Cher Monsieur GOYA,
Vous me permettrez, j'espère, de ne pas vous donner du mon colonel, puisque vous n'êtes plus, à ma connaisance, en service actif, quoique commentateur inamovible et permanent de la guerre en Ukraine sur BFM TV. A croire qu'on vous y a dressé un lit de camp, avec rations K à volonté, pour que vous puissiez commenter ad nauseam les opérations en cours. Vous étant qualifié vous-même de "vieux soldat de la guerre froide", ce à quoi votre âge et vos antécédents vous autorisent, vous êtes naturellement qualifié pour analyser un conflit des plus chauds. Votre comportement, votre bravoure devant les cartes des opérations dont la rédaction nous régale, n'ont d'égales que votre impavidité lorsqu'il est évoqué les dégâts que pourrait causer un engin nucléaire s'abattant sur Paris. La perspective que toute l’Île de France soit détruite (12 millions d'êtres humains, quand même) par ce tir, et pas seulement la capitale, n'a pas semblé vous émouvoir beaucoup, c'est en tout cas mon ressenti. Je vous ai trouvé pour ma part beaucoup plus embarrassé de devoir faire cet aveu qu'horrifié par la perspective de cette hécatombe.
Il est vrai que vous êtes un technicien (de la guerre) et que vous considérez les événements en cours sous l'angle "opératif", terme que vous aimez employer dans votre blog "La voie de l'épée" (https://lavoiedelepee.blogspot.com/). La mort est votre métier, dirais-je, en paraphrasant Robert Merle; le nôtre, simples quidams trop souvent plongés dans le malheur et l'épouvante contre leur gré, est la vie, si souvent dure mais parfois si belle qu'on en vient subrepticement à l'aimer. Mais trêve d'apitoiements: vous avez fait l’École de guerre et savez de quoi vous parlez. Une pensée, en écrivant, me vient à l'esprit: la guerre ne devrait tout de même pas être une école, un magistère, on ne devrait pas apprendre à la faire de mieux en mieux ! La guerre est un fléau, comme le cancer. Y a-t-il une École du cancer, où l'on apprendrait à le perpétuer, à l'aggraver, à le généraliser même ? Non, et c'est tant mieux. Autre pensée qui me vient à l'esprit -car vous me faites beaucoup réfléchir, décidément): y a-t-il, où que ce soit dans le monde, une École de la paix ? Non, bien sûr, mais des Écoles de guerre en veux-tu, en voilà. Il serait peut-être temps d'y réfléchir, car voyez-vous, au train où vont les choses, nous avons peut-être cueilli le dernier muguet que la Terre a vu fleurir ce printemps.
« La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires ». Vous ne m'en voudrez pas, j'espère, de citer Clémenceau, d'autant que cette pique amicale ne s'adresse pas à vous seul, mais à tous les galonnés des quarante pays réunis le 26 avril à Ramstein, et qui avaient l'air tellement heureux de se retrouver entre "professionnels de la profession" que le risque était réel de perdre de vue l'objet de cette joyeuse assemblée: toujours plus d'armes à l'Ukraine pour mettre fin à la guerre. Passé un bref moment d’attendrissement, je me suis fait la réflexion que toujours plus d'armes pour parvenir à la paix...Eh bien, ça m'a fait penser à Ionesco, à Beckett, au théâtre de l'absurde, et plus encore à la pataphysique de Jarry, dont la définition: science des solutions imaginaires qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité » me semble s'accorder parfaitement à la magie de l'art militaire tel qu'il se déploie actuellement.
Cher Monsieur Goya, je comprends bien qu'étant à la retraite, vous devez vous ennuyer beaucoup, et ça peut être terrible au terme d'une carrière bien remplie. Le crime d'ORPEA et Cie est d'ailleurs de n'avoir pas pris la mesure de cette forme insidieuse de dépression qui vous pousse aux pires extrémités, par désoeuvrement. Pourquoi ne reliriez-vous pas Candide ? Voltaire y donne des conseils précieux sur les vertus du jardinage.