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Billet de blog 1 juillet 2024

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La gauche en milieu rural, quelle stratégie contre la montée du RN ?

Alors que le Rassemblement National atteint des scores vertigineux dans les campagnes, la gauche peine à s'implanter dans la ruralité et le péri-urbain où l'imaginaire du parti des Le Pen perdure. Pistes de réflexion sur cette situation.

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Illustration 1

Le constat de la vague brune.

Un coup de massue pour beaucoup, un scénario pas si impressionnant pour d’autres. La vague brune qui touche le pays n’est, dans tous les cas, pas le fruit du hasard. Entre la sûre et lente dé-diabolisation des idées d’extrême-droite depuis Nicolas Sarkozy, Manuel Valls et maintenant, depuis 7 ans, Emmanuel Macron; puis avec la création de méga-groupes médiatiques, avec un milliardaire qui peut à lui seul tisser à loisir un imaginaire où la peur, la xénophobie et le repli sur soi forment une base de pensée, on ne s’étonne pas de la réélection directe au 1er tour de 39 députés du RN.

Un quasi 5/5 dans le département de l’Aisne, 12 circonscriptions sur 12 avec 6 élus directs dans le Pas-de-Calais, 2 députés élus sur 9 circonscriptions en Moselle, le reste du département avec des candidats RN en tête… La liste est longue. Il suffit de regarder les 39 circonscriptions où la vague brune a tout submergé et les territoires autour pour y voir un motif : la ruralité et le péri-urbain jettent leur dévolu aux candidats du parti des Le Pen. Toute la ruralité ? Non, me direz-vous, il existe quelques poches où le RN ne perce pas autant qu’ailleurs, comme en Bretagne, dans le bassin des Pyrénées Atlantiques, ou dans une ceinture allant du Limousin au Puy-de-Dôme.

Illustration 2
Capture d'écran du site du journal Le Monde, carte des nuances en tête lors du premier tour des élections législatives © Le Monde

Si ces poches de couleurs font croire à une forme de résistance dans ces lieux, elles ne montrent pas à quel point le RN a progressé dans ces zones. Et cette fois-ci, difficile de se cacher derrière l’abstention, quand le taux de votants a drastiquement augmenté entre 2022 et aujourd’hui.  Par exemple en Gironde, en 2022, le RN est arrivé en tête dans 2 circonscriptions sur les 12 du département. Ce sont, d’ailleurs, les 2 circonscriptions qui ont donné 2 députés au groupe de l’extrême-droite. 2 ans plus tard, seule la métropole Bordelaise est épargnée, et toute la ceinture rurale et péri-urbaine du département mettent en tête les candidats soutenus par Jordan Bardella. La 11e circonscription, zone réputée comme étant un exemple de territoire abandonné par les politiques publiques, fait réélire dès le premier tour la députée sortante Edwige Diaz. On assiste donc à un choix consenti pour des milliers de personnes et la question qui se pose : « Pourquoi ? ».

La gauche en difficulté dans la ruralité

Pourquoi a-t’on cette sensation, depuis 2022 et le rééquilibrage des forces de gauche, que les milieux ruraux et péri-urbains sont peu à peu délaissés, au seul profit des quartiers populaires et de la jeunesse ? La campagne serait imperméable à des programmes de rupture ? 2022 nous a d’ores et déjà démontré le contraire, avec des élections où Marine Le Pen était arrivée en tête aux présidentielles et des candidats étiquetés LFI ont remporté leurs scrutins. On peut penser à François Ruffin dans les terres de la Somme, mais aussi à Catherine Couturier dans la Creuse, ou à Caroline Fiat en Meurthe et Moselle. Toutes ces terres, qui ne sont pas traditionnellement acquise à la gauche ont pu être gagnées sur un programme de rupture, qui dérive fortement du modèle de société d’aujourd’hui.

Mais voilà, 2 ans après leurs élections en 2022, ces 3 candidats sont en ballottage défavorable dans chacune de leurs élections. Pour l’un on entend déjà une musique qui accuse le picard d’abandonner une ligne radicale et une forme de « traitrise » de la part de Francois Ruffin. Pour Caroline Fiat et Catherine Couturier cependant, il s’agit de candidates qui étaient pleinement soutenues par le mouvement et même mise en avant ou à des postes à responsabilités. Alors pourquoi tant de difficultés ?

