Salam for Democracy and Human Rights (avatar)

Salam for Democracy and Human Rights

Abonné·e de Mediapart

5 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 juin 2021

Salam for Democracy and Human Rights (avatar)

Salam for Democracy and Human Rights

Abonné·e de Mediapart

L'appel à l'aide de la communauté Bidun au Koweït

Depuis de nombreuses années, les associations de défense des droits humains et ceux qu'on appelle les Bidun se mobilisent et alertent sur la situation de ces apatrides, principalement présents au Koweït. Écrit par LUSZEZ Léa, Salam for Democracy and Human Rights

Salam for Democracy and Human Rights (avatar)

Salam for Democracy and Human Rights

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'appel à l'aide de la communauté Bidun au Koweït : des résolutions de façade à la question de l'apatridie

Depuis de nombreuses années, les associations de défense des droits humains et ceux qu'on appelle les Bidun se mobilisent et alertent sur la situation de ces apatrides, principalement présents au Koweït. Longtemps absente des discussions, la question des Bidun commence à apparaître dans les débats de la communauté internationale dans les années 90, au moment où le Koweït est projeté sur le devant de la scène internationale. Malgré des tentatives de résolution du statut des bidun par le gouvernent koweïtien, la situation de ces derniers ne cesse de se détériorer, en témoignent la persistance des contestations, toujours réprimées et l'augmentation des suicides de bidun[i], symbole de la détresse de toute cette catégorie de la population, privée de citoyenneté.

         Les Bidun, de l'arabe « Bidun jinsiya » (« sans nationalité »), qui représentent au moins 10 % de la population autochtone du Koweït, soit entre 100 000 et 120 000 personnes[ii], disposent de ce statut juridique particulier depuis la fondation du Koweït moderne. Selon le décret koweïtien sur la nationalité de 1959, « les Koweïtiens d’origine sont les personnes installées au Koweït avant 1920 et qui y ont maintenu leur résidence jusqu’à la publication du présent décret »[iii].

         Ce décret marque le début d'un système de différenciation au sein même de la population koweïtienne, entre les citoyens par origine et ceux par naturalisation[iv]. Par ailleurs, la difficulté que pose cette loi sur la nationalité est double : d'une part, elle ne permet l'obtention de la nationalité koweïtienne qu'aux « ressortissants originaux » étant capables de prouver une résidence sans interruption dans le nouvel État du Koweït depuis 1920, ce qui exclut toute une frange de la population vivant au gré des flux migratoires de la région. D'autre part, elle permet la naturalisation uniquement des personnes qui peuvent prouver leur résidence sur le territoire depuis au moins vingt ans, condition qui exclut de nouveau une grande partie de la population. A cette loi, se sont ajoutées des difficultés procédurales, alors qu'aucune communication sur l'obligation de déclarer sa nationalité avant 1965 n'a été faite, et alors que les naturalisations ont majoritairement concernées les zones urbaines[v].

         L'exclusion, volontaire ou involontaire, d'une partie de la population au Koweït est restée quasi sans conséquences jusque dans les années 80, alors que les Bidun disposaient quasiment des mêmes droits que les citoyens koweïtiens, à l'exception de la citoyenneté et donc du droit de vote.

         La marginalisation, la discrimination et la violation des droits fondamentaux dont font l'objet les Bidun au Koweït depuis des années a commencé à alerter la communauté internationale et les ONG alors que de nombreuses mobilisations pour l'accès à la citoyenneté ont vu le jour, particulièrement en 2011, lors des printemps arabes. A cette période déjà, l'ONG Human Rights Watch témoignait dans un rapport[vi] des graves violations des droits des Bidun et de la détérioration de leurs conditions de vie, en raison de leur statut, ou de leur absence de statut, dans la société koweïtienne. Pourtant contraires au droit international, le Koweït a maintenu les restrictions des droits des bidun, toujours privés d'accès à l'éducation, aux emplois publics, aux documents d'identité, etc.

         Cette situation demeure inquiétante, et semble s'aggraver ces dernières années, en témoigne les nombreux suicides de Bidun, dénoncés par Amnesty International[vii]. Dans un rapport public de 2019, l'ONG fait état de « l'augmentation des signes de désespoir au sein de cette communauté [Bidun] », avec le suicide de Ayed Hamad Moudath en raison de son désespoir face à sa situation socioéconomique ou encore de Badr Mirsal al Fadhli. La détresse des Bidun n'a pas ému le gouvernement koweïtien qui a intensifié la répression contre les militants des droits humains et contre les manifestants pacifiques qui s'étaient mobilisés suite au suicide de Ayed Hamad Moudath. Les autorités ont alors arrêté de façon arbitraire plus d'une dizaine de manifestants, et notamment le défenseur des droits humains Abdulhakim al Fadhli, inculpés notamment de participation à des manifestations non autorisées, d’utilisation abusive d’équipements de télécommunication, de diffusion de fausses nouvelles et d’infractions liées à la sécurité nationale. Si ce dernier a été libéré sous condition de bonne conduite pendant deux ans, en 2020, un  tribunal pénal a condamné trois Bidun – Redha al Fadhli, Hammoud al Rabah et un autre homme qui n’était pas présent à l’audience – à des peines de prison allant de 10 ans à la perpétuité en raison de leur militantisme pacifique, finalement abaissées à deux ans d'emprisonnement avec sursis en appel[viii]. Le persistance de la répression à l'égard des manifestants pacifiques inquiète et, pour la directrice de la recherche sur le Moyen-Orient à Amnesty International, Lynn Maalouf, ces arrestations sont « non seulement illégales mais aussi propres à exacerber une situation déjà tendue qui a été mise en évidence par le suicide de ce jeune homme. », elle invite également les autorités à régler « ce problème de façon durable et effective en veillant à ce que tous les Bidun aient accès à une procédure indépendante, rapide et équitable quand ils demandent à obtenir la citoyenneté », alors que celui-ci « perdure depuis l’indépendance du Koweït, en 1961 »[ix].

         En effet, la situation qui perdure depuis l'indépendance du Koweït, alors qu'il était sous protectorat britannique depuis 1899, semble s'enliser depuis les années 80, alors que quasi aucune évolution dans l'accès aux droits des Bidun n'a vu le jour. Depuis cette période, les Bidun se sont vus peu à peu privés de leurs droits, exclus de la société koweïtienne et victimes d'une répression de plus en plus forte. En effet, en 1986, les Bidun sont déclarés par un décret « résidents illégaux », et vont voir leur situation se détériorer jusqu'à aujourd’hui. Privés de leur droits fondamentaux, les Bidun sont aussi l'objet de discriminations et d'amalgames, les soldats Bidun sont notamment accusés d'être pro-Irak et d'avoir volontairement laisser les irakiens entrer au Koweït, ce qui va conduire à l'intensification de la répression et des mesures anti-bidun. Ainsi, ceux-ci se voient privés de citoyenneté et de tous les droits qui y sont liés, sans papiers d'identité, interdits d'accès aux services publics administratifs, privés du droit d'obtenir des certificats de décès, de mariage, d'ouvrir un compte bancaire, de louer ou d'acheter un bien immobilier, entre autres. Ces mesures, contraires aux engagements du Koweït en matière de droit international, persistent aujourd'hui, sans que le gouvernement n'ait semblé avancer vers une résolution de la situation, au contraire. En effet, en 2018, le ministre de l’Éducation a rejeté une proposition du Parlement visant à ce que les enfants de la minorité Bidun puissent s'inscrire dans les écoles publiques. Les engagements du gouvernement lors de l'Examen Périodique Universel, au cours duquel l’État a accepté les recommandations l’invitant à faire en sorte que les Bidun puissent accéder à l’éducation, aux soins et à l’emploi dans les mêmes conditions que le reste de la population ainsi que des recommandations concernant leur obtention de la nationalité n'ont donc pas semblé porté leurs fruits, alors que les Bidun demeurent discriminés et privés de leurs droits.

         L'absence de changements profonds et de résolution de la situation des Bidun par le gouvernement koweïtien semble finalement témoigner d'une mauvaise volonté de ce dernier, qui demeure répressif à l'égard de « ses » apatrides et dont les tentatives de solution n'ont souvent servies que de façade. En effet, selon la spécialiste du Koweït Claire Beaugrand[[x], chercheure au CNRS et enseignant à l’Université d'Exeter, en 2013, sur les 105 702 dossiers recensés par le Système Central pour la résolution du statut des résidents illégaux, seuls 34 000 dossiers ont été jugés éligibles à la nationalité koweïtienne. Plus tard, en 2015, les autorités ont déclaré que plus de 7000 résidents illégaux avaient résolu leur statut en déclarant leur véritable nationalité. Ainsi, le Koweït promet la résolution de l'apatridie en façade, avec la mise en place de d'institutions visant à résoudre le statut des Bidun, mais persiste officieusement une politique discriminatoire à leur égard, et les pousse implicitement à demander une autre nationalité.

         La persistance du Koweït à éluder la question de l'apatridie sur son territoire, en dépit de ses engagements internationaux, s'inscrit à présent comme une priorité, alors que les droits fondamentaux des Bidun continuent d'être bafoués, et que le gouvernement persiste à réprimer cette population, dont les signes de détresse ne peuvent rester sans réponse. La communauté internationale, qui ne s'est que très peu, voire pas, mobilisée sur la question depuis les années 60, ne manque pourtant pas d'être alertée par les ONG, en témoigne l'initiative Anakuwaiti (« Je suis koweïtien »)[xi], lancée par Salam for Human Rights and Democracy en 2020, dont le projet et le travail sur la cause et l'histoire des Bidun, a pour objectif d'informer et d'alerter sur la violation des droits fondamentaux des apatrides au Koweït. Il semble alors important que la communauté internationale prenne ses responsabilités alors qu'elle semble alors avoir son rôle à jouer pour faire respecter le droit international et les droits fondamentaux qu'il garantit au Koweït.

[i]Amnesty International, Déclaration publique, « Koweït. L'augmentation des signes de désespoir chez les Bidun met en évidence la cruauté d'une proposition de loi », 20 Nov 2019

[ii]BJORKLUND A., « The Bidoon in Kuwait, History at a Glance », Salam for Democracy and Human Rights, Octobre 2020.

[iii]OFPRA, Office Français de Protection des Réfugiés, « Koweït. Les Bidoun », 6 Sept. 2019

[iv]Ibid

[v]Ibid

[vi]Human Rights Watch, « Prisoners of the Past, Kuwaiti Bidun and the Burden of Statelessness », 13 Juin 2011

[vii]Amnesty International, Déclaration publique, « Koweït. L'augmentation des signes de désespoir chez les Bidun met en évidence la cruauté d'une proposition de loi », 20 Nov 2019

[viii]Amnesty International, « Les droits humains au Koweït en 2020 » , 2020

[ix]Ibid

[x]C. BEAUGRAND, Stateless in the Gulf : Migration, Nationality and Society in Kuwait, IB Tauris, 2018, p.216.

[xi]http://anakuwaiti.org/

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.