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Billet de blog 1 janvier 2025

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Accords d'Évian : Quand la nostalgie coloniale menace la paix

Les relations franco-algériennes sont tendues : discours ferme de Tebboune, appels de la droite française à revoir les accords d'Évian. Mais leur annulation se heurte à des freins juridiques. Cette crise reflète les blessures du passé colonial et les défis géopolitiques actuels. L'avenir bilatéral repose sur un équilibre entre mémoire et realpolitik.

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Les tensions franco-algériennes et la remise en question des accords historiques : une analyse juridique et politique

Les relations entre la France et l'Algérie traversent une période de tensions exacerbées, marquée par des incidents diplomatiques récents et un discours ferme du président algérien Abdelmadjid Tebboune. Cette situation a ravivé les appels de certains politiciens français à remettre en question, voire à annuler, les accords historiques entre les deux pays. Cependant, une analyse approfondie révèle que ces demandes se heurtent à des obstacles juridiques insurmontables et s'inscrivent dans un contexte historique complexe.

I. Escalade des tensions diplomatiques

A. Événements récents

Les relations franco-algériennes se sont considérablement détériorées à la suite de plusieurs incidents diplomatiques :

- La reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en juillet 2024, perçue comme un affront par l'Algérie qui soutient le Front Polisario.
- Le retrait de l'ambassadeur algérien à Paris en juillet 2024 à la suite du soutien de Macron au plan d'autonomie marocain pour le Sahara occidental.
- La visite d'Emmanuel Macron au Maroc en octobre 2024, qui a exacerbé les tensions.
- La convocation de l'ambassadeur français à Alger en décembre 2024, à la suite d'accusations d'activités de déstabilisation menées par les services de renseignement français.

B. Le discours de Tebboune

Le 29 décembre 2024, le président Abdelmadjid Tebboune a prononcé un discours devant le Parlement algérien, marquant une nouvelle escalade dans les tensions diplomatiques :

- Il a mis en lumière l'héritage colonial, soulignant que "90% du peuple algérien était analphabète au moment de l'indépendance", un fait historique illustrant les conséquences durables de la colonisation.
- Tebboune a abordé la question sensible du Sahara occidental, affirmant que "l'idée d'autonomie est une idée française et non marocaine".
- Le président a également évoqué le cas de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, le qualifiant "d'imposteur au père inconnu" et l'accusant d'être "envoyé par la France".

II. Réactions en France : Appels à la remise en cause des accords

A. Demandes de l'extrême droite et d'une partie de la droite

Face à cette situation, certains politiciens français de droite et d'extrême-droite ont appelé à la dénonciation unilatérale de l'accord franco-algérien de 1968 et même à l'annulation des accords d'Évian. Ces appels s'inscrivent dans un contexte plus large de débat sur la politique migratoire et les relations post-coloniales.

Un exemple concret de cette tendance est la proposition de résolution déposée à l'Assemblée nationale le 7 décembre 2023 par Les Républicains. Cette proposition appelait à la dénonciation de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. La députée Michèle Tabarot a défendu cette initiative en déclarant : "Tant que cet accord ne sera pas dénoncé, nous ne retrouverons jamais une capacité totale à maîtriser les flux migratoires". Bien que cette proposition ait été rejetée (151 voix contre 114), elle illustre la volonté d'une partie de la droite de remettre en question ces accords historiques.

Il est important de noter qu'aujourd'hui, Les Républicains font partie du gouvernement français, ce qui pourrait potentiellement influencer la politique du pays vis-à-vis de l'Algérie et des accords existants.

B. Héritage historique et nostalgie coloniale

Cette nostalgie de l'Algérie française reste un élément important dans l'idéologie d'une partie de la droite et de l'extrême droite françaises, avec des racines historiques remontant à la guerre d'Algérie et à l'Organisation de l'Armée Secrète (OAS).

 Des exemples concrets illustrent cette persistance :

- Le discours du député RN José Gonzalez à l'Assemblée nationale en juin 2022, se décrivant comme un "enfant arraché à sa terre natale".

- La commémoration de l'exode des pieds-noirs d'Algérie organisée par le maire RN de Perpignan, Louis Aliot, en juin 2022.

- Le projet de donner à une place de Perpignan le nom de Pierre Sergent, ancien député FN et membre de l'OAS.

III. Impossibilité juridique de l'annulation des accords

Malgré ces appels nostalgiques, l'annulation des accords d'Évian ou de l'accord de 1968 se heurte à plusieurs obstacles juridiques majeurs :

1. Nature des accords : Les accords d'Évian, signés le 18 mars 1962, sont considérés comme un traité international. Leur annulation unilatérale constituerait une violation du droit international.

2. Principe de non-rétroactivité : Le droit international prohibe généralement l'annulation rétroactive des traités, surtout ceux ayant des effets aussi profonds sur le statut d'un État.

3. Conséquences juridiques : Une dénonciation unilatérale exposerait la France à des contestations juridiques internationales et pourrait entraîner des mesures de rétorsion de la part de l'Algérie.

4. Complexité des accords : Les accords d'Évian et l'accord de 1968 forment un ensemble complexe de dispositions régissant divers aspects des relations franco-algériennes. Leur annulation créerait un vide juridique problématique.

5. Engagements internationaux : La France est liée par d'autres engagements internationaux qui pourraient être affectés par une telle décision unilatérale.

IV. Analyse des enjeux sous-jacents

A. Utilisation politique de l'histoire


La rhétorique de Tebboune reflète la persistance de la "rente mémorielle" dans la politique algérienne, utilisée comme outil de gouvernance interne. Parallèlement, en France, l'instrumentalisation de la nostalgie coloniale par certains politiciens complique davantage la situation.

B. Défis diplomatiques et géopolitiques

Ces tensions ont un impact significatif sur les relations bilatérales et les enjeux régionaux dans le Maghreb et la Méditerranée.. La remise en question des accords historiques pourrait déstabiliser non seulement les relations franco-algériennes, mais aussi l'équilibre géopolitique de la région.

Conclusion

Bien que les tensions diplomatiques entre la France et l'Algérie soient réelles et préoccupantes, les appels à l'annulation des accords historiques se heurtent à des réalités juridiques incontournables. La présence des Républicains au gouvernement français ajoute une dimension supplémentaire à cette problématique, potentiellement influençant la politique étrangère du pays.

Malgré les obstacles historiques et politiques, la voie du dialogue diplomatique reste la seule option viable pour résoudre les différends entre les deux nations. Il est important de respecter le cadre juridique international existant tout en reconnaissant la complexité de l'histoire partagée entre la France et l'Algérie. L'avenir des relations franco-algériennes dépendra de la capacité des deux pays à surmonter ces tensions et à construire un dialogue constructif, basé sur la reconnaissance mutuelle et le respect des engagements internationaux.

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