L’une des premières réponses, et peut être la principale, c’est le tabassage médiatique constant et permanent en faveur d’un arc allant de Macron à Le Pen. La série YouTube « Rhinocéros » d’Usul et Lumi sur Blast est une bonne ressource pour constater à quel point les grands médias bourgeois font tout pour : 

  1. Diaboliser la figure de Jean-Luc Mélenchon
  2. Ramener tous les sujets liés à la gauche à Jean-Luc Mélenchon
  3. Ne jamais parler des mesures programmatiques qui ont fait 22% aux présidentielles et qui constituent aujourd’hui une grande majorité du « contrat législatif » du Nouveau Front Populaire
© Libération

Car quand on ne parle pas de Mélenchon dans nos campagnes, et j’ai pour expérience directe la campagne des législatives de 2022 où j’ai été candidat en Gironde et où effectivement l’ancien candidat avait une aura repoussoir dès lors qu’on prononçais le mot « gauche », on arrive à convaincre. Quand on parle concrètement des mesures pouvant être mise en place dans les premières semaines et les premiers mois d’une gouvernance de gauche, comme la fin de la retraite à 64 ans, l’indexation des salaires sur l’inflation, etc… On arrive à convaincre ! Quand on parle de l’aménagement du territoire, du fait qu’il est débile de tout concentrer dans les villes et de vider les campagnes de leurs services publics scolaires, hospitaliers et de transport, on arrive à convaincre.

Mais pour convaincre, on a besoin de temps. Dans une campagne de plus de 5 semaines après les présidentielles, oui des personnes comme François Ruffin, Catherine Couturier ou Caroline Fiat ont le temps de convaincre des gens. Dans une campagne de 3 semaines, au sortir d’une élection européenne ou le RN n’a jamais été aussi haut et où le tabasse médiatique anti-NFP est constant, il est plus dur de se dépatouiller des nombreux mensonges proférés par le camp présidentiel, le camp Le Pen et la masse médiatique bourgeoise. Alors oui il y a des paroles programmatiques fortes, avec un ton fort, qui fonctionne chez la jeunesse et les quartiers populaires. C’est d’ailleurs dans ces territoires que nous avons un nombre impressionnant de réélection au premier tour de ces législatives (Paris-Est, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Lyon….). Mais ces paroles n’ont pas la même efficacité à Coutras, Bazas, ou Abbeville. 

S’adoucir comme le PS, une solution ?

Cela doit-il signifier qu’il faut se « soc-démiser » parler avec un programme moins ambitieux et revenir sur des paroles moins fortes, et un programme plus doux ? Prenons l’exemple de la 9e circonscripton de Gironde, celle où je me suis présenté en 2022. La stratégie employée par la candidate a été claire dès le début : se concentrer sur des lieux avec une densité de population plus élevée et une sociologie plus « citadine ». Une grande campagne a donc été menée, sans les autres forces politiques de gauche, avec un effacement du logo Nouveau Front Populaire, de peur d’être trop attaché à l’image de Mélenchon, avec un matériel électoral faisant peu voire pas référence au programme du NFP, faisant même disparaître tous les logos des partis… Le résultat sans appel d’une 3ème place derrière la députée sortante et surtout derrière le candidat du RN qui a gagné près de 15 000 voix par rapport à 2022 montre que cette stratégie n’assumant rien est perdante.

Quand les gens ont besoin de changement radical lorsque le poids de la vie les étouffe, on ne peut pas seulement proposer une réponse issue de la réthorique qui a accompagné la campagne de Raphaël Glucksman pendant ces Européennes. Continuer, comme la presse bourgeoise, à se cacher derrière l’épouvantail Jean Luc Mélenchon, pour dériver vers un programme plus proche du social-libéralisme et rappelant le mandat de François Hollande, ne fera jamais gagner la gauche en milieu rural et péri-urbain. Comme une redite d’une vieille stratégie Terra Nova qui a déjà échoué, s’adoucir dans le fond pour abandonner l’électorat populaire citadin et rural est une bêtise sans nom. 

La France des tours, la France des bourgs

Alors maintenant la question se pose, comment avancer à gauche tout en continuant de proposer un programme ambitieux, de rupture* (*rupture de nom car le programme qui a fait 22% aux présidentielles reste un programme de gauche réformiste moins ambitieux que le programme commun de 1981) ?

