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Car ce livre n’entre dans aucune case. Ni manuel technique, ni traité de philosophie, il se lit comme une expérience, un regard personnel, parfois déroutant, sur ce que l’IA fait à nos imaginaires.
Pourquoi cette introduction ? Tout simplement en raison de l’originalité de l’ouvrage en question. Il s’agit d’un essai, écrit par un algérien, et dont le sujet principal est l’intelligence artificielle (IA).
Le titre, à lui seul, ouvre tout un horizon d’idées. Super-Papillon, d’emblée, peut donner l’impression qu’il s’agit d’un éloge de l’homme amélioré, souvent lié aux promesses des pro-IA. Dans ce livre, point de corps bardés de capteurs, ni d’intelligences surhumaines connectées en réseau. L’auteur ne chante pas les prouesses d’un être hybride mi-homme mi-machine, mais explore plutôt la fragilité, les contradictions et les élans d’un humain en quête de sens dans un monde saturé de technologie.
L’humain en question est un certain Hadj Khelil, dont le profil est loin d’être celui d’un écrivain. Lui, c’est avant tout un entrepreneur embourbé dans ses projets technologiques, ses activités académiques (il enseigne à Sciences Po, une grande école parisienne de sciences politiques) et ses interventions médiatiques. Un premier livre qui articule une réflexion à la croisée de l’autobiographie et d’une vision spirituelle de l’intelligence artificielle.

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Le Super-papillon ne désigne donc pas un cyborg ni un être bardé de puces électroniques. Il symbolise plutôt la métamorphose possible de l’être humain face aux mutations de son temps. Il met en avant l’apprentissage, l’adaptation jusqu’aux prémices d’une reconstruction de soi. Écrit à la première personne, l’essai contourne tout en plongeant dans les méandres de la révolution que déclenche l’IA à l’échelle mondiale.
Un pied à Alger (qu’il a quitté très jeune), un autre à Paris, Hadj Khelil, à travers son récit, se ressource souvent de sa famille pour essayer d’aller de l’avant et de s’imposer dans un milieu qui ne semblait pas être le sien. D’ailleurs, il rend hommage à ses parents dans la première partie de son livre, les décrivant comme des « extraterrestres », sans doute pour mieux justifier son grain de folie que ses lecteurs ne manqueront pas de repérer au fil des pages.
L’ouvrage se distingue par une voix à la fois engagée, personnelle et volontiers provocante. Pas trace ici d’algorithmes ni d’agents conventionnels. Ce livre s’apparente à un véritable plaidoyer pour la transformation et l’adaptation à l’ère de l’IA. Cet essai est, comme l’a mentionné l'auteur, "un récit de métabolisation de l'IA au service d'un projet de transmutation".
Loin des discours technophiles ou catastrophistes, Hadj Khelil choisit une autre voie, celle de l’introspection et de la lucidité. Il ne cherche pas à opposer l’homme à la machine, mais à redéfinir ce qui, en nous, demeure irréductiblement humain. Son écriture, parfois désarmante, parfois ironique, invite à penser l’IA non comme une menace, mais comme un miroir de nos propres limites et de nos possibles.
En filigrane, c’est aussi une invitation à repenser notre rapport au progrès, à ralentir peut-être, pour mieux comprendre ce que nous sommes en train de fabriquer, et ce que cela fabrique en nous.

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Dans le contexte algérien, cet essai résonne comme un signal d’alarme autant qu’un acte d’espérance. Il rappelle, sans le formuler directement, que le monde avance à la vitesse des algorithmes, pendant que notre débat public peine encore à s’en saisir. L’IA n’est pas qu’un mot à la mode, c’est un levier de puissance, de souveraineté et de transformation culturelle. Et voir un auteur algérien s’en emparer, avec autant d’audace et d’ironie, c’est déjà un geste fort. Super-Papillon nous dit que prendre le train de l’IA, ce n’est pas seulement une question de technologie, mais une affaire de regard, de courage et d’imagination. Il rappelle aussi que si l’Algérie veut compter dans ce nouveau monde, elle devra produire non seulement des ingénieurs, mais aussi des penseurs, des rêveurs et des conteurs capables de donner sens à cette mutation.
Dans un pays où l’intelligence artificielle reste souvent perçue comme un luxe de laboratoires étrangers, cet essai sonne comme un appel à l’éveil.
Au fond, Super-Papillon nous rappelle qu’avant d’apprendre aux machines à penser, il faudrait peut-être réapprendre à battre des ailes.
Salim KOUDIL