Je m'en veux un peu de paraphraser Gramsci qui haïssait les indifférents, mais je suis sûr qu'il me pardonnera. De toute façon, il n'a pas le choix. Voilà qu'il va bientôt y avoir une élection cruciale, encore plus cruciale que toutes les autres qui l'ont précédée et qui étaient déjà terriblement cruciales; voilà donc que l'on est conviés à décider prochainement qui mérite d'aller à Bruxelles se gaver de frites aux frais de la princesse pendant cinq ans, et voilà -t-y pas qu'on nous annonce des soixante pour cent d'abstention... alors même que la date en a été judicieusement choisie ! En effet, le 25 mai est le jour de l'anniversaire de François Bayrou, maire de Pau, président du MoDem, père de six enfants et d'une réforme ratée de l'enseignement privé, admirateur de Lecanuet, de Giscard et de Henri IV, et comme chacun sait, fervent défenseur de l'Europe et de la règle d'or. A la demande, François Bayrou peut bégayer son abécédaire européen en latin, en grec ancien et en béarnais, et réussir le tour de force d'être en même temps au centre et sur la touche.
C'est donc en hommage à cet homme là que la date des européennes a été fixée au 25 mai, d'un commun accord de tous les pays concernés. Tout a donc été fait, et bien fait, pour que ce jour là soit une vraie fête. Dans notre pays tout au moins, l'ensemble des partis politiques ont parfaitement joué le jeu: les têtes de listes ont des vraies têtes de liste, les comparses savent être discrets, tout le monde est d'accord pour proclamer qu'il est plus important de faire barrage au FN que d'aller taquiner le goujon... Et surtout, les organisations sérieuses sont d'accord sur l'essentiel:
Il ne faut pas mentir au peuple, parce que c'est mal, ni lui dissimuler que la situation est grave (non, vraiment, les fausses promesses ne paient plus, et les fausses factures conduisent tout droit en prison).
Tout le monde est en faillite, sauf l'Allemagne où même les salariés à un euro cinquante se gavent de choucroute du matin au soir, et sauf Bygmalion qui a réussi à plumer l'UMP.
Il faut se mobiliser, parce que le droit de vote n'existe pas partout, et parce que c'est gratuit.
Les candidats sont tous des gens très investis, qui ont accepté de renoncer à tout pour se mettre au service de la France, de l'Europe, du monde, et du développement durable. Ils sont tous désormais un peu verts et tout à fait HQE.
L'Europe, c'est la paix.
Les populistes sont prêts à vous raconter n'importe quoi rien que pour semer la zizanie.
Il y aura de beaux débats le soir du 25 à la télé, avec des tables rondes, des déçus comme dans Loft Story, des contents, des experts, des sondeurs, et peut-être même des journalistes. Et si ça se trouve, le MoDem aura un élu, pour que la fête à François soit vraiment réussie.
Voilà pourquoi je hais les abstentionnistes, même majoritaires.
Pour ma part, je suis optimiste: je suis sûr qu'on n'atteindra pas les zéro pour cent de participation. Car ce serait une catastrophe épouvantable que de n'avoir pas un seul député français à Bruxelles, qui est quand même, nom de nom, une ville française !