Averroès, voilà bientôt neuf siècles que tu as écrit le magnifique texte traduit ci-dessous1), à l’époque où ailleurs on se demandait si la femme avait une âme. Et, voilà bientôt un siècle que Taha Hussein, ton disciple pour les droits des femmes, a déclaré «Seules les femmes émancipées donneront des générations d'hommes libres».
Et, voilà, Averroès, aujourd’hui, dans la Tunisie de la Révolution, que des acteurs politiques de premier plan, qui se disent tous défenseurs des droits des femmes, pensent que l'égalité femme-homme dans les successions est prématurée ! Et, il y en a d’autres qui proposent de remplacer l’égalité femme-homme dans les successions par des dons, des testaments et de je ne sais quoi encore, laissé au bon vouloir du futur défunt. Une troisième catégorie suggère la possibilité d’inclure dans le contrat de mariage une clause concernant le choix arrêté par les futurs époux quant au système d’héritage réservé à leurs futurs enfants : islamiste (1H = 2F) ou démocratique (1H=1F). Une quatrième catégorie propose la possibilité de laisser le choix à la femme de jouir de son droit à l'égalité dans l'héritage ou d'y renoncer ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que tous, par leur position ou proposition, sont en pleine contradiction aussi bien avec, entre autres, les articles 21 et 46 de notre Constitution qui énoncent l’égalité absolue entre l’homme et la femme dans tous les domaines, qu’avec la Loi organique relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes qui fut adoptée par l’Assemblée des représentants du peuple le 26 juillet 2017 à l’unanimité des députés présents – ce qui fait de nous le seul pays arabe à se doter d'une législation contre cette violence - et qui énonce explicitement la violence économique parmi les violences à éradiquer : N’est-ce pas une violence économique que de priver une femme de la moitié de son dû, dû garanti par la Constitution. L’égalité, c’est 1H=1F, point barre ! L’égalité femme-homme dans les successions est, en réalité, une des composantes de cette égalité dans le domaine économique, dont le défaut caractérise aujourd’hui le monde musulman. N’en leur déplaise, les uns et les autres ne sont pas pour une Tunisie de citoyens libres, car, une femme privée de ses droits ne peut être émancipée, et, ne peut donc donner des hommes libres !
Averroès, réveille-les ! Et, dis-leur de nous rejoindre dans la
MARCHE NATIONALE POUR L'ÉGALITÉ DANS L'HÉRITAGE EN TUNISIE
qui aura lieu, à Tunis, le samedi 10 mars 2018, de la Place Bab Saadoun à la Place du Bardo, manifestation qui s’étendra de 14:00 h à 20:00 h, et dont tu trouveras ci-dessous la page Facebook et ci-dessus sa photo de couverture.
https://www.facebook.com/events/606112469780450/
Et, en conclusion, Averroès, informe-les que notre combat est et sera :
POUR L’ÉGALITÉ PLEINE ET ENTIÈRE
DANS LA LOI, DEVANT LA LOI ET PAR LA LOI !
Salah HORCHANI
PS : J’ai oublié de te dire, Averroès, qu’il est inutile d’essayer de réveiller ceux qui ont adopté l’inégalité femme-homme comme pilier de leur culture et de leur projet de société, à l’instar de qui tu sais qui, récemment, en répondant à une question d’un journaliste à propos du débat actuel sur l’égalité entre hommes et femmes en matière d’héritage, et cela, dans le cadre d’un entretien qu’il a accordé au quotidien Le Monde, a déclaré : «Ce n’est pas un débat populaire, c’est un débat élitiste. Le peuple considère qu’il y a d’autres priorités que celle-ci (…) Tous les leaders politiques, de l’époque de Bourguiba jusqu’à ce jour, sont fidèles à ce principe [nda : de non-égalité] énoncé par le Coran, par notre identité et par notre civilisation », réponse qui renferme plus d’un mensonge, par exemple, l’expression «Tous les leaders politiques ». Et dire que le titre du dit entretien est : «Rached Ghannouchi : "Il n’y a plus de justification à l’islam politique en Tunisie"», avec comme sous-titre : «Le président d’Ennahda, parti considéré jusqu’ici comme islamiste, annonce au "Monde" que son mouvement "sort de l’islam politique" pour "entrer dans la démocratie musulmane"»2) ; ce qui implique que, dans la démocratie à la Ghannouchi, la femme vaut la moitié de l’homme ! Qui plus est, il continue à avoir le culot de chanter à tout-va sa rengaine habituelle de sa démocratie musulmane ; la dernière fois, à ma connaissance, il y a moins d’une semaine, et cela, dans une interview accordée au journal argentin La Nacion où il a affirmé « Par islamo-démocrates (…) Nous voulons réaffirmer notre loyauté envers la nation et envers un État fondé sur les droits des citoyens et non sur la base des croyances. Musulmans et non-musulmans, hommes et femmes devraient avoir les mêmes droits»3). Déjà, en août 2012, dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Jeune Afrique, intitulé « Rached Ghannouchi : "islam et politique sont indissociables" » 4), il a chanté qu’«il n’y a pas lieu de craindre l’islamisme, puisque l’islam est liberté, tolérance, ouverture, modernité et politique. C’est un mouvement démocratique comme les autres», en confirmant encore une fois que dans son cortex, islamisme = islam, soit dit en passant ; et, à la question de la journaliste : «Êtes-vous favorable au moratoire sur les châtiments corporels proposé par Tariq Ramadan, prélude à une grande réforme sur le modèle de l’aggiornamento [actualisation par l’Église de sa doctrine pour la mettre en conformité avec la modernité] ?», il a répondu : «Ce n’est pas d’actualité et ce n’est pas le moment» (sic) : allez dire cela à la lapidée saoudienne, au manchot afghan, manchot, parce qu’il a volé...
1) «Nous ne faisons pas assez pour l’épanouissement des femmes. Les considérer comme étant seulement aptes à enfanter et allaiter peut nuire à notre prospérité, alors qu’elles ont d’énormes capacités que nous avons étouffées par la situation de dépendance dans laquelle nous les avons mises, et qu’elles peuvent contribuer efficacement à la vie de la cité.
N’oublions pas qu’elles constituent les deux tiers de l’humanité : si on laisse ces deux tiers vivre comme des plantes ou vivre en parasite sur le compte du tiers restant, cela ne peut que conduire nos cités à la ruine et au malheur ».
Ce magnifique Texte d’Averroès (1126-1198) a été traduit par moi-même, et ce, à partir du livre de Khalil Charf-Eddine : «Ibn Roshd, al-shu‘aa al akhir», Dar al-Hilal, Beyrouth, 1988.
ADDENDUM :
Note 1. ajoutée le 14 mars 2018 : Ci-dessous une vidéo de 1’30’’, intitulée «Mobilisation pour l'égalité femme-homme dans l'héritage en Tunisie» que j’ai reprise, telle quelle, de Facebook afin qu’elle soit accessible à tout le monde :
https://www.youtube.com/watch?v=2mAP4WtpxFM
Source Facebook de cette vidéo :
Note 2. ajoutée le 18 mars 2018 :
Quelques centaines de femmes khwanjias (= partisanes de la Confrérie des Frères (!) musulmans = partisanes du parti islamiste tunisien Ennahdha), encadrées par leurs «frères» - dont deux se sont symptomatiquement distingués, voir la vidéo ci-dessous* - ont manifesté hier samedi 17 mars 2018 devant le Théâtre municipal de Tunis pour exprimer leur opposition à l'égalité femme-homme, en général, et dans l'héritage, en particulier, égalité qu’elles jugent comme étant une «falsification» de la parole divine. Parmi les slogans les plus criés lors de cette manifestation, on peut citer : «Notre État est islamique ! Non ! Non ! aux laïcs», «Non ! Non ! à l’égalité ! car, elle contredit les versets !».
Mon amie Zeineb Guéhiss a partagé, sur la page Facebook de la «Marche nationale pour l'égalité dans l'héritage en Tunisie» ci-dessus mentionnée, le commentaire suivant, joliment écrit, sur ladite manifestation des khwanjias :
«Manif du 17-03-2018 des femmes khwanjias contre l'égalité dans l'héritage (je dirais même contre l'égalité tout court selon certains de leurs mots d'ordre). Pour peu on se serait cru transporté vers leur Tunistan ... Je vais exprimer mon ressenti, comme ça m'est venu, en agençant quelques citations célèbres ...
On ne saurait parfois trouver une plus dangereuse haine, que celle des femmes contre les femmes ... PARCE QUE ... “Il n'y a pas au monde de pire malheur que la servitude” (Sophocle) ...PUISQUE ... "Le fanatique est un orateur, sourd comme un pot” (Khalil Gibran) ...ET QUE... "L'esprit c'est comme un parachute: quand il n'est pas ouvert, il ne fonctionne pas" (Frank Zappa) .... ET COMME.... "Qui n'empêche pas le mal le favorise" (Cicéron) DONC, "Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire" (Albert Einstein) … ».