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Billet de blog 10 mai 2025

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La laïcité : une chance pour l’islam

Qui, de nos jours, en France, ne connaît pas le fameux verset : « Nulle contrainte en religion », cité à tout va pour balayer toute accusation d’intolérance portée contre l’islam ?

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LA LAÏCITE : UNE CHANCE POUR L'ISLAM

Par Salah Guemriche

S’il est vrai que le Coran comporte d’autres versets de cette veine, il s’y trouve dix fois plus de versets qui invalident le « Nulle contrainte » ou le rendent caduc. Cela étant dit, je tiens à préciser que, s'agissant de violence dans le texte, l'Ancien Testament dépasse de très loin le Coran ! Et l'un et l'autre sont truffés de versets antinomiques, sinon ambivalents - que seuls des exégètes confirmés (ce que je suis loin d'être) peuvent éclairer, ou contextualiser...    

Un « Talmud » pour l’islam ?

Les promoteurs d’un « islam des Lumières » le savent ; il y a urgence et nécessité à adapter la lettre (le Coran) non seulement à l’esprit mais aussi à l’époque, en recourant à des ajouts exégétiques, à la marge, que chaque génération de théologiens éclairés serait chargée d’actualiser sans toucher à la lettre. En somme, ce qui fait défaut à l’islam, c’est l’équivalent du Talmud.

Voilà un siècle, des juristes de l’islam, et parmi eux des membres du mouvement En-Nahda (la Renaissance), avaient pourtant établi une théorie très pertinente dite de l’abrogation (de certains versets par d’autres, postérieurs dans la chronologie de la Révélation). Cela, évidemment, provoqua de vives réactions parmi les fondamentalistes, alors que les réformateurs se fondaient sur un passage du Coran où Dieu dit, au verset 106 de la sourate 2 : « Dès que Nous abrogeons un verset (…), nous le remplaçons par un autre, meilleur ». Partant de cette caution, les juristes avaient recensé les versets les plus durs ou les plus contraignants, et se proposaient de les abroger pour mettre en avant des versets « meilleurs ». On a donc, écrit Michel Cuypers (1), considéré que « les versets les plus récents abrogeaient les plus anciens, et pour déterminer quels étaient les versets les plus récents, on a admis a priori que les versets les plus durs et les plus restrictifs devaient être les plus récents et qu'ils abrogeaient les versets plus doux ou plus tolérants, qui les précédaient. »

Cette théorie permettait de résoudre nombre de contradictions, dans le cas, par exemple, où un commandement se révélait contraire à l’esprit. Mais c’était compter sans l’acharnement des intégristes : pour eux, ce sont plutôt les versets les plus restrictifs qui doivent abroger les plus conciliants ou les plus tolérants. Ainsi, sous prétexte que la sourate 9 serait, selon eux, la dernière révélée chronologiquement, seuls 3 versets de cette sourate, connue pour son intransigeance envers les « infidèles » et les mécréants, devraient abroger plus de 120 versets d’autres sourates, « versets plus tolérants, souligne Michel Cuypers, qui ouvrent les voies d'une coexistence pacifique entre les musulmans et les autres communautés, et alors même que tout dans cette dernière (sourate) montre qu’il s’agit d’un texte-testament, qui clôt la révélation. » (2).

Les islamologues « des Lumières » auront beau dénoncer les lectures littéralistes du Coran, la situation ne changera pas tant qu’un « clergé », formé d’exégètes au-dessus de tout soupçon, n’aura pas entrepris un travail d’actualisation du corpus coranique, pour le purger de toutes les scories accumulées durant plus d’un millénaire d’asservissement de l’esprit à la lettre.

« La loi du pays est la loi »

La loi dite « de la séparation de l’église et de l’Etat » est claire : la manifestation de toute croyance religieuse n’est pas autorisée hors de la sphère privée et des lieux de culte : elle serait de nature à troubler l’ordre public, en titillant d’autres croyances ou incroyances, et nuirait ainsi à ce que l’on appelle le « vivre-ensemble ». Certes, en France, ce pays farouchement laïc, qui, en 1881 (et non en 1882), fit décrocher le crucifix de toutes les écoles publiques, il arrive que l’expression religieuse, catholique, investisse les rues des villages et même des villes. Ainsi, à Puy-en-Velay, une fête mariale pouvait-elle, comme ce fut le cas tout particulièrement les 14 et 15 août 2010, réunir des milliers de personnes, enfants compris, avec l’accord du maire, Laurent Wauquiez, pour célébrer « le 150e anniversaire de l’édification de Notre Dame de France »... Là, comme ailleurs, l’ingérence du spirituel dans le temporel, menée de manière ostentatoire et faisant fi de la loi de 1905, semble bénéficier d’une légitimité qui manque à l’islam : celle qu’autoriseraient « les racines chrétiennes » de la Fille aînée de l’Eglise.

En 1987, François Mitterrand déclarait : « Je veux que les usages et les coutumes français soient suffisamment vigoureux pour se défendre eux-mêmes, mais pas se défendre en excluant, se défendre en recevant et en faisant la démonstration que désormais cela fait partie de nous. Encore faut-il que les autres le veuillent ? S'ils ne le veulent pas, s'ils refusent ce que nous sommes ? Alors bien entendu, il y a maldonne » (3). Et en effet, il y aurait « maldonne » si ces « autres » s’affranchissaient des « usages et coutumes français », ou, pire, s’ils imposaient les leurs tout en prétendant au statut de citoyens.

