Je ne sais pas si l'enfer existe. Mais s'il existe, et si c'est bien cette instance de damnation éternelle voulue par un dieu bon et miséricordieux ; s'il est vrai que l'on peut impunément se comporter sur Terre comme le pire des Tartuffe, mais que l'on devra, dans l'autre monde, expier ses fautes dans d'atroces souffrances, alors François Bayrou peut s'attendre à recevoir le châtiment que la République, bonne mère pour les puissants, lui épargne aujourd'hui. Y pense-t-il en ce moment où les égouts de Bétharram refluent à gros bouillons, y a-t-il jamais pensé, quand il régnait sur le Béarn, cet homme confit en dévotions ? Sent-il désormais le souffle de la colère de Dieu, ou pense-t-il benoîtement qu'il a fait son devoir: protéger l’Église, fusse-t-il, à son corps défendant, sur les ruines de la charité chrétienne ?
Lui est-il jamais venu à l'esprit qu'il n'est pire péché que d'être à la fois et en même temps l'un et l'autre: homme de foi et de convictions pour la galerie, homme finalement de peu de foi dans son être intime ? Que d’être père de six enfants, et dédaigneux du sort de tous les autres qui ne sont pas les siens, battus, violés, terrorisés à l'âge où l'on a plus que tout besoin de protection, de confiance, de bienveillance ? Que d’avoir été ministre de l’Éducation, et d’avoir étouffé ce qui se fait de pire sous couvert d’éducation ? Que d’avoir été ministre de la justice d’un gouvernement qui s’en soucie si peu ?
Aux portes de l’enfer, ce bigot qu’enivre le pouvoir mais qu’indiffère la détresse humaine, ce presque vieillard qui va s’épuisant dans la course aux honneurs, soutiendra-t-il encore qu’il ne savait pas ? Que d’autres avant lui, et bien d’autres après lui, ministres, magistrats, prélats, ne se sont guère plus émus qu’en France, en toute quiétude, on martyrisait des enfants livrés à des sadiques ensoutanés ? Que le Vatican même n’avait pas rechigné à donner refuge à un violeur d’enfants ? Que les parents, presque tous les parents visiblement, savaient et laissaient faire ? Que là est tout compte fait la plus grande indignité, car lui s’était assuré que ses propres enfants seraient préservés ?
Je ne savais pas. Cette immuable, pitoyable défense de celles et ceux qui ne pouvaient pas ne pas en connaître -à moins de se l’interdire- suffit bien trop souvent ici bas pour être absous devant la justice des hommes. Des dignitaires du Reich (onze condamnés à mort pour l’exemple à Nuremberg...) aux potentats de la République, au pied du mur et la main sur le cœur, on jure qu’on ne savait pas. Que sinon, bien sûr que… Reste à une justice de classe (peut-on la qualifier autrement ?) à suivre son cours (le plus lentement possible) et à l’oubli de faire son œuvre.