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Billet de blog 18 juin 2015

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Tunisie : Ahmed Chawki au secours ! Nos instits sont devenus fous !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Sur cette image figure le  premier vers d’un célèbre poème d’Ahmed Chawki (surnommé « le Prince des poètes ») consacré à l’éloge de la mission de l’instituteur, poème que tous les écoliers tunisiens (et des autres pays arabophones*) apprennent dans le cadre de leur cursus, vers que l’on peut traduire par :

Lève-toi en hommage à ton maître et sa mission
Qui, avec celle des prophètes, est en relation

Depuis  début avril,  les grèves et les actions des instituteurs tunisiens se succèdent et ne se ressemblent pas quant à la méthodologie de leur organisation : grève d’un jour, grève de deux jours successifs, de trois jours successifs, grève administrative pour bloquer les examens du troisième trimestre, les examens nationaux,…, suspension de leur participation au Dialogue national sur la réforme de l’Éducation, décision du boycottage de la rentrée scolaire 2015/2016,… Et tout cela pour, principalement, les revendications suivantes** :

1. Abaissement de l’âge du départ volontaire à la retraite à 55 ans pour les enseignants ayant achevé 35 ans de service ;

2. Octroi d’une promotion exceptionnelle aux instituteurs trois ans avant leur départ à la retraite ;

3. Création d’une indemnité de travail administratif ;

4. Création d’une indemnité de fin de service (!) ;

5. Doublement des montants de la prime d’affectation ;

6. Doublement de l’indemnité de la rentrée scolaire ;

7. Révision à la hausse du nombre des bourses universitaires accordées aux enfants des enseignants ;

8. Régularisation de la situation professionnelle des instituteurs suppléants.

En outre, suite à ladite grève administrative pour bloquer les examens du troisième trimestre, le gouvernement a décrété, pour l’année scolaire 2014/2015, la réussite automatique de tous les élèves du cycle de l’enseignement  primaire. En réaction, le Syndicat des instituteurs a annoncé, ce samedi 13 juin 2015, avoir déposé un recours auprès du Tribunal administratif pour contester cette décision.

Et tout cela se passe dans un pays dont les conditions économiques et financières sont, à titre de comparaison, bien en deçà de celles de la Grèce, dans un État qui, pour survivre (et payer ses instituteurs), se voit obligé d’emprunter plus, de creuser de plus en plus son déficit, dans un État qui vit, pour le moment, à crédit aux dépens des générations futures. Qui plus est, ce pays est menacé, dans sa vie au quotidien, par le terrorisme, intérieur et extérieur, et par les ennemis de son Printemps.

Aussi, la méthode engagée pour appuyer ces revendications, à savoir ces agitations et bras de fer jusqu’au-boutistes, totalement inopportuns, rejetés massivement par l'opinion, utilisant le blocage des examens à des fins corporatistes et prenant les élèves en otage, en les menaçant de facto d’une année scolaire blanche, est tellement insensée, irresponsable, utopique et insupportable qu'on est en droit de se demander à qui profite le crime ou bien, comme on  dit en latin, cui bono ? (suivez mon regard !).

De surcroît, bien que le droit de  grève soit un droit fondamental constitutionnellement protégé et que ces revendications soient légitimes dans l’absolu, la légitimité d’un droit se mesure essentiellement à ce qu’il est censé protéger pour le bien-vivre-ensemble. Elle est affaiblie fortement lorsque l'exécution de ce droit porte un préjudice irréversible substantiel aux intérêts vitaux de la Nation, par exemple, et entre (plusieurs) autres pour ce qui concerne notre pays, l'avenir  de toute une génération d’écoliers.  

Le moins que je puisse conclure est que le Prince des poètes doit se retourner dans sa tombe en voyant les agissements de ceux qui ont failli être des prophètes !

Ahmed Chawki au secours ! Nos instits sont devenus fous !

Note ajoutée le 20 juin 2015 

À un lecteur, probablement européen, qui a écrit, en réaction à mon article :

« Remettre les choses à leur juste place: s'il en est des instituteurs en Tunisie comme ceux que j'ai rencontrés au Maroc, alors ils ont bien raison de revendiquer : Un salaire misérable, des logements de fonction dans les villages isolés indignes, une hiérarchie conservatrice et autoritaire...des conditions de travail dont pas un instit d'ici ne voudrait.

Si c'est de ceux-là dont il est question ici, alors oui, je les soutiens»,  

j’ai répondu :

Dans l’absolu, je suis d’accord avec vous, d’autant plus que je suis moi-même enseignant et syndicaliste, et suis donc au courant de la réelle situation de mes collègues. Mais, comme je l’ai écrit dans mon billet, «tout cela se passe dans un pays dont les conditions économiques et financières sont, à titre de comparaison, bien en deçà de celles de la Grèce,…». Question : Peut-on imaginer, aujourd’hui, de telles revendications salariales en Grèce ? La réponse est évidemment non, et vous ne pouvez pas me dire le contraire, et cela, ne serait-ce qu’au vu des tractations actuelles entre la Grèce et ses créanciers (UE, BCE, FMI) sur les économies budgétaires et les réformes draconiennes à mettre en œuvre par Athènes. Alors, Pourquoi ce qui est valable pour la Grèce ne le serait-il pas pour la Tunisie ! De plus, par déontologie, les revendications salariales ou autres ne doivent en aucun cas prendre les élèves et leur avenir en otage.

Salah HORCHANI

* Dans la vidéo ci-dessous, c’est un groupe d’écolières soudanaises qui récite un extrait de ce poème en chantant, et cela, dans le cadre des festivités d’Aïd al-Fitr 2011 (fête marquant la fin du jeûne du mois de Ramadan) :

https://www.youtube.com/watch?v=kjz130NgVuU

**http://www.letemps.com.tn/article/92022/syndicat-minist%C3%A8re-l%E2%80%99escalade%C2%A0

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