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Billet de blog 30 avril 2025

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« Islamo-gauchisme » : Expression impropre et... toxique

Depuis des années, l’expression fait florès sur les réseaux sociaux comme sur les ondes, les plateaux de télé et dans la presse écrite. « Islamisme », on sait ce que le mot désigne. « Gauchisme », également. Mais alors « islamo-gauchisme », je me demande si cela ne dit pas l’inverse de ce qu’on veut lui faire dire !...

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Après la charge d’un ancien Premier ministre, on a entendu le ministre de l’Éducation nationale fustiger l’islamo-gauchisme qui fait rage dans les universités ! Sans parler de la ministre de l’Enseignement supérieur qui voulait lancer une enquête au CNRS !... Curieusement, comme le rappelle Shlomo Sand, « C’est de Manuel Valls qu’est venue la charge la plus lourde, dans la vague de stigmatisation de "l’islamo-gauchisme", à l’occasion d’une interview accordée, le 21 mai 2016, à Radio J, une radio communautaire juive ».

« Une très grande faiblesse analytique »

On attribue ladite expression à un « historien des idées », Pierre-Jean Taguieff, qui n’a pas attendu pour se l’attribuer lui-même en répondant à Libération : « L'expression "islamo-gauchisme" avait sous ma plume une valeur strictement descriptive, désignant une alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d'extrême gauche ». Mais c’est loin d’être l’avis de Jean-Yves Pranchère, professeur de théorie politique à l’Université de Bruxelles, qui voit dans l’expression "islamo-gauchisme" « une très grande faiblesse analytique », ni l’avis de la journaliste Isabelle Kersimon, qui, elle, y voit carrément « un concept toxique ».

Mais savez-vous que notre historien des idées, Taguieff, avait hésité entre « islamo-gauchisme » et « islamismogauchisme » ? Voilà qui eût été moins toxique, non ? En tous cas, plus clair ! Sauf que… Et c’est lui-même qui l’avoue, je cite : « Je n’allais pas forger une expression juste mais un peu lourde du type "islamismo-gauchisme" ! ». Et voilà comment un historien (« des idées », s’il vous plaît !) se surprend à privilégier la forme et à sacrifier le fond !...

Demandez donc aux lexicologues ce qu’ils pensent de la morphologie même de l’expression « islamo-gauchisme », de sa composition : demandez-leur s’il ne s’agit pas d’un « amalgame sémantique » …

Dans Le Monde du 25-11-2020, un critique littéraire, Jean Birnbaum, nous dit : « Si "islamogauchisme" est une étiquette hasardeuse, trop souvent utilisée pour dire n’importe quoi et disqualifier n’importe qui, il n’en désigne pas moins quelque chose de solide ».

Un calque forcé

Tiens, donc ! Que « l’islamogauchisme » soit « une étiquette hasardeuse, utilisée pour disqualifier n’importe qui », c’est un fait. Et pourtant, il y a maldonne ! Car ce mot composé est une expression forcée, qui n’a pas le sens qu’on veut lui donner : c’est juste une association artificielle, sans aucune pertinence conceptuelle. Loin de désigner « quelque chose de solide », sa formation est un calque, au sens linguistique, un calque opportuniste, elle frise même le contresens : dire « islamo-quelque chose », c’est bien mettre l’islam comme principe premier, et à la rigueur l’islamisme. Que nous dit ce lien, cette liaison entre « islam » et « gauchisme » ?

Pour prendre une image culinaire, « lier une préparation », c’est « la rendre consistante et homogène en faisant une liaison ». De même, en liant islam et gauchisme, les amateurs d’amalgame croyaient rendre leur formule « consistante et homogène ». Et c’est justement là qu’il y a maldonne ! Je m’explique…

Quand je dis un « calque », au sens linguistique du terme, je pense à un autre composé, historique, celui par lequel on fustigeait le judéo-bolchévisme. En URSS comme en Allemagne nazie. En France, ce sont des écrivains (Céline, Drieu La Rochelle et Maurras) qui s’étaient emparé de l’expression.

Et voilà où se situe la maldonne : par « judéo-bolchévistes », on désignait des Juifs, des Juifs bolchéviques ou complices du bolchévisme, et non des Bolchéviques complices des Juifs !

Morphologiquement, et contrairement à ce que l’on croit, le composé islamo-gauchiste désignerait donc un « musulman gauchiste », un musulman d’extrême-gauche, ou un musulman complice de l’extrême-gauche, et non pas un gauchiste complice de l’islam ou de l’islamisme.

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