A un peu plus de deux semaines du 1er tour (9 octobre) de l’élection d’un nouveau directeur général de l’Unesco, les neuf candidats en lice abattent leurs dernières cartes. Trois parmi eux ont choisi les couloirs de l’ONU dans l’espoir d’avoir le maximum d’appuis. Ainsi Moushira Khattab (Egypte), Audrey Azoulay (France) et Vera El Khoury (Liban) ont accompagné leurs ministres des affaires étrangères respectifs à New York où se déroule, depuis le 19 septembre dernier (jusqu’au 25 du même mois), la 72e Assemblée générale des Nations Unies. Selon des sources proches du dossier « Unesco », cette initiative du trio s’avère non concluante. Avec tout le remue-ménage dans lequel se retrouve l’ONU (Corée du Nord, Iran, Syrie, Libye…) les trois candidates n’ont pas pu attirer l’attention des diplomates présents à New York. A défaut d’appuis, visiblement elles se sont contentées de…villégiature.
Ces trois candidates, et cinq autres (Polad Bülbüloglu d’Azerbaijan, Pham Sanh Chau du Vietnam, Juan Alfonso Fuentes Soria du Guatemala, Saleh Al-Hasnawi d’Irak et Qian Tang de Chine), se retrouvent dans une situation peu enviable. Certains diplomates n’hésitent même pas à les représenter comme de simples lièvres devant celui qui est présenté comme le candidat le plus sérieux à la succession de la bulgare Irina Bokova, en l’occurrence Hamad Bin Abdulaziz Al-Kawari. Le Qatari part avec les faveurs des pronostics. Certes son parcours de diplomate et son impressionnant CV sont des atouts forts importants dans sa course vers ce poste de DG. Mais, vraisemblablement, il n’a pas « daigné » se contenter de cela. Son intense activité, depuis l’annonce de sa candidature, est venue confirmer sa grande ambition, et son immense espoir, d’être l’ « élu » en octobre prochain. Il suffit de se pencher sur trois exemples concrets de sa campagne pour être établi sur l’exactitude de sa stature de futur DG de l’Unesco.
Le cocktail ODD-ACM
Ainsi, au début du mois de septembre dernier il était parmi les candidats « auditionnés » par le G77 + Chine. Son intervention a été, selon les échos parvenus de Paris, très constructive et elle aurait été une réussite totale. D’ailleurs même Al Kawari n’a pas caché sa satisfaction. C’était l’occasion pour lui de s’étaler sur son ambitieux programme, en axant sur les réformes et l’importance de trouver des moyens de financement de l’organisme onusien. Il a surtout convaincu ses interlocuteurs en insistant sur le fait que la priorité sera donnée à l’Afrique et aux petits Etats insulaires. Au-delà des slogans creux et des discours pompeux auxquels sont habitués les membres du G 77, et selon des diplomates présents à son intervention, Al Kawari s’est montré convaincant en évoquant, entre autres, de la mise en œuvre des objectifs de développement durable (ODD) et de l’agenda 2030 sur l’éducation. Il n’a pas omis également d’aborder l’un de ses thèmes de prédilection, que certains conjuguent encore au futur alors qu’il est plus au présent que jamais. Il s’agit de l’économie numérique qu’il a joliment nommée en tant qu’ « Arme de Construction Massive ».Une ACM génératrice de vies et d’espoir, loin des dégâts catastrophiques de l’ADM (Arme de Destruction Massive), éternellement lié à Collin Powel et à la destruction d’un pays, l’Irak.
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Al Kawari lors de son intervention devant les représentants du G77+Chine (©D.R.)
L’intervention du Qatari était d’autant importante et réussie, qu’elle a été considérée par ses interlocuteurs comme un signe de respect envers l’organisation et les pays qui la composent. Ces derniers ont effectivement très mal apprécié le fait que la candidate égyptienne, Moushira Khattab, n’ai pas daigné présenter son programme devant le G 77 alors que son pays en est membre. Vraisemblablement elle aurait considéré l’appui des pays du groupe comme acquis à sa candidature. Si c’était le cas pour certains, elle devrait dorénavant réviser ses « calculs ». L’attitude de l’égyptienne a été considérée comme un « affront » par les représentants du G77 et compte bien afficher leur déception leur du vote d’octobre prochain.
