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À la fermeture du livre, le lecteur attentif aura trouvé un sens plausible aux deux « ouvertures ». La première est l’illustration (réalisée par l’auteur qui, il faut le rappeler, est graphiste de formation) de la couverture, plus exactement, deux détails.
Double ouverture symbolique
Le premier, le plus visible, est la khamsa, dont la « trace » refait surface dans la septième et dernière nouvelle, comme un signe de clôture et de mémoire. L’autre détail, plus discret, se loge dans la pupille de l’œil placé au-dessous de la khamsa, un oiseau, tourné vers l’arrière, à peine perceptible. Ce motif a un nom, en l’occurrence Sankofa, terme issu d’un ancien proverbe akan, un peuple établi principalement au Ghana et en Côte d’Ivoire, et signifiant « retourner chercher ce qu’on a oublié » (*).
Par ce symbole, l’auteur semble suggérer une lecture plus profonde du recueil en faisant appel à la mémoire, et où toute avancée est conditionnée par un retour aux origines. Dans cette perspective, l’image du Sankofa s’inscrit dans une sensibilité panafricaniste, où la reconquête du passé devient un geste d’avenir. Des lectures détectables dans le recueil.
Il y a bien d’autres détails dans l’illustration sur lesquels il serait possible de s’attarder (entre autres sur le chapelet), mais l’essentiel réside dans l’écriture d’Atropismes.
Donc, deux ouvertures. Dans la première (la couverture), deux symboles se sont distingués, la khamsa et Sankofa. La seconde ouverture en question concerne le texte de la page 07, juste avant d’aborder la première nouvelle. Il y a une dédicace (à un certain Jacques et le lecteur n’en sera pas plus sur lui) et une épigraphe empruntée au roman culte « Le loup des steppes » (publié en 1927), de l’écrivain allemand Hermann Hesse (1877–1962). Dans cet extrait, l’auteur allemand dresse un constat amer sur la condition humaine moderne.
Chaque homme, explique-t-il, est prisonnier de ce qu’il poursuit. C’est précisément cette tension, entre quête et enfermement, que le recueil explore à sa manière, une quête souterraine, muette, parfois ignorée jusque par celui qui la porte. Cela se manifeste dès la première nouvelle, "Tour De Garde", où affleurent à la fois un souffle panafricaniste et une méditation sur la condition humaine. Mais pas seulement.
De Tarkovski au football
Dans cette ouverture aux allures de rêverie de science-fiction, le lecteur cinéphile croira reconnaître, par instants, l’atmosphère du film Solaris (1972) d’Andreï Tarkovski, avec cette même lente dérive entre réalité et conscience. Si le 7e art a été présent (intentionnellement ?) en toile de fond, il y a un autre secteur qui a porté carrément toute une nouvelle, la dernière des sept, "Quarante-quatre". Ici, le football sert moins de décor que de miroir, celui d’un monde où « l’opium des peuples » s’allie aux illusions technologiques, pour finir sur une note inachevée. Cette fin, en apparence ouverte, renvoie à une cohérence plus profonde du recueil, la 5e nouvelle, "Moriah", en est la clef de voûte. Et s’il fallait nommer le recueil d’après une seule histoire, ce serait sans hésiter celle-là.
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Mais tout ne tourne pas autour de la couverture et du panafricanisme. Le recueil a permis à Riadh Hadir (pour ceux qui ne l’ont pas encore remarqué, le nom est l’anagramme du prénom) d’étaler sa culture et les résultats d’un travail de documentation. C’est qu’Atropismes c’est également les nouvelles technologies ou encore le football. Toutefois, l’évocation du sport roi ne va pas enthousiasmer les footeux. L’auteur a surfé dessus juste pour emmener le lecteur jusqu’aux abîmes de l’État profond et cela sans faire le « grand saut » pour titiller les mordus. Il convient de se demander si c’est par choix ou par ignorance du monde footballistique.
La mycologie en littérature
Parmi les multiples réussites de Riadh Hadir, il faut souligner son travail de vulgarisation autour de la mycologie. L’auteur, manifestement bien documenté, aborde le monde des champignons avec une précision quasi scientifique, donnant l’impression de maîtriser un domaine souvent réservé aux spécialistes (seuls ces derniers pourraient d’ailleurs en juger la rigueur). Au demeurant, malgré l’usage de termes parfois très techniques, sa plume subtile et nuancée parvient à captiver le lecteur, transformant un sujet complexe en une exploration littéraire.
Reste à s’interroger sur le choix du titre, Atropismes. Un mot à la fois scientifique et mystique, où le champignon devient symbole d’un monde en mutation, enraciné dans la terre comme dans la mémoire. Chez Hadir, la biologie flirte avec la métaphysique. Que demande le peuple !
Salim KOUDIL
(*) : W. Bruce Willis, The Adinkra Dictionary: A Visual Primer on the Language of Adinkra, Washington D.C., Pyramid Complex, 1998, pp. 188-189.