Le changement de gouvernement, certes, mais pour quoi faire et aller où?
Par Saïd-Abdillah Saïd-Ahmed
Principal Animateur de Comores Alternatives
«Un étranger de la lie du peuple qui ne tient à rien et qui n’a d’autre dieu que sa grandeur et sa puissance, ne songe à l’État qu’il gouverne que par rapport à soi. Il en méprise les lois, le génie, les avantages; il en ignore les règles et les formes, il ne pense qu’à tout subjuguer, à tout confondre, à faire que tout soit peuple […]»: Saint-Simon: Mémoires, 1715, Tome V, édition actuelle, La Pléiade, cité par Franz-Olivier Giesbert: La tragédie du président. Scènes de la vie politique 1986-2006, Éditions Flammarion, Paris, 2006, p. 98. (Cf. aussi: Louis de Rouvroy, Duc de Saint-Simon: Mémoires complets et authentiques du Duc de Saint-Simon sur le siècle de Louis XIV et la Régence, Tome 12, A. Sautelet et Cie, Libraires Éditeurs, Paris, 1715 et 1829, p. 262).
Le Président Ikililou Dhoinine est très loin, à tous points de vue, de Saint-Simon et de Louis XIV, mais, la nomination de son nouveau gouvernement, samedi 13 juillet 2013, nous renvoie à cette citation, à certains égards. En effet, après deux ans de présidence diversement appréciée, le Docteur Ikililou Dhoinine vient de nommer un nouveau gouvernement. Aucune lecture de celui-ci ne permet d’y voir un gouvernement de mission ou de combat, rien ne permet de déceler dans la mission de cette nouvelle équipe un esprit commando, un sens du défi. On exhibe des jeunes, certes respectables et diplômés, mais inexpérimentés, à l’imagination limitée, voire inexistante, et ce, tant dans l’administration publique que dans la sphère politique. Pourtant, ils sont nommés dans des domaines qui exigent beaucoup d’expérience, de talent et de compétences.
On est ravi de voir des nouvelles têtes apparaître dans notre monde politique. C’est une réalité qui doit réjouir toute une génération d’hommes politiques comoriens. C’est une tendance que nous voudrions perpétuer et se renforcer lors des élections présidentielles de 2016. Nous leur souhaitons un plein succès dans la gestion des affaires de notre pays. Mais, la réjouissance que nous procure ce renouvellement des hommes politiques ne doit pas occulter la dure réalité de notre pays. Le pays souffre et le monde occidental est en crise économique. Nous devons voir au-delà de notre satisfaction générationnelle l’intérêt supérieur de notre pays. Les autorités des Comores doivent avoir une vision d’État. Nous ne pouvons pas continuer à vivre comme de marginaux, des galeux, des lépreux, des sous-hommes, en tentant de gérer notre pays comme une République exceptionnelle, dans des conditions elles-mêmes exceptionnelles.
Pour former un gouvernement, il y a des ministères qu’on ne peut pas confier à des amateurs, même s’il s’agit d’amis. Les ministres comoriens sont des commis de l’État d’autant plus importants qu’ils doivent travailler avec des Présidents, comme Ikililou Dhoinine, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, Azali Assoumani (…), qui sont des novices en matière politique et administrative, et qui traînent en plus comme un boulet une absence totale de formation dans le domaine de la gestion publique.
Les ministères régaliens ou «ministères de souveraineté»
Dans la plupart des pays, surtout développés, quatre ministères requièrent des hommes du talent, des compétences et de l’expérience affirmée et reconnue. Le premier est le ministre des Affaires étrangères, le visage des Comores, la voix des Comores à l’étranger. La complexité du monde et des relations internationales a poussé certains pays comme la France et les États-Unis à y nommer des vieux loups de la vie politique à ce poste stratégique. En France, pays très proche de nous par le mimétisme institutionnel dont se rendent coupables les Comores, mais aussi par l’Histoire, on a connu Alain Juppé, ancien Premier ministre, et Laurent Fabius, qui l’a été également, avant lui. Aux Comores, un pays qui dépend presque entièrement de l’extérieur, il est nécessaire de nommer à ce poste un poids lourd de la vie politique, notamment pour gagner du temps et de la crédibilité en négociation. Hélas, le Président Ikililou Dhoinine a privilégié l’apprentissage et l’amateurisme au détriment du savoir-faire et du professionnalisme, pourtant père et mère de l’action efficace et rapide.
Nous ne minimisons pas le profil de notre nouveau ministre des Relations extérieures, tant s’en faut, mais nous pensons que le pays va encore perdre du temps et va rater des occasions et des actions. Nous ne le voyons même pas capable de s’entourer des anciens diplomates qui pourraient l’aider à faciliter sa tâche et aider le pays à rattraper des siècles de temps perdu.
Le deuxième ministère régalien est celui de l’Intérieur. Mais, aux Comores, ce ministère est parmi les plus délaissés, par manque de visibilité sur son importance de la part de nos dirigeants.
Le troisième est le ministère des Finances et de l’économie. C’est le ministère le plus convoité dans notre pays. Depuis plusieurs années, ce ministère est dirigé par une seule équipe. La situation économique de notre pays ne cesse de dégrader. Notre balance commerciale est très déficitaire. Le fait de vendre tout ce que l’État comorien possède afin de satisfaire les instances financières internationales (FMI et Banque mondiale) n’est pas pour nous une bonne gestion économique de notre pays. C’est pourquoi, on est surpris de voir que le chef de l’État en soit réduit à maintenir au même poste une équipe qui brade le peu que possède notre jeune nation.
Le quatrième poste régalien est le ministère de la Justice. Ce ministère est souvent délaissé chez nous. Or, c’est l’un des ministères qui doivent être soutenus avec beaucoup des moyens. L’un des maux qui frappent notre pays est l’absence de justice et la survivance de l’impunité. Un pays ne peut pas vivre sans une bonne Justice. La lutte contre la corruption commence par doter le ministère de la Justice des moyens matériels et humains afin de leur permettre d’être indépendant et moins corruptibles.
Que dire du ministère de la Défense, dont se privent dangereusement les Comores?
Le ciel est clair, les jardins sont fleuris, Ikililou Dhoinine gouverne sans les sambistes
«La gratitude, comme le lait, tourne à l’aigre, si la vase qui le contient n’est pas scrupuleusement propre», dixit Rémy de Gourmont, cité par Franz-Olivier Giesbert: La tragédie du président. Scènes de la vie politique 1986-2006, Éditions Flammarion, Paris, 2006, p. 72. On se doutait du divorce annoncé entre Ikililou Dhoinine et son mentor en politique Ahmed Abdallah Sambi, depuis la formation du premier gouvernement en juin 2011. Après le cri du cœur lancé par son ancien mentor à Moroni devant une foule de partisans et de curieux, à Moroni, on a cru Ikililou Dhoinine dans l’obligation de trembler et de revenir auprès de son ancien maître à penser. Mais la réalité, est claire depuis la formation du nouveau gouvernement le 13 juillet 2013, car il ne recule pas et il n’a pas été question pour lui de pactiser avec la CRC du Colonel-Président Azali Assoumani et Houmed Msadié. Ce gouvernement, qui doit préparer et organiser les législatives de 2014, est composé uniquement de membres du parti présidentiel et du Mouvement Orange. Ceux qui avaient choisi de se couper la langue en attendant le changement afin d’être intégrés au nouveau gouvernement peuvent se réveiller et retrouver l’usage de la parole. Le mutisme par intérêt n’a servi à rien.
On ne doit pas jeter à la poubelle nos aînés en politique
Depuis un certain temps, on ignore nos aînés en politique. On ne peut pas gouverner un pays en ignorant ceux qui l’ont façonné ou bâti. On peut leur en vouloir, les critiquer et même plus, mais ce sont eux qui ont construit le peu qui a été construit. Nous leur devons beaucoup pour pouvoir diriger notre jeune nation. Il serait sage de la part de nos dirigeants actuels de les impliquer dans leur gestion de nos affaires publiques. C’est pourquoi le Mouvement Comores Alternatives prévoit de créer une institution réservée à nos aînés, comme le Sénat en France, mais qui pourrait s’appeller «Bangwé la Mawakala». C’est une instance qui aura un droit de regard sur le fonctionnement de l’État, surtout en ce qui concerne les lois qui seront mises en vigueur au pays, mais sans conflits de compétence avec la Cour constitutionnelle.