Dette verte, piège gris : ce que cache la finance climatique au Népal
Par Sahasranshu Dash
Le Népal n’a pas encore signé d’accord d’échange de dette contre des investissements climatiques. Mais les conditions sont réunies : dette extérieure croissante, exposition extrême aux aléas climatiques, et un discours officiel favorable à la coopération verte. À première vue, tout semble indiquer que le pays pourrait devenir un candidat « naturel » pour un swap de dette climatique — ces mécanismes qui allègent le fardeau financier d’un État en échange d’engagements environnementaux.
Mais derrière l’apparente innovation, se profilent des risques bien connus : perte de souveraineté, dépendance accrue, et un verdissement de façade — greenwashing diplomatique — des logiques anciennes du financement du développement.
Le mirage des swaps verts
Les swaps de dette ne sont pas nouveaux. Le Belize, en 2021, a rééchelonné plus de 500 millions de dollars de dette pour financer la protection de ses zones marines. En 2023, l’Équateur a restructuré 1,6 milliard de dette via un mécanisme similaire, orienté vers les îles Galápagos. Ces accords, largement salués, mobilisent des ONG, des banques de développement et des garanties internationales.
Mais à y regarder de plus près, ils s’apparentent à une nouvelle déclinaison d’une vieille logique asymétrique : celle où le Sud global, pour financer son adaptation, doit se conformer à des priorités et critères définis ailleurs — souvent dans les capitales des bailleurs.
Pourquoi le Népal ?
Le Népal cumule plusieurs caractéristiques qui en font un cas d’étude idéal pour ce type de montage :
- Il subit déjà les effets dramatiques du changement climatique : fonte des glaciers, glissements de terrain, crues subites.
- Sa dette est relativement modeste et concentrée auprès d’acteurs multilatéraux, ce qui facilite une restructuration ciblée.
- Il dispose d’outils politiques compatibles : stratégie GRID, engagements NDC, plans d’investissement climatique.
- Il joue un rôle écologique crucial comme château d’eau de l’Asie du Sud, affectant directement les bassins du Gange, du Brahmapoutre et de l’Indus.
Mais aucune discussion officielle n’a été rendue publique. Il s’agit ici d’un scénario prospectif, d’un modèle théorique à interroger avant qu’il ne devienne réalité.
Les risques sous le vernis
Si ces swaps peuvent dégager des ressources pour l’adaptation, ils comportent aussi des effets secondaires souvent ignorés :
- Conditionnalités opaques : choix des projets, indicateurs, suivi — tout peut être externalisé.
- Colonialité verte : l’infrastructure environnementale devient un levier d’influence pour les pays donateurs.
- Démocratie affaiblie : la société civile locale est rarement impliquée dans la conception ou l’évaluation de ces accords.
En somme, ce que l’on présente comme une innovation financière est aussi un prolongement du rapport Nord–Sud, où la dette verte devient un outil de gouvernance à distance.
Pour une souveraineté climatique
Plutôt que d’attendre un éventuel swap imposé d’en haut, le Népal pourrait revendiquer une autre voie : un fonds souverain pour le climat, géré localement, financé par des mécanismes redistributifs globaux (taxes sur les émissions historiques, contribution des géants fossiles, annulation inconditionnelle de dette climatique).
Il s’agirait de transformer l’adaptation en droit, et non en faveur conditionnelle. De revendiquer la justice climatique comme principe structurant, pas comme habillage technique.
Conclusion
Le Népal n’a pas (encore) engagé de négociation autour d’un swap de dette pour le climat. Mais les logiques qui président à ces mécanismes sont déjà à l’œuvre dans les flux d’aide, les financements multilatéraux, et les plans d’adaptation. Il est donc urgent de poser la question : que se passe-t-il lorsque l’on remplace un guichet administratif par une API verte, ou une condition budgétaire par un critère ESG ?
La dette verte peut soulager. Mais elle peut aussi piéger.
Sahasranshu Dash: Chercheur associé au South Asia Institute of Research and Development, Katmandou (Népal)