Dina demalkhouta dina, dit le Talmud : « La loi du royaume est la loi » (4). C’est ce précepte que l’islam de France gagnerait à faire sien. En somme, comme il manque à l’islam un Talmud, il manquerait en plus un Napoléon pour conditionner l’intégration aux réponses à des questions précises, celles-là même que l’empereur posa, en 1806, à l’Assemblée des notables juifs. Sur les douze questions, retenons les six premières (5) :

1) Est-il licite aux juifs d’épouser plusieurs femmes ?

2) Le divorce est-il permis par la religion juive ? Le divorce est-il valable, sans qu’il soit prononcé par les tribunaux et en vertu de lois contradictoires à celles du code français ?

3) Une juive peut-elle se marier avec un chrétien et une chrétienne avec un juif ? Ou la loi veut-elle que les juifs ne se marient qu’entre eux ?

4) Aux yeux des juifs, les français sont-ils leurs frères ? Ou sont-ils des étrangers ?

5) Dans l’un et l’autre cas, quels sont les rapports que la loi leur prescrit avec les français qui ne sont pas de leur religion ?

6) Les juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent-ils la France comme leur patrie ? Ont-ils l’obligation de la défendre ? Sont-ils obligés d’obéir aux lois et de suivre toutes les dispositions du code civil ?

A considérer la sixième question, la réponse la plus claire serait celle d’un engagement : celui pris par l’Assemblée des notables juifs, laquelle avait, le 4 août 1806, répondu à Napoléon en ces termes :

« Des hommes qui ont adopté une patrie, qui y résident depuis plusieurs générations, qui (…) lui étaient assez attachés pour préférer au malheur de la quitter celui de ne point participer à tous les avantages des autres citoyens ne peuvent se regarder en France que comme Français ; et l’obligation de la défendre est, à leurs yeux, un devoir également honorable et précieux (…) L’amour de la patrie est pour les Juifs un sentiment si naturel qu’un Juif français en Angleterre se regarde, même au milieu des autres Juifs, comme étranger… » (6).

Transposons… Un musulman français d’origine maghrébine, de passage au Caire, se regarderait-il, même au milieu des autres musulmans, comme étranger ? Qu’est-ce qui primerait, pour lui : l’appartenance à la religion ou à la nation ? A la Oumma ou à la Patrie ? A la foi ou à la raison ?

Au XIIe siècle, Averroès avait défendu l’idée que la foi ne s’oppose point à la raison, au contraire : elle la sollicite. Cinq siècles après, Spinoza écrira : « L’homme qui est conduit par la Raison est plus libre dans l’État où il vit selon le décret commun, que dans la solitude où il n’obéit qu’à lui seul » (7).

Liberté, égalité, laïcité

Aujourd’hui, l’islam en crise a plus que jamais besoin de revenir à la raison, pour ainsi dire, cette même raison qui fit la splendeur des siècles andalous. Dans une société démocratique, la condition sine qua non pour un « vivre-ensemble » réside dans le principe de la laïcité, qui garantit à tous « la liberté de conscience et le libre exercice des cultes » (Art. 1).

Liberté, oui, mais qu’en est-il de l’égalité et de la fraternité ? Du triptyque républicain, le troisième terme peut laisser sceptique, à cause de sa connotation « angélique ». Comme disait le général Changarnier, à Bettina Rothschild : « Madame, je déteste tellement le troisième terme de notre devise emblématique que si j’avais un frère je l’appellerais "Cousin" ! ».

Alors, la laïcité, une chance pour l’islam de France ? Contrairement à ce qui se passe en pays d’islam, le croyant de quelque religion qu’il soit, pratiquant ou non, et qui vit dans un pays laïc, bénéficie en principe de la protection de la loi contre tout acte d’intolérance ou de mise à l’index (ce qui est loin d’être le cas, de nos jours, certes) ; d’autre part, la fraternité n’est qu’une aspiration, une déclaration de principe, alors que la laïcité, elle, est un contrat, le contrat social par excellence. Alors, oui, la laïcité est le plus sûr moyen d’échapper à la sempiternelle dialectique de la religion et de la citoyenneté, et ce, pour l’épanouissement de l’être social comme de l’être religieux. Autant rêver que la France osera un jour soumettre à référendum le changement de la devise républicaine en « Liberté, Égalité, Laïcité » !

N O T E S

(N.B. : l'auteur a décidé de ne plus livrer les détails de certaines références, pour éviter qu'un travail de longue haleine ne serve à d'autres qui les reprennent pour leur compte sans en mentionner la source, ce qui est devenu une habitude depuis une décennie, y compris dans les travaux universitaires).

1 Michel Cuypers, d’origine belge, Petit Frère de Jésus, de la communauté fondée par Charles de Foucauld, est un spécialiste de l’Iran et de la culture arabo-islamique. Ses études portent sur la composition du texte coranique.

2 Michel Cuypers, interviewé par Francesco Strazzari, dans XXXXXXXXX.

3 Allocution prononcée à la Sorbonne le 18-5-1987, lors du colloque organisé par l’association France-Libertés, autour du thème « Pluralité des cultures ».

4 Mais dans la mesure où elle ne rentre pas en contradiction avec la loi juive touchant notamment à l’interdit… 

5 Simon Doubnov, Histoire Moderne du Peuple Juif, Edions du Cerf, 1994, p. XXXX.

6 M. Merlin, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, TOME XXXXXXXX, p. XXX, Ed. Garnery, Paris 1808.

7 Baruch Spinoza, L’Ethique, Proposition LXXIII, XXXXXXXXXXXXXXX

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