Voici comment débute le -petit- papier de Fabrice Arfi et Antoine Perraud dans Mediapart. Dès la cinquième ligne, le ton est donc donné. Si on ne saisit pas très bien la sagacité du parallèle avec la mise en accusation de Poincarré par l'Huma en 1922, on ne tarde pas en revanche à être fixé sur les intentions des auteurs, et surtout sur l'étroitesse du réquisitoire qui va suivre. On se sera donc mis à deux pour camper Mélenchon en aspirant dictateur qui attend de nous "qu'on obéisse comme des cadavres". Deux plumes de Mediapart, et non des moindres, qui, l'espace d'un pamphlet anorexique, se sont pris pour des experts psychiatres près la cour d'assises, alignant des supputations que rien ne vient etayer, sauf à considérer qu'une locution latine remplace avantageusement une argumentation rigoureuse et honnête. Ainsi, se référant au billet de blog de Jean-Luc Mélenchon, les auteurs nous affirment qu'il est "truffé d'erreurs factuelles". Lesquelles ? On ne le saura pas. Pourquoi ? Parce qu'il ne semble pas y en avoir, ni dans le premier billet, qui a valu à Mélenchon de faire quasiment figure de vampire qui se délecte du sang encore frais qui arrose la Place Rouge, ni dans le second en date du 9 mars.
Le parcours "politique" du sieur Nemtsov: des balivernes ? Son rôle dans les privatisations massives au bénéfice des grands oligarques ? Sa part de responsabilité dans la crise qui a ravagé la Russie à la fin des années 90 ? Ses scores électoraux squelettiques contrastant avec la stature oppositionnelle qu'on lui dresse post mortem ? Ses accointances avec Navalny ?
Billevesées! Rien de tout cela ne sera donc au moins examiné, ni même pris en compte, et aucunement contesté, dans la masse des faits rapportés par Mélenchon à l'appui de sa dénonciation de l'imposture que constitue la quasi-béatification de Nemstov. Si l'article de Perraud et Arfi ne se nourrit donc d'aucune contre-démonstration, sur quoi donc est-il bâti pour mériter l'apellation de travail journalistique ? Il y a... ce détournement de sens assez crapuleux qui s'opère au détriment de Mélenchon, avec cette citation amputée de sa vérité sémantique élémentaire: « Cela ne justifie pas qu'on l'assassine. Mais [...]. », aurait écrit ce dernier. "Mais" étant censé signifier: quoique... Mieux encore: ce "mais" pourrait bien vouloir dire: j'approuve à demi-mots...
De fait, Mélenchon a écrit: Cela ne justifie pas qu’on l’assassine. Mais cela devrait nous épargner d’être invités à l’admirer comme le propose grotesquement « le Monde ». Pourquoi avoir coupé tout ce qui suit ce fameux "mais", comme si Mélenchon avait effectivement laissé ses pensées inavouables en suspens ?
Fichtre ! "L'homme qui ricane après le meurtre", qui exige une "obéissance de cadavres" à ce que lui dicterait son "ego effréné", est-ce bien l'homme qui, vaille que vaille, expose sans les dissimuler ses opinions et ses idées sur son blog, appelle à une révolution citoyenne sortie des urnes... dénonce le détournement de la démocratie par les institutions de la Vème République qui réduisent le parlement au rôle d'alibi tragi-cocasse d'un exécutif toujours droit dans ses bottes quand il s'agit de passer outre la volonté du peuple ?
Allons ! Messieurs Arfi et Perraud, nous devons suffisamment à votre travail de journalistes pour ne pas avoir envie de vous voir patauger à l'excès dans un rôle de boute-feux polémistes qui déconsidère Mediapart. C'est là un bien piètre travail de procureur que vous avez tenté de faire, dénaturant les pièces à conviction, et tombant sans coup férir dans les immenses dangers du portrait psychologique qui ne vaut que par son intention manifeste de nuire sans éclairer.