Ce n'est pas nouveau, mais cela prend une ampleur et une tournure tout de même préoccupantes: incapables de peser sur quoique ce soit, incompétents dans le meilleur des cas, carrément malhonnêtes dans bien d'autres cas, les individus (et les individusses) qui sollicitent de temps à autres nos suffrages sont depuis longtemps incapables de se faire élire sur la foi de réussites tangibles dans un domaine quelconque de l'action publique. Pas davantage en se prévalant de qualités personnelles remarquables, ou à tout le moins d'un potentiel intellectuel à la hauteur des hautes responsabilités briguées par les un(e)s et les autres. Encore moins, hélas, en ayant fait preuve (au moins une fois...) d'esprit de décision, de capacité à prendre de la hauteur par rapport à l'air du temps présent (qui ne présage vraiment rien de bon pour l'avenir)... Et, comme la médiocrité de la classe politique dans sa totalité est entière, criante et quasiment revendiquée, pas un seul parmi ces abonnés fidèles aux privilèges et autres "acquis sociaux" qui vont de pair avec les plus hautes fonctions ne semble capable, le cas échéant, de mettre en danger sa carrière pour une idée, une conviction un tant soit peu arrêtée, une indignation sincère, un haut-le-coeur civique...
Lucides sur leurs limites, et de plus peu désireux de se mettre en lumière ailleurs que sur les plateaux et autrement qu'à coups de "petites phrases", ne pouvant se targuer d'aucune réussite marquante de nature à remédier autrement qu'à la marge aux maux de nos sociétés, les prétendants à la magistrature suprême n'ont par conséquent aucun argument "positif" pour justifier leurs prétentions à gouverner un pays en voie de dénaturation. Reste dans ce cas à user et abuser de justifications infantiles, sidérantes et grotesques dans la bouche de personnages gonflés d'importance: "si c'est lui -ou elle- ce sera pire"... "l'héritage du passé"... "le manque de temps (pour réussir)"... "la conjoncture internationale"...
Voici donc l'affligeant spectacle que nous donne à voir à longueur d'année la grande presse, elle-même constituée de tragiques bouffons et de risibles supplétifs auto-proclamés experts de tout et de n'importe quoi. Comment s'ébaubir encore, le 20 HEURES venu, de ces acrobaties verbales, de ces jongleries sémantiques au sujet de l'inversion de la courbe du chômage, de la croissance, de la reprise qui se profile, puis se défile, qui s'annonce puis se décommande... des pactes de ceci, des contrats de cela, des plans qui font pschitt et des mesures qui font plouf... quand tout le monde sait -à l'exception des vrais croyants et des idiots utiles- que tout cela est voué à l'échec, aussi sûrement que personne n'est capable d'aller chercher la croissance avec ses seules dents, fussent-elles de taille à entamer profondément les parquets de tous les palais de la République... Qui peut encore croire que la byzantine, pléthorique et jargonneuse bureaucratie européenne est autre chose que l'alibi politique à l'abri duquel se construit la déconstruction systématique d'un modèle social décrété archaique et dispendieux ? Par quel miracle, alors, -ou maléfice de magie noire- les camelots cathodiques parviennent-ils encore, les soirs de grand-messe, à réunir autour d'un écran absurde des citoyens revenus de tout (par millions chaque fois) alors que, quels que soient les pâles figurants réunis sur le plateau, il n'y a évidemment rien à attendre de ces piteuses parodies de débat d'idées ? Bien sûr, les gens de télévision excellent dans l'art de mettre en scène le néant intellectuel, et dans celui de nous vendre un plan de carrière pour un engagement au service du pays. Bien sûr, d'aucuns parmi les figurants du grand guignol politique ont plus de talent que d'autres pour habiller la vertigineuse vacuité qui leur tient lieu de vérité profonde... Bien sûr, on ne sait jamais: peut-être que cette fois-ci, hein ?...
Mais non. Pas plus cette fois-ci que les autres fois. Ce sera pareil que les autres fois, parce que décidément, la sphère politique est au monde des idées ce que BHL est à la philosophie ou Kouchner à l'humanisme. Et parce que sans idées, sans courage, sans souci du bien commun, sans autre ambition que de faire carrière (à la santé, aux affaires étrangères, au commerce extérieur, à la défense, au Pôle Sud ou ailleurs, à droite, à gauche, au centre...) il est vain d'espérer que seront un jour traitées les insidieuses pathologies qui rongent jusqu'aux racines du corps social. Pourquoi s'en étonner ? Nous savons ce qu'il en est, et connaissons bien les "particules élémentaires" qui transforment une classe de responsables politiques en Assemblée de Notables à Responsabilité Limitée: professionnalisation de la vocation politique, avantages exorbitants liés à la fonction, démission à la fois des intellectuels récupérés en masse par le système, et des électeurs de base réduits à la fonction basique de consommateurs... et aussi, et surtout, accroissement exponentiel des moyens techniques et financiers mis au service de la communication politique (coût de la campagne d'Obama: 2 milliards de $... De quoi se dispenser de, et éviter tout débat de fond...).
Ainsi, entre les "partis de gouvernement" qui, au mieux, s'efforcent d'endiguer la dégradation continue des conditions de vie, et les organisations (politiques et syndicales) dont la vocation révolutionnaire n'a finalement que mollement resisté aux coups de boutoirs de la pensée réactionnaire, et qui se satisfont de marches épisodiques contre ceci ou pour cela; entre deux modèles de non-choix et de laisser-faire précautionneux, le citoyen anonyme se trouve objectivement prié de s'occuper lui-même de ses propres affaires, avec les seuls moyens que lui confèrent sa position sociale. Ce qui est quand même un comble dans une démocratie représentative....