L’éducation aura son Davos
Cette marche vers le sacre Al Kawari l’a bien enveloppé dans deux interventions médiatiques intéressantes à lire. Une interview donnée au magazine « Tunisie Plus » (27 août dernier) et une autre publiée sur les colonnes de la revue indienne « Indian Dominian » (édition de septembre). Le Qatari s’est donné le plaisir de faire une plongée dans son programme en s’étalant sur plusieurs points. Celui concernant l’éducation a été l’un des principaux sujets abordés dans ces deux sorties. Il a ainsi promis que « l'éducation, en particulier en Afrique, recevra une attention particulière en tant que pierre angulaire de développement par la coopération entre l'Unesco et l'Union africaine pour obtenir le meilleur résultat. ». Il en profitera pour lancer l’un de ses projets phares considéré par plus d’un comme une véritable révolution. Il s’agit de lancer un Davos de l’éducation. Il y tient et il ne cesse pas de le proclamer. Une conférence annuelle pour l’éducation et la culture pour donner une plus grande envergure à l’organisation. « Beaucoup d’hommes d’affaires sont prêts à rejoindre une telle initiative et à la sponsoriser. Voilà qui renforcera le poids de l’Unesco et de paris» a-t-il précisé sur les colonnes du magazine tunsien, tout en ajoutant « de même je souhaite organiser deux ou trois fois par an des rencontres d’intellectuels à l’Unesco».
Une autre idée « spécifique » semble faire son chemin et a pu susciter beaucoup d’intérêts. Celle de créer un fonds d’investissement spécifiques aux « petits ». Pour cela Al Kawari propose l’idée de lancer des « petits projets » dont la grandeur sera palpable avec le grand effet positif qu’ils susciteront. Sa description en donne une idée : « Il s’agit d’initiatives peu chères, de l’ordre de 50 000 euros, ne dépassant jamais les 100 000 euros, qui concernent surtout l’Asie, l’Afrique et les Caraïbes. Elles seront d’ordre scientifique, artistique, … »
Ce programme, cette pléthore de propositions, donnent une idée sur ce qu’est la stature du qatari dans cette course. C'est que Al Kawari a déjà dépassé le statut de favori numéro 1 à la succession de la bulgare. Ce costume est devenu trop petit pour lui. De l'avis de la majorité des observateurs, il est le plus des 9 candidats, et de par la conjecture, c’est carrément la meilleure…solution pour l’avenir de l’Unesco.
UE-Conclave
Les appuis et les voix il en a gagné et il s’en est assuré au fil des mois. A l’approche des élections, le chemin semble bien tracer pour s’accaparer le poste du siège de Fontenoy. Les derniers échos provenant des couloirs de l’organisation en sont la meilleure indication. Selon nos sources, une rencontre, tenue secrète, a réuni, il y a une semaine, à Paris, les plus influents ambassadeurs européens accrédités auprès de l’Unesco. Objectif : se mettre d’accord pour choisir un candidat issu du monde arabe. Un choix devenu impératif pour la survie même de l'Unesco. Depuis sa création l’organisation onusienne a vu défiler 10 directeurs généraux, dont 7 d’Europe ou d’Amérique du nord. Aucun arabe n'a pu avoir ce poste, et ce n'est pas faute d'avoir essayé. Le « titre » a failli être décroché en 2009 avec la candidature de l’égyptien Farouk Hosni mais le travail des coulisses avait fait capoter le "projet". Ainsi cette réunion informelle avait pour but d'accorder leur violons. Le but était de se mettre d’accord pour choisir un candidat issu du monde arabe, donc un parmi les quatre en lice : le qatari, l’égyptienne, la libanaise et enfin l’irakien. Vraisemblablement le choix a été facile. Miser sur Al Kawari c'est miser sur le plus côté, auraient-ils conclu.
Ce qui est à noter c'est que ce conclave s'est déroulée sans la présence du représentant du pays hôte. L'ambassadeur de France auprès de l'Unesco, Laurent Stéfanini, n'était pas convié à la réunion. Pourtant il représente le seul pays membre de l'Union Européenne (UE) à avoir un candidat! Cette absence a plusieurs lectures et certains n'hésitent pas à affirmer que c'était même voulu par les hôtes. La France ne voulant pas désapprouver Audrey Azoulay (soutenu du bout des lèvres par les officiels) se prépare déjà à l'après 1er tour des élections. Se positionner d'avance en vue de gagner le représentant d'un pays avec lequel l'hexagone entretient des relations "spéciales" depuis quelques années déjà. Faut-il rappeler que le fonds souverain, le Qatar Investment Authority (QIA), a investi environ 335 milliards de dollars dans le monde, et en particulier en...France. La realpolitik a ses raisons que la raison elle même...
Et les arabes!
L'Afrique et les Etats insulaires bien ciblés dans son programme, le Qatari peut prétendre d'avance à leur appuis. A cela s'ajoute le soutien des pays de l'Amérique latine, et, comme indiqué plus haut, celui des pays européens. Mais une question qui s’impose d’elle-même: comment Al Kawari peut prétendre à l’appui des pays arabes alors que son pays est en conflit avec plusieurs pays du Golfe ? La réponse provient d'un détail "croustillant" déniché dans les couloirs de l'Unesco. Depuis quelques jours l’ambassadeur de l’Arabie Saoudite auprès de l’Unesco fait savoir ceux qu'ils rencontrent que son pays ne s’opposera pas au candidat du Qatar. Si AL Kawari cherchait une assurance pour la victoire finale, vraisemblablement le représentant du Royaume Wahabite vient de la lui donner.
Salim KOUDIL