Y a-t-il un pilote dans l'avion OTAN ? Y a-t-il des aiguilleurs conscients dans le ciel bien sombre de l'Europe, à des milliers de kilomètres de Washington et de ses politiciens dopés à la volonté de puissance ? Il semble bien que non. Les voix des "oiseaux de malheur" et des Cassandre, sont en tout cas bien vite étouffées par les rodomontades des experts en treillis-rangers et autres colonels en retraite. La primauté du politique sur le militaire ? Balayée. Les politiques mettent un point d'honneur à se montrer plus va t'en guerre que les professionnels de la profession, comme souvent accusés de préparer la dernière guerre. Et que je te sors du chapeau tricolore 413 milliards d'euros, 100 milliards de fonds spéciaux pour l'Allemagne. Si vis pacem para bellum: Clausewitz renaît de ses cendres, il faut s'armer, et s'armer toujours plus pour éviter la guerre. Pour faire peur, en vérité. Et peu importe que la peur soit réputée mauvaise conseillère, que la peur, toujours, excite dans chaque camp les pulsions les plus inquiétantes. Il faut faire peur aux Russes, leur montrer nos nouveaux muscles gonflés au dollar d'emprunt. Car qui ne voit que le chef de file de cette croisade est un pays qui d'année en année trouve in extremis un accord bancal sur le relèvement du plafond de sa dette, la plus élevée du monde, autour de 32 000 milliards de dollars ? Que ce pays (la plus grande démocratie du monde, mais où le droit d'entrée pour faire campagne à la présidentielle excède le milliard d'euros) autour duquel gravitent les satellites otaniens, n'a d'autre politique que de conserver et renforcer le leadership mondial qui lui permet d'emprunter pour survivre ?
Plus jamais ça ! Le "plus jamais ça" de la deuxième guerre n'est plus l'expression de l'horreur qu'a suscitée la Grande Boucherie. Notre plus jamais ça à nous, humains de ce siècle indécis, est une ode à la gloire du recours (défensif, bien sûr) aux armes: la mode est à l'exorcisation du traumatisme munichois, événement fondateur de la conscience historique européenne, comme s'il n'y avait jamais eu précédemment ni renoncements, ni capitulations, ni aveuglements.
Comment arrêter Poutine et sa clique de tueurs privés ou institutionnels ? Je n'en sais rien. Mais le fait qu'il soit peut-être trop tard, sauf à accepter de l'affronter sans faux-semblants, ne devrait pas nous empêcher de questionner la responsabilité de l'OTAN dans la catastrophe qui se prépare. Car elle se met en place, jour après jour, votes quasi-unanimes après votes quasi sans débats à l'Assemblée, au Bundestag, à la Diète, aux Communes et à la Chambre haute. Elle germe dans les proclamations douteuses et les surenchères, dans les angoisses réelles ou supposées des pays scandinaves et des pays baltes, dans le refuge trompeur des budgets militaires en hausse vertigineuse. La tenaille de l'OTAN se resserre, le gouffre insondable où elle nous précipite est si effroyable qu'il en semble improbable.
Advienne que pourra ?