Les petites gens, les gens de rien, les gens de peu (dont je fais partie) n'en finissent pas de payer le prix du cours tragique qu'a pris l'idée même de révolution. De révolution, non pas en vue de substituer un pouvoir aveugle et ignorant de la condition humaine à un autre, tout aussi a-humain. Non, de révolution se donnant pour but simple et incontestable de rétablir dans leurs droits ceux que la persistence implacable de l'injustice érigée en fondement naturel de l'existence a spoliés de la plus banale dignité. De révolution se donnant pour objectif indiscutable de faire cesser le massacre au profit exclusif de profiteurs de guerre au coeur sec, à l'âme aride, mais prompts à la revanche sociale .
Comment, et pourquoi avons-nous oublié ces simples vérités ? A l'origine, il s'agissait de mettre fin à la tuerie sans objet et sans issue de la Grande Guerre; il s'agissait de donner de la terre à ceux qui mouraient de n'en avoir que l'usage, non la propriété, condamnés à périr sous le joug pour qu'une " élite "de parasites puisse festoyer bon an, mal an, dilapider le fruit du labeur collectif, l'esprit ailleurs. Un ailleurs fait de fariboles de droit divin et de conscience apaisée au spectacle de ceux qui meurent pour que le bal de la princesse trucmuche surpasse en magnificence la fête de la douairière untelle...
Voici la banale réalité de l'Histoire. Son désespérant, exemplaire recommencement. Sans aucun doute est-il inscrit de tout temps, dans les tables de la Loi du destin humain, que l'angoisse de la vie, la peur du lendemain qui taraudent ceux à qui on recommande l'insécurité comme hygiène de vie, ne prendront fin qu'avec l'abolition de l'idée même de destin individuel. Ceci est une absurdité. Cette idée est la négation même de la vie en société. Nul ne se fait seul, chacun doit à tout le monde. Nul n'a le droit de revendiquer le meilleur pour lui-même tant que l'un au moins de ses semblables doit de toute évidence se résigner au pire. Ceux d'entre nous que n'effraient pas les sous-sols de la société savent que dans les bas-fonds ignorés des puissants, se consument en pure perte d'invraisemblables énergies; dépérissent des âmes fortes et d'une droiture admirable que le malheur a rodées, et qui pour autant ne se résignent pas à l'égoisme ambiant.. Dès lors, les raisons d'espérer ne manquent pas, le cours de l'Histoire fournit à qui veut bien s'y arrêter nombre d'occasions de reconsidérer ce que l'on tient pour indépassable, à savoir l'inéluctabilité de la catastrophe annoncée.
Joseph Vissarionovitch Dzugashvili, le garde-barrière fou, a ré-aiguillé le train de l'Histoire dans sa trajectoire millénaire: la perpétuation d'une politique qui promeut la médiocrité et la bassesse, éternels sousbassements d'une stratégie de domination d'un clan de sac et de corde sur la masse privée d'expression.
Staline, contrairement à ce que l'on voudrait nous faire accroire, n'a pas disqualifié une fois pour toutes la volonté de changement radical. Pas plus que Pol Pot. Staline a dénaturé la révolution. Mais Staline n'est pas la démonstration incontestable que la justice sociale est une dangereuse utopie.