Cette haridelle est décidément increvable ! percluse de douleurs, harassée de souffrances, voilà-t-il pas qu'elle s'apprête à passer une nouvelle fois la ligne, laissant vraisemblablement loin derrière elle les malheureux canassons qui lui servent de faire-valoir ? Cette fois, la glorieuse certitude du sport électoral à l'algérienne touche au sublime.
Pourtant, l'hyppodrome politique d'Alger n'a pas la cote chez les turfistes, car sans surprises, point de gros gains. Le public boude les tribunes, et les rumeurs de dopage et de paris truqués vont bon train. Il est vrai que l'ex poulain du colonel Boumédiène a fort mauvaise allure, la robe terne et l'oeil vitreux, et qu'il semblait plutôt promis à finir en lasagnes chez Spanghero... Objectivement, Boutef n'a en effet rien d'une bête à Grands Prix, c'est évident. Mais c'est oublier un peu vite qu'il a un avantage inappréciable sur ses concurrents: Boutef courre sous la casaque de la grande muette, et à ce titre est drivé par les meilleurs professionnels du pays. A n'en pas douter, s'ils ont choisi de l'aligner, c'est qu'ils ont leurs raisons. Car si la grande muette est si peu loquace, ce n'est pas faute d'arguments, loin s'en faut. Au premier rang de ceux-ci, cette règle immuable du sport hippique: avant tout, le jockey doit garder la main et rester en selle. Tout le monde vous le dira: on ne gagne pas avec une bête incontrolable, que l'envie pourrait prendre de folâtrer hors du chemin tracé, voire de ruer dans les brancards quand la main du maître, lourde mais juste, s'arme du fouet.
Dès lors, pourquoi s'embarrasser d'un pur sang imprévisible, si l'on peut gagner sans risque avec un baudet estropié ? Grandeur des objectifs, économie des moyens, on reconnait là la marque d'une stratégie à long terme. Il se dit pourtant, près des paddocks, que l'écurie que Boutef doit mener à la victoire, pour être muette, n'en est pas moins désunie. Des ambitions divergentes se dissimuleraient derrière la belle unanimité qui a toujours prévalu dans les déclarations d'avant-course...
Vrai ou faux ? A l'heure où nous écrivons ces lignes, nul n'est en mesure d'affirmer avec certitude que Boutef serait, tout compte fait, le "bon cheval" par excellence.
Celui que l'un ou l'autre des jockeys vedette de l'écurie pourrait enfourcher sans risque de trébucher...