"Il faut allier le pessimisme de la raison à l'optimisme de la volonté", écrivait GRAMSCI dans ses carnets de prison. Selon la signification que l'on accorde aux concepts de raison et de volonté, on peut interpréter cette pensée de bien des façons. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit bien d'une morale de l'action, puisqu'il n'est pas question de baisser les bras et de se résigner à "l'inéluctable" (encore GRAMSCI: je hais les indifférents... ). Cet inéluctable, rapporté aux circonstances historiques dont nous sommes pour peu de temps encore les acteurs responsables, tout le monde en connait, à force de rabachage, les versets élémentaires: en détournant (si peu...) CHURCHILL, cela donne:le capitalisme est le pire des systèmes, mais il n'y en a pas de meilleurs.
Voilà à quel fatalisme (ou à quelle escroquerie intellectuelle repeinte en réalisme) s'opposent les luttes sociales actuelles, avec tellement de peine à se faire un chemin dans une opinion publique au choix indifférente, inconsciente des enjeux, tétanisée par le risque qu'il y aurait à changer de modèle, puisque celui-ci, champion de l'adaptation au changement qu'il érige en devoir quasi-religieux, se refuse à dévier d'un iota de sa ligne et des buts qu'il poursuit. Il n'y a rien de rassurant dans ce paradoxe: que les tenants du conservatisme, voire de la réaction la plus dure, soient parvenus, grignotant ligne à ligne les territoires concédés aux temps "merveilleux" du fordisme, à apparaître comme les pythies de la modernité en dit long tout à la fois sur la duplicité des classes dirigeantes, mais surtout sur le niveau de conscience politique et historique des classes moyennes et populaires ! Que ces dernières, pas rancunières, s'apprêtent à consentir en 2017 au sacrifice rituel dont se régalent à l'avance un JUPPE ou un SARKOZY n'est pas de bon augure pour l'avenir du mouvement social actuel. Certes, la mobilisation du 14 a été massive, impressionnante, quoiqu'en disent les sorciers de préfecture munis de bouliers magiques. Certes, il y a même de la constance dans ce mouvement, qui touche des secteurs bien plus divers que ne le dit la presse, hypnotisée par le phénomène "casseurs". Mais cette contestation, qui perdure depuis mars, doit pour triompher tenir la distance. Car les tenants de la loi travail, n'ayant pas de soucis de fin de mois, sont les maîtres du temps, comme le prouve l'adoption revendiquée de la stratégie du pourrissement.
Face à la revendication cynique par le gouvernement d'une telle stratégie, équivalent moderne des sièges par la faim et par la soif des villes "insoumises", il faudrait une solidarité populaire massive et déterminée. Le minimum serait que ceux qui ne peuvent/ne veulent pas faire grève contribuent, chacun selon ses moyens, aux caisses de secours mises en place en soutien aux grévistes. La loi travail étant le cheval de Troie qui ouvrira la voie au massacre social dont se pourlèchent les babines les beaux parleurs du centre à l'extrême droite, le minimum serait aussi que les victimes désignées de ce massacre se démarquent de cette idéologie mortifère.
L'optimisme de la volonté peut encore avoir raison de la raison raisonnante, qui nous désespère chaque jour un peu plus à coups d'impossibles et de réalités factices. Encore faut-il croire à la force du nombre, et non pas à la sagesse supposée des stratégies individuelles d'évitement, si subtiles soient-elles...