Est ce qu’on mise tout sur la stratégie que Jean-Luc Mélenchon et Manuel Bompard mettent en avant au travers de la France Insoumise ? C’est à dire, se concentrer pour mobiliser les quartiers populaire et la jeunesse ? Quartiers populaires qui, ici, sont principalement situés en milieux citadins, stratégie confirmée par Manuel Bompard lors de la présentation du travail de Thomas Piketty et Julia Cagé ( https://www.youtube.com/watch?v=_JCLv3gPhQ0 ) sur les classes géo-sociales ? Cette stratégie politique abandonne sciemment les milieux ruraux et péri-urbains. Alors que le programme porté, l’Avenir en Commun, comporte de formidables mesures pour une autre forme de ruralité, les axes de communications ne sont tournées que vers des milieux citadins et des problématiques difficilement déclinés profondément dans les territoires.

Comment parle-t’on de la désindustrialisation d’une partie de notre pays ? Comme dans les Hauts-de-France, ou en Bourgogne ? Comment parler d’agriculture aux agriculteurs qui nous prennent pour des extrémistes anti-ruraux, ou des écolos bobos déconnectés de la vraie vie des gens (sous-entendu la leur)? Comment défaire le terreau culturel sur lequel le RN s’implante et prospère depuis maintenant plusieurs années, grâce à un dopage régulier de pesticides toxiques de médias, livres et autres contenus culturels bolorisés ? 

Il y a des coins où un travail de terrain, un travail de fourmi est réalisé. Il suffit de voir la Haute-Vienne, là où le PS s’effondre face à la montée du RN, Manon Meunier et Damien Maudet résistent grâce à un travail de deux ans sans relâche dans leurs circonscriptions, où les rencontres et la présence sur le terrain à été immense. Leurs circonscriptions sont d’ailleurs de formidables exemples de la mise en application de la méthode Ruffin qui cherche maintenant à réconcilier « la France des bourgs et la France des tours ».
Avec des actions qui changent concrètement la vie des gens, en les impliquants dans des projets locaux, comme avec la campagne menée par Damien Maudet dans les quartiers de Limoges-Beaubreuil, ou en allant voir des boulangers faire le pain à 2h du matin dans une petite commune dans la campagne limougeaude. Avec un réseau de militants actifs et un maillage fin du territoire. Bref, comme un déjà vu de l’ambition d’Action Populaire et des débuts de la France Insoumise, où l’action se construit par la base et la décision politique se décide tous ensemble.

Une suite pleine d’espoirs

Si aujourd’hui nous ne pouvons qu’entrevoir une instabilité politique à venir, il faut y voir aussi un formidable moment d’espérance, qui nous permet, dès maintenant, de construire les piliers culturels de la société que nous voulons pour demain. Ces séismes à répétition depuis 2017 n’ont pas fini de déplacer les plaques de notre paysage politique. Chantal Mouffe parle dans ces travaux sur la démocratie de la bataille pour l’hégémonie culturelle. Chaque République repose sur une fable, une histoire commune qui partage un certain nombre de valeurs.

Nous avons déjà comme devoir de faire en sorte que les valeurs majoritaires qui sortent ce dimanche soient celles du partage, de la vie en commun, de la justice sociale et surtout de la volonté d’en finir avec ce système économique qui nous fait cracher du sang. Mais ce que nous pouvons construire désormais, c’est un maillage du territoire beaucoup plus fort, une organisation locale beaucoup plus impressionnante.
Recréons des réseaux d’associations, de bars, d’entreprises, de clubs sportifs clairement à gauche, clairement antifascistes, clairement tournée vers la vie commune plutôt que vers la promotion du bonheur seulement individuel.
Nous n’avons ni l’argent des milliardaires, ni leurs média. Mais nous avons les gens. Et si nous voulons sortir et de la 5e république et du système capitaliste à terme, nous devons arrêter de tout penser autour des élections. Peu importe le résultat de ce dimanche, nous devons être plus que jamais prêts et organisés matériellement avec nos réseaux informatiques, nos réseaux de nourriture, nos réseaux logistiques.

Ni le fascisme, ni la bourgeoisie n’auront de contrôle sur le peuple organisé. Et cette organisation ne doit oublier ni les gens des tours, ni les gens des bourgs.



Gardons espoir.

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