Nous sommes dimanche. Aujourd'hui, je vais profiter un peu du soleil d'automne dans la montagne qui m'entoure, puis je préparerai la semaine qui arrive et qui s'annonce d'autant plus chargée que je serai en formation mercredi après-midi. C'est ainsi certains week-ends : le travail me rattrape malgré moi, les élèves font irruption dans mon salon où j'étale leurs cahiers, il faut remplir quelques documents en urgence, ne pas se laisser distancer par tout ce qui doit être fait, essayer de garder la tête hors de l'eau, sinon on coule jusqu'aux prochaines vacances. Et quand on coule, il n'y a pas de bouée.
Lundi dernier, je rentrais de trois jours déconnectée et j'ai été assommée par les propos insultants d'un ancien président récidiviste : 24 heures par semaine, 6 mois dans l'année. Tiendrait-il seulement une journée dans une classe? Notre ministre aurait pu nous défendre, mais elle trop occupée sans doute à nous assommer elle aussi de nouveaux programmes et de réformes simplistes. Alors j'ai décidé de sauter le pas : publier un blog pour raconter la réalité de mon travail, peut-être pour contenir ma colère.
Hier soir, après une journée sportive, j'ai rempli le GEVASCO et le D4 d'une élève en situation de handicap pour l'ESS qui aura lieu lundi. Deux documents qui font le bilan de ses apprentissages et de ses difficultés, qui seront le fil conducteur de la réunion d'Equipe de Suivi et de Scolarisation et qui seront transmis à la MDPH pour permettre la continuité de son accompagnement par une AESH. L'institution aime les sigles, derrière, il y a des élèves. Une heure pour remplir ces fiches, cocher les cases, expliquer, répéter la même chose. Une joie immense de pouvoir écrire que ça y est, en CE1, cette élève lit et écrit des choses simples, qu'elle suit en maths avec ses camarades, qu'elle demande la parole, qu'elle vient au tableau, malgré une dysphasie sévère. Mesurer le chemin parcouru et le travail incroyable fait par ma collègue depuis son arrivée en grande section, alors qu'elle ne s'exprimait pas du tout, ne connaissait aucune lettre, ne comptait que jusqu'à 3. Elle aurait dû partir en ULIS, mais il n'y a pas de place. Alors elle est dans ma classe et il faut bien adapter, individualiser, aménager. Pour être à la hauteur des efforts de cette enfant, de son enthousiasme à apprendre, de son envie. Sans compter les heures pour y arriver, sans pouvoir remettre ça au lendemain, avec son sourire en ligne de mire.
Je suis enseignante mais aussi directrice, alors je dois participer à toutes les ESS de l'école. Il y en aura 7 cette année : une pour chaque enfant en situation de handicap.
Aujourd'hui, je dois aussi préparer l'équipe éducative d'un élève de CE2 qui aura lieu mardi à 17h. C'est la troisième réunion de ce type pour cet élève depuis la grande section. Il y a un diagnostique de TDAH avec une dominante impulsivité. Parents, enseignante et directrice (moi avec mes deux casquettes !), psychomotricienne, psychologue scolaire : nous allons faire le point sur ses apprentissages et surtout sur ses difficultés de comportement en classe et les aménagements mis en place. Les parents sont dans une défiance totale, ils m'attendent au tournant. Suite à leurs accusations répétées, j'ai demandé à l'inspectrice d'être présente à l'équipe éducative, mais je n'ai pas eu de réponse. Je vais donc me débrouiller seule pour animer cette réunion. Je vais écrire tout ce que je vais dire, puis je complèterai le compte-rendu pendant la réunion, car je dois le faire signer et le transmettre aux parents dès la réunion finie. Je dois peser tous mes mots, rester factuelle, positive mais réaliste, écouter, proposer des solutions. Je sais déjà que je vais devoir laisser les parents me dénigrer sans m'énerver puis essayer de rester constructive, pour ne pas rompre le lien avec la famille, ne pas entretenir le conflit, dans l'intérêt de l'enfant. A la fin, tout continuera sans doute comme à présent : cet enfant poursuivra ses soins en libéral, il réussira très bien en classe malgré son trouble, il tripotera des objets, bricolera, gigotera, il me coupera la parole mais il fera des efforts, il y aura des jours avec et des jours sans, peut-être qu'il tapera encore ses camarades sans savoir pourquoi, peut-être que ceux-ci seront trop agacés pour rester calmes et il se dira harcelé et sa maman me le reprochera. Je poursuivrai les aménagements que je mets déjà en place, je serai agacée moi aussi, mais patiente, je lui ferai des retours positifs tous les jours, je penserai à tout ce que je pourrais faire de plus mais que je n'ai pas le temps ou la possibilité de réaliser. Sa maman répètera certainement que je ne fais rien, elle l'écrira dans le cahier de liaison, elle enverra un courrier à l'inspection, je justifierai du travail effectué, ça avancera doucement, mais ça ne peut pas avancer plus vite et je ne peux pas faire plus. Mais après cette équipe éducative, nous aurons un document écrit, attestant que nous faisons quelque chose et dans notre institution, c'est bien le plus important finalement.
Je suis enseignante mais aussi directrice, alors je dois animer toutes les équipes éducatives de l'école. Il y en aura une quinzaine cette année : une pour chaque enfant à besoin éducatif particulier. Oui, dans mon école, ils sont nombreux. Il y a ceux qui ont des problèmes de comportements, qui font des crises, qui sont violents, ceux qui vont mal, ceux qui ont de très grandes difficultés scolaires et qu'il faut essayer de comprendre pour mieux les aider, ceux pour qui il va falloir convaincre les parents, ceux pour qui on alerte, ceux pour qui rien ne se passera cette année, ceux pour qui il faudra peut-être faire un signalement. Il y a tous ces élèves dont on parle avec les collègues pendant les récréations, en déjeunant à midi, après la classe et même le soir à l'apéro. Parce que même s'ils sont parfois pénibles, on les aime.
Aujourd'hui, je dois aussi préparer ma semaine : organiser et planifier les séances d'apprentissages prévues. Prévoir les documents à adapter pour les élèves en grande difficultés ou en situation de handicap. Avant, je dois revoir mon emploi du temps : il me faut repenser certains temps car des élèves décrochent. Puis il me restera peut-être un peu de temps, ce soir, pour réfléchir aux ateliers artistiques que je me suis engagée à proposer à mes collègues.
Organiser, créer, planifier, tâtonner, repenser, ajuster, adapter. Qui compte combien d'heures par semaine je réfléchis à tout ça ?