changeant le contexte des derniers éléments d’actualités, pourrait être écrite tous les mois, toutes les semaines, voire tous les jours. Cet article aurait pu s’appeler aussi « Pourquoi j’ai décidé de ne plus m’informer ? », ou encore « Pourquoi je n’écoute presque plus les journaux ? ». Il pourrait, sans aucun doute, être écrit régulièrement d’une plume différente, tant le dégoût et l’impact des bulles informationnelles sur notre santé mentale sont devenus constants et contagieux.
Ce billet ne compte pas revenir sur ce qui a été dit très récemment par nos différents responsables politiques, mais espère donner à prendre un peu de recul pour voir que non, personne n’est fou, mais tout est organisé pour que l’on le devienne.
La fameuse ère de la post-vérité
Pour en redéfinir les contours, la post-vérité est définie par le fait que la parole et l’appréciation subjective des gens sur un sujet a plus de valeur que les faits qui caractérisent ce dernier.
À l’heure où est écrit ce billet, le mercredi 14 mai 20251, suite à plus de 5 heures d’audition du Premier ministre sur ses responsabilités et ses possibilités d’action concernant l’affaire Bétharram, nous découvrons, sur les chaînes d’information en continu, des bandeaux informatifs reprenant quasi-exclusivement des citations du chef du gouvernement, « satisfait » d’avoir pu « présenter des preuves » devant une « commission d’enquête à charge » pour « rétablir les faits ». Si l’on se contente de ce traitement médiatique, entre BFM TV et France Info, on pourrait croire qu’une méchante commission d’enquête a voulu nuire politiquement à un brave François Bayrou, qui n’a au cœur que le bien de toutes et tous, et qui a dû se défendre de calomnies qu’il subirait injustement depuis plusieurs mois maintenant.
Si l’on ajoute aussi l’interview très orientée du lendemain matin contre les deux co-rapporteurs de la commission d’enquête, il n’existe dans le discours médiatique ambiant qu’une volonté de nuire politiquement à un homme en tout apparat honnête et intègre.
Mais pour les braves qui ont regardé la commission d’enquête, on peut voir assez rapidement que ce tableau est loin, très loin de ce qu’il s’est passé réellement. Entre une commission d’enquête transpartisane, calme et précise dans ses questions, et un Francois Bayrou odieux, insultant envers la représentation nationale, il est facile de voir une autre histoire se dégager de ces longues heures d’interrogatoire.
Cet attachement à la parole des gens importants, on la voit partout, tout le temps. Sur le projet de LGV, localement, il suffit qu’Alain Rousset et Carole Delga décrètent que le projet ferroviaire est écologique et bon socialement pour qu’il le devienne. Il suffit que Gérald Darmanin dépeigne des militants écologistes en « éco-terroristes » pour qu’ils le deviennent. Il suffit au Président de dire qu’il n’est pas vrai que ses lois immigration ne comportaient pas de mesures du Rassemblement National, comme la préférence nationale, pour être convaincu qu’il ne reprenne pas un programme d’inspiration d’extrême-droite.
Il n’y a presque pas un jour sans une déclaration d’un responsable politique qui viendrait contredire une précédente prise de parole, et qui nous laisse avec l’impression amère d’être pris, tous les jours, pour des imbéciles. Mais pourquoi donc ? Pour le plaisir de nous prendre pour des imbéciles ? Pour se rattacher au pouvoir comme ils peuvent, en misant sur une surcharge sensorielle ? En misant sur une stratégie Trumpesque de toujours traumatiser les gens, en disant une énormité par jour ?
- Lundi, les enfants doivent penser à leur plan de carrière dès la maternelle.
- Mardi, François Bayrou n’était ni au courant, ni responsable de rien, quand il était en poste partout.
- Mercredi, on se coordonne pour critiquer bruyamment les pratiques verticales du principal parti de gauche en les dénonçant comme violentes, sans se poser la question des pratiques similaires au RN et chez Renaissance.
- Jeudi, on accuse les « juges rouges » de vouloir faire tomber Marine Le Pen, la « principale opposante » (il n’y a apparemment personne d’autre sur le champ politique.) à Emmanuel Macron.
- Vendredi, Gérald Darmanin assure que le parquet ira vite pour traiter l’appel (procédure normale dans un pays appliquant apparement la séparation des pouvoirs).
- Samedi, on laisse les fascistes défiler, mais on refuse aux antifascistes (le vrai danger) d’aller dans la rue.
- Et dimanche, on pourrait croire que l’on ait un peu de repos, mais non, le Pape est mort.
Il n’y a que le choc, la sidération, la colère, la résignation, puis le ressentiment qui nous guettent quand, quotidiennement, notre humble encéphale est exposé à tant d’absurdité. Car ce qui est insupportable et absurde, c’est qu’au regard du réel, du concret, du terrain, rien de la parole de nos responsables politiques ne colle à ce que l’on voit, ce que l’on entend, ce que l’on ressent.
Rien non plus ne colle aux études scientifiques qui, empiriquement, et en prenant le temps et le recul nécessaire, nous expliquent et éclairent, du mieux que ces dernières peuvent, à comprendre le monde et son fonctionnement.
1 - Cet article a été écrit entre le 14 et le 15 mai 2025.
Les échos de Guy Debord
Que doit-on voir et penser de ce vaste gloubi-boulga qui, volontiers, pollue notre cerveau quotidiennement ? Peut-être que des clés pour reculer et respirer sont à trouver dans l’intéressant, mais assez compliqué à lire, La Société du Spectacle de Guy Debord.
Considéré comme un classique dans certains milieux, ce livre offre un cadre théorique, pour essayer de penser tout le monde du divertissement,, et enfin comprendre comment tout est conçu pour nous rendre dingues.
Selon lui, la société est organisée autour de la production de mises en scène du réel et de représentations de rapports sociaux, qu’il appelle spectacles. Ce qui fait que nous ne chercherions pas à vivre avec des données réelles de notre monde, mais seulement avec des images de ces données.
C’est particulièrement frappant quand on fait la critique facile de réseaux sociaux comme Instagram ou Facebook, où les corps et les apparats sociaux donnent l’impression d’un monde meilleur derrière nos écrans de verre. Nos amis ont des corps magnifiques, des vies de rêves remplis de voyages, de sorties, d’amitiés supposées… Mais on ne voit jamais ces derniers galérer dans leur cuisine à faire cuire des pâtes un samedi soir à 22h, ni s’emmerder le matin au volant de leur voiture dans les bouchons, ou s’empaqueter comme des veaux dans le métro, ni prendre plusieurs heures le matin devant le miroir à essayer d’être présentable pour le reste de la journée.
Dans ce monde de représentations, Guy Debord écrit : « Le spectacle […] est l’effacement des limites du vrai et du faux par le refoulement de toute vérité vécue sous la présence réelle de la fausseté qu’assure l’organisation de l’apparence. » Autrement dit, nous vivons dans un univers où les apparences ont remplacé l’expérience directe.
Si l’on nous montrait chaque jour de belles pommes bleues, sans jamais savoir à quoi ressemblent réellement les pommes, nous finirions par croire qu’une pomme est naturellement bleue. Le spectacle agit ainsi : il refoule le faux, il organise le vrai et fait disparaître la possibilité même de confronter ce que l’on voit à ce que l’on vit. Dans cette société, on ne vit plus vraiment : on regarde ce qu’il faut croire.
Sauf que nous en sommes à un point où avec Internet, il est possible de voir et de vivre des expériences qui sont radicalement différentes de ce qu’on nous demande de croire. Quand on écoute BFM TV et son cadrage médiatique des affaires Sarkozy, et qu’on les met en parallèle avec le travail précis et pointu des journalistes de Mediapart, on est en situation de dissonance. Un trouble de la raison où, d’une part, il semble normal de considérer l’ancien Président comme un homme accablé par des accusations scandaleuses (si l’on écoute les chaînes d’infos en continu) et de l’autre la juste colère de voir une personne accéder aux places les plus hautes de l’Etat, en acceptant pour sa campagne l’argent ensanglanté du dictateur libyen.
Nous voyons bien, pendant les 5 heures de commission d’enquête, à quel point le Premier ministre est odieux, agressif et menteur face aux interrogations légitimes de la commission d’enquête parlementaire (tenue par des députés de tout bord politique). Et pourtant, on ne retiendra qu’un Premier ministre combatif et fier d’avoir pu défendre son bout de gras, qui a pu apporter des « preuves » (qui ne sont pas tant des preuves que ça) de sa non-responsabilité dans les actes entourant le drame de Betharram à la fin des années 90.
Il y a de quoi, pour notre cerveau, ne rien comprendre quand d’un côté les scientifiques sonnent l’alarme de l’alerte climatique depuis 50 ans et que, depuis tout ce temps, c’est business as usual. Il y a de quoi devenir fou, quand on nie encore la volonté génocidaire du gouvernement de Nethanyaou, alors qu’on voit depuis deux ans les convois humanitaires, les circuits d’eau, l’électricité bloquées et les populations palestiniennes déplacées et bombardées. Le nombre de situations qui peut nous rendre dingues, tant la dissonance entre le discours ambiant et le réel est énorme, qu’il est normal de se sentir désemparé, fatigué et démuni.
Contrer l’information massive et centralisée, imaginer l’information fédérée
Face à ce déluge d’informations souvent toxique, la tentation est grande de se couper complètement des sources d’information pour préserver sa santé mentale. Cette stratégie peut effectivement soulager temporairement, mais elle entraîne rapidement une déconnexion du réel. La réalité se réduit alors à l’environnement immédiat. Sans liens sociaux solides, ni engagement collectif ou associatif, cette bulle devient une nouvelle forme d’isolement, un spectacle narcissique qui renforce l’individualisme.
Or, pour briser cette spirale vicieuse, nous avons besoin de collectif et d’être informé. Mais cette information doit avoir une nouvelle forme. Il s’agit d’une idée en l’air dans un billet de blog, mais il serait peut-être temps, à l’image d’initiatives comme les Assises intergalactiques de la presse libre de se faire regrouper les médias indépendants, pourquoi pas de plusieurs pays du monde, et d’écrire une nouvelle Charte de Munich ?
Il est bien temps d’imaginer, à l’air où Internet centralise autour de grandes plateformes et renforce les phénomènes de gatekeeping (rétention des accès aux lieux de parole et d'expression) d’imaginer à quoi pourrait ressembler le journal de demain. Doit-on se couper des notifications et des fils infos, qui saturent nos cerveaux ? Doit-on recréer des agences de presse locales et avoir un retour du journalisme de terrain ? Ne faudrait-il pas développer un système de fédération d’informations à partir de structures coopératives, locales, qui remettraient l’accent sur ce qui est quotidien et concret, et qui ne chercherait pas à créer des panique morales à partir de rien ?
L’information, utile et vitale à notre fonctionnement en société, devrait être un commun. Avec elle, nous pouvons concevoir un monde qui a du sens pour tous, et non un monde qui n’a que des avantages pour une poignée d’élus et d’héritiers.
Le journalisme du spectacle n’a pour avenir que l’organisation du chaos à venir.
Vite, fédérons les fous du bus que nous sommes pour que l’on se construise un bel avenir.