Mardi dernier, DAN KAMINSKI, criminologue et enseignant à l'université de Louvain, était invité à réagir, par téléphone, aux événements de Bruxelles. Au volant de ma voiture, je m'apprête à ouïr d'une oreille distraite le commentaire convenu d'un quelconque expert en ceci ou cela, appelé à confirmer qu'il se range sans la moindre réserve dans le camp des gentils, dans lequel il convient de fourrer pêle-mêle aussi bien de parfaits innocents dont le seul tort est de s'être trouvés au mauvais moment au mauvais endroit... et de vrais responsables au camouflage irréprochable, aux manettes depuis des lustres, mais qui préféreraient encore périr de mauvaise conscience pathologique plutôt que d'avouer que leurs actes et leurs décisions puissent avoir contribué, si peu soit-il, à la transformation de l'espace européen en champ de bataille secondaire d'un conflit lointain. Monsieur KAMINSKI, donc, se devait, par entente tacite entre gens bien élevés et instruits de ce qu'il en coûte de ne pas trompetter suavement dans le sillage du premier violon, de confirmer ce que nul ne peut ignorer: à savoir que les attentats sont commis par des lâches. A ma grande surprise, Monsieur KAMINSKI, criminologue et Belge de surcroît, a osé déclarer qu'il doutait que l'accusation de lâcheté soit fondée en l'occurence, n'hésitant pas à ajouter que lui-même n'aurait pas le courage de se faire exploser, et que disqualifier ainsi l'ennemi n'était pas de bonne stratégie ! (Que DAN KAMINSKI m'excuse si je ne reproduis pas ses déclarations au mot près, mais je crois ne pas déformer sa pensée tant je l'ai finalement écouté attentivement...).
Froid dans le studio. Le journaliste de service, désarçonné, lui objecte finement: vous vous rendez compte, bien sûr, que vous aller choquer de nombreux auditeurs ?... Ce dont le malappris se fichait visiblement, aggravant son cas en affirmant que nous avions besoin, dans des moments pareils, de sobriété dans la communication politique. Et non pas (la traduction d'entre les lignes est de moi et j'en prends la responsabilité) de déclarations tonitruantes et d'invectives. L'homme de FRANCE INFO n'était pour autant pas au bout de ses peines puisqu'il lui a aussi fallu laisser passer à l'antenne une mise en cause bien sentie de la fameuse petite phrase de MANUEL VALLS selon qui "expliquer, c'est déjà justifier".... Trahison !
Trahis, donc, par un Belge, au moment où l'Europe, selon la une du Parisien d'hier, est en guerre ! L'Europe, et le monde entier, par la même occasion, renchérissait je ne sais plus quel fin analyste ce matin sur FRANCE INTER ! Il ne faudra pas longtemps, au rythme où vont les choses et si l'on ne trouve rien de mieux pour se positionner en vue des échéances électorales à venir, pour que l'on se mette bientôt à parler de 5ème colonne. Gare, alors, à tous ceux qui ne pensent pas droit, ne parlent pas dru, et ne pissent pas droit dans leurs bottes et dans le sens du vent. Déjà se répandent dans les média des commentateurs et des intellectuels finauds qui établissent des parallèles embrouillés et suspects entre Daesh et les Brigades Internationales. Déjà, des boutefeux enfiévrés proclament que La guerre a commencé le 11 septembre 2001, qu'elle est de nature à durer (souvent les mêmes, étonnemment qui diagnostiquent la fin de la crise économique au moindre frémissement de la croissance) et à gagner en intensité. Déjà, d'aucuns, tout aussi madrés, en profitent pour railler l'aveuglement criminel de la gauche qui se cramponnerait contre toute évidence à l'idée qu'un certain contexte social ait pu jouer un certain rôle dans l'émergence de comportements criminels et/ou suicidaires. Déjà le risque est grand, tant nous avons manqué de "sobriété dans la communication politique", et tout compte fait de sens de l'Etat, de voir un certain Trumpisme se frayer chemin dans nos têtes et dans les isoloirs, qui se ferait fort de "régler tout ça en trois coups de cuiller à pot". Non pas que les choses soient si compliquées à comprendre, et les solutions si difficiles à mettre en oeuvre, mais ce n'est pas de cette simplicité là, pour ne pas dire de ce simplisme imbécile, dont nous avons besoin. Déjà... Non, bientôt, le modèle "sécuritaire" israélien fera école, tant il sera devenu évident que nous soudent indéfectiblement la cruauté et l'abjection de l'ennemi commun.
Nous sommes donc en guerre, apprend-on par voie de presse, alors que nul ne l'a déclarée dans les formes appropriées. La fixation hypnotique des chaînes d'info en continu sur les formes les plus spectaculaires de cette guérilla du pauvre nous conduit insidueusement à nous y résigner, et à accepter par avance tous les renoncements qui semblent désormais aller de soi, pour ne pas ébranler la belle unanimité qui fait notre force. Pourtant, la "civilisation de marché" fait bien plus de victimes que les attentats. Pourtant, si ces kamikazes et autres rafaleurs sont fous (ce qui est mon opinion), ce sont NOS fous. Graines d'humains comme-tout-le-monde à l'origine, ils ont poussé sur notre sol. Il faudrait être tout aussi fou pour ne pas se résoudre à enfin prendre soin de tous ceux qui pourraient être tentés de suivre un jour le même chemin, au nom de l'Islam, de la géométrie euclidienne, de la race européenne, ou de n'importe quoi d'autre qui permette de s'affranchir des normes sociales élémentaires. Que la démocratie soit en péril est un possible qui se rapproche, mais la responsabilité en incombe tout autant aux effets des buts de guerre de Daesh qu'à tous ceux qui ont permis que l'action des Etats soit de plus en plus subordonnée aux intérêts mercantiles les plus cyniques.