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Billet de blog 17 octobre 2014

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Marianne est morte, vive Pujadas !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tous les soirs , à vingt heures tapantes, s'affiche sur nos écrans le sourire blême de David Pujadas. C'est un rituel. On y cède par automatisme, et parce que la télévision a fait de ce moment qui naguère nous appartenait comme un trou béant dans notre vie propre. Vingt heures, et tout s'arrête: on laisse brûler la blanquette en barquette dans le micro-ondes, s'égosiller les mômes...Plus déprimant qu'un rapport conjugal obligatoire un samedi soir de beuverie n'importe où sur la planète.  Le Cardinal aux faux airs de François Fillon (le sourcil charbonneux en moins) officie: nous communions, mi-convaincus, mi-indifférents, dans le culte de la normalité indiscutable. Bruxelles est sa Meque, la souplesse d'échine son tai-chi quotidien, l'impassibilité son parapluie nucléaire contre la réalité sauvage, la mèche sage son ausweiss contre les coups du sort. Fils putatif de Mariannne, enfant sage de la Vème (taillée pour de Gaulle et qui aura fini par accoucher, de Giscard à ce jour, de  tristes fantômes dont l'Histoire sera bien embarrassée de retenir ne serait-ce que le nom...), David et son sourire comme une réclame pour somnifère  bio nous préparent en douceur à une longue nuit sans rêves...

David m'a tuer, gémit Marianne... mais ce n'est qu'un fait divers -entre une décapitation en 3D, un sommet du G8 et un ènième plongeon vers les abysses de la gauche responsable- et nous n'y prêtons pas attention. La République Française, enfin, a un nouveau visage, serein, il plaît aux marchés et c'est l'essentiel. La République Française, enfin, est revenue de ses errements. La République Française jure-promis qu'on ne l'y reprendra plus à dresser des barricades à tout va, à couper la tête à ses maîtres légitimes, à faire des programmes du CNR à l'emporte-pièce, à promette de l'égalité, de la fraternité en dépit du sérieux budgétaire, à soigner les malades sans le sou, à défrançafriquer au rebours de nos intérêts bien compris, à réparer l'ascenseur social qui ne dessert plus depuis longtemps que le septième étage des chambres de bonnes... et tout compte fait la République Française is definetely pro-businness.

We are not dangerous anymore.

Auf Wiedersehen, Marianne...

Dont acte. Cette Marianne aux seins de velours fantasmée par Delacroix n'est plus guère que le symbole d'un idéal suranné, qui n'a désormais pas plus de place dans la mondialisation heureuse que Vercingétorix ou Childéric 1er. Marianne, victime collatérale et quasi-consentante de la compétitivité comme morale, de la concurrence comme absolu, du tryptique croissance-pouvoir d'achat-consommation comme horizon indépassable de l'oeuvre humaine... Marianne n'est plus guère que l'alibi d'un magazine qui s'est fait une spécialité d'être contre mais jamais trop, d'être pour mais à condition que, et de nous vendre de l'idéalisme bon marché pour le prix d'un mauvais kebab. 

Marianne, violentée par Minc et la horde sauvage des éditorialistes confédérés, cela pourrait être qualifié de viol en réunion. Exit le bonnet phrygien, voici le temps des bonnets de nuit.

Voilà donc que s'apprêtent à tomber, un à un, les garde-fous érigés patiemment, au prix du sang, depuis la fin de l'Ancien Régime, contre tout retour en force de l'absolutisme et de la violence sociale sans limites. Avoir aboli la royauté n'était donc pas une condition suffisante pour se prémunir contre l'égoisme de classe. Le triomphe de la réaction, la revanche historique des classes dominantes hurlant à la spoliation depuis leur douloureux exil fiscal, s'illustrent le mieux dans l'acquièscement des pauvres à l'idée que leurs maigres acquis sont... les chaînes dont ils doivent d'urgence se libérer.  Flexible, compétitif, solidaire de l'Entreprise-seule-créatrice-de-richesse, battant le pavé au coude-à-coude avec ses seigneurs et maîtres pour défendre son droit naturel à travailler le dimanche, à Noël, le 1er mai: voici le salarié moderne, le citoyen responsable, enfin délivré du poison de l'idéologie.

La mèche sage, l'échine assouplie par des frictions quotidiennes au Baume du Père David, il déguste en connaisseur le 20H de Pujadas. Soudain, il zappe sur BFM TV. Rien à dire, c'est mieux, c'est véridique... C'est qu'il veut la vérité crue et sans fard, ce citoyen bien informé, il ne supporte plus qu'on lui mente sur La situation. Il a compris. Il a changé. Il ne rêve plus. Il n'écoute plus les populistes, il dit non à ses pulsions. Il grogne que quand on gagne un sou, il ne faut pas en dépenser un virgule deux. Il se sent prêt à donner de son sang, de sa sueur, de ses larmes. Il sait qu'il a mangé son pain blanc, qu'il s'en est même goinfré en toute irresponsabilité, hypothéquant l'avenir de ses enfants. Tant pis, il doit payer. Lucide, il sent sur ses épaules comme un fardeau, le poids invraisemblable du Code du Travail.. Et il a honte...

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