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Billet de blog 14 décembre 2024

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Pas de vagues, mais le bateau coule quand-même

Je suis professeure des écoles depuis 24 ans et directrice d'une école rurale à 4 classes dans un territoire en difficulté. J'enseigne dans une classe de CE1/CE2. Face aux préjugés tenaces, j'ai décidé de documenter mon travail, dans et hors la classe. Bienvenue dans ma classe !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A l'heure où des marins affrontent les mers du sud déchainées, c'est toujours le calme plat dans l'éducation nationale : surtout, pas de vagues. Et pourtant, notre bateau au mieux dérive, au pire coule à pic. Où est le capitaine ?

C'était pourtant une rentrée pleine de promesses : « Je serai toujours à vos côtés pour vous soutenir » nous disait notre inspectrice. Qui l'a vraiment crue et le peut-elle vraiment, nous soutenir ?

Autour de nous, dans nos vallées que beaucoup imaginent paisibles sous la neige de décembre, les écoles craquent de toute part. Les trouve-t-elle toujours aussi sympathiques, nos petites écoles de montagne, notre inspectrice ? Y a-t-il encore un endroit dans ce pays où les gens vont bien ? 

Des enfants perturbateurs crient, tapent, mordent, insultent, se mettent en danger, empêchent tous les autres d'apprendre. Il faut suivre le protocole reçu en début d'année, remplir des fiches, demander l'intervention d'enseignantes spécialisées (deux pour une quarantaine de classes), organiser des équipes éducatives. Du vent. Alors être patiente, aménager, espérer une prise en charge en libéral. Attendre des années parfois que quelque chose change. 

Des parents nous harcèlent, nous dénigrent, envoient des courriers mensongers à l' inspectrice, menacent de porter plainte ou le font. Ils auraient pu s'en prendre au maire, à l'employé municipal, pas de chance, dans leur ennui, leur désoeuvrement, leur frustration que sais-je, c'est nous qu'ils ont choisies pour cible.

Mais il faut encore essayer de les rassurer, de dialoguer. Puis faire des écrits, des mails, des signalements au registre sécurité et santé au travail. Justifier de tout ce que l'on fait pour leurs enfants, prouver que ce qui est dit est faux, accepter des conciliations, ne pas répondre aux agressions, avaler des couleuvres. Du vent, encore. 

Pas de vagues, mais du vent, on n'en manque pas dans les voiles. On écrit, on transmet, on attend. Parfois, le bateau est solide, on tient bon la barre. Parfois, c'est la rafale de trop. Que se passe-t-il quand le bateau coule ? Il n'y a pas de canot de sauvetage.

En cette fin d'année, le vent a soufflé fort. Nous sommes deux dans l'école à avoir décidé de ne pas y laisser notre santé et de faire quelques vagues. C'est rare dans notre métier de dire non. Souvent, nous continuons en serrant les dents. Jusqu'où ? Peut-être parce que nous étions toutes des bonnes élèves et que nous avons intériorisé la peur de ne pas être à la hauteur.

Dire qu'on n'y arrive plus serait un aveu de faiblesse ? Non, au contraire. Mais notre institution compte bien là-dessus pour que rien ne bouge. Espérions-nous au moins l'envoi d'une bouée ? Ce n'est toujours pas arrivé. Les belles paroles de rentrée se heurtent sans doute à la réalité : on doit accepter tous les élèves tels qu'ils sont même sans moyens et on ne se fâche pas avec les parents. On n'impose rien, on ne s'oppose pas. On met la poussière sous le tapis et on "compte sur notre engagement". Nos supérieurs aiment bien cette formule.

Pas de remplaçant. L'hiver, c'est vraiment la saison où il ne faut pas craquer. Alors, le matin, après avoir appelé l'inspection pour savoir si quelqu'un viendra, il faut répartir les élèves. Parfois, un remplaçant arrive pour deux absentes et ce serait presque fête. 26 enfants à répartir au fond de trois classes, ça fait quand-même du monde.

Déménager quelques tables en catastrophe le matin, puis les remettre le soir, car sait-on jamais, le lendemain...

Chaque jour est une surprise, avec quelqu'un de différent. Parfois, il arrive à 9h30. On l'a prévenu à 8h30 et il habite à l'autre bout du département. Les jours de disette, l'institution peut laisser 90 élèves sous la responsabilité de deux enseignantes. Plus personne n'apprend plus rien. Les familles qui le peuvent gardent les enfants à la maison. Des élèves peuvent ainsi perdre 3 semaines de classe. 3 semaines ! 

On peut sortir de grandes théories sur la baisse du niveau des élèves, analyser les données, chercher des méthodes miracles : comment peut-on tenir un programme dans ces conditions ? Notre bateau est tellement vétuste qu'il n'y a même plus de rustines à poser sur la coque. Et il faudrait encore baisser le nombre d'enseignants ? 

Soit ils sont inconscients, soit ils veulent vraiment nous torpiller.

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