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Billet de blog 17 septembre 2014

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Pompidou, autrefois les grands hommes

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 1er septembre 1969, dans une tour des quartiers Nord de Marseille surplombant l’autoroute, une femme de 32 ans, le visage mince, marqué de cernes creusés par des mois de lutte, prend son chat dans ses bras. D’un revers de manche, elle essuie ses larmes, se compose un faible sourire et va frapper chez son voisin à qui elle demande gentiment de garder un peu l’animal.

Puis elle retourne à son appartement, regarde sur le meuble du séjour la photo de ses deux enfants. Elle a encore un sourire, mais cette fois il y a dans ce sourire une trace de bonheur, comme un volcan qui expulserait quelques purs braseros de lave au lendemain de l’éruption. Gabrielle entre dans la cuisine, referme la porte derrière elle et tourne les boutons du gaz. Elle entend le chuintement du poison qui s’échappe des tuyaux et auquel se mêlent les murmures de l’opprobre. Et puis tout s’efface, il y a comme un silence, les yeux de Gabrielle se sont fermés, un autre murmure se fait entendre, c’est la voix de sa passion, de ce jeune homme au regard ardent, de ce bel amant trop jeune. Voix qui décroît et s’efface aussi.

Agrégée de français, Gabrielle Russier avait eu pour seul tort de s’éprendre d’un de ses élèves, Christian Rossi, alors âgé de 16 ans. C’est de cela que la société vertueuse l’accusa. C’est pour cela qu’on l’enferma plusieurs semaines aux Baumettes, au printemps 1969. Aux Baumettes ! pour avoir aimé. Mais ce n’était pas assez. On lui fit encore en juillet un procès haineux qui la condamna à 12 mois de prison avec sursis et 500 francs d’amende. Son nom et son visage, jetés à la curée. En octobre elle aurait à comparaître devant la cour d’appel. Octobre était si loin. Gabrielle n’avait plus de force. C’est pour tout cela qu’elle fit le 1er septembre ce que lui commandait sa douleur. C’était la veille de la rentrée. 

Gabrielle Russier, 1937-1969          Christian Rossi, né en 1952    

Pompidou, lui aussi agrégé de lettres, venait d’arriver au pouvoir. Qu’on se souvienne de sa bonne tête massive de lamantin, de ses yeux ténus qui brillaient d’un seul mince rayon noir, mais quel rayon ! Et de son expression modeste où vibrait la bonté de ses origines paysannes. Qu’on se souvienne de sa réponse à un journaliste qui l’interrogeait le 22 septembre 1969 à propos de l’affaire Russier. Pompidou ému, puisant dans son cœur d’homme ces mots : « Je ne vous dirai pas tout ce que j’ai pensé sur cette affaire, ni même ce que j’ai fait. Quant à ce que j’ai ressenti, comme beaucoup… Eh bien… Comprenne qui voudra, moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés. C’est de l’Éluard. Merci mesdames et messieurs. »

Lequel parmi les fantoches qui prétendent gouverner aujourd’hui serait capable de cette sortie ? Aucun. Ils n’en ont ni le courage ni la culture. Ce qu’on entend ressemble plutôt aux coassements d’un marigot.

Avec cela, on nous assomme soir et matin avec la Ve et la VIe. Il ne s’agit pas des symphonies de Beethoven. Ce serait trop beau. Il ne s’agit que de République. Quelles chamailleries pour rien, pour une défroque. La Ve République est morte avec Pompidou et avec elle les grands hommes. Depuis, c’est la République des simagrées, des faux-semblants et des travestissements.

Georges Pompidou, 1911-1974

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