Par Abdenour Dzanouni

Les Sables d'or à Zéralda avec à l'horizon le mont Chenoua.
ZERALDA, LE 30 AOUT 1942 : c’était la canicule. À la plage des « Sables d’or », le maire vichyste avait planté une plaque avec cette inscription : « INTERDIT AUX CHIENS, AUX JUIFS ET AUX ARABES ». Alors, le soleil étant le plus fort, des gamins ont bravé l’interdit. Ils l’ont fait d’un même élan, comme on va à la fontaine quand on a soif. Pas bravache mais insouciants, ils ont parcouru la route, à gauche, côté ombre, évitant, à droite, les vignes aux grappes gonflées de jus et de soleil. Ils croisèrent sur leur route, d’autres gamins qui, indifférents à la chaleur, jouaient au foot avec une balle de chiffons et de papiers en boule. Quelques pas plus loin, deux jeunes du village, au pied d’un arbre, se rafraîchissaient. Plus loin encore, un autre petit groupe suivaient une partie de dames âprement disputée entre deux joueurs. Il y a environ un kilomètre du village à la plage, au sable doré et fin. Arrivés là, ils se défièrent à la course, au premier qui serait dans l’eau. (« El-n’3ali 3’la lékhèr ! ») « Malédictions sur le dernier ! » Quelle bonheur que bondir, voler, plonger dans cette mer qui venait caresser le sable et mourir sur cette plage. Le bonheur rafraîchissant prenait la forme de l’écume des vagues et des plongeons des gamins.
Jusqu’à ce que l’ombre des miliciens surprenne les jeux des enfants. Sortis de l’eau, ils sont alignés en file indienne, les mains sur la tête. Ils refont le chemin inverse. Le cortège remonte ainsi et les miliciens arrêtent les paisibles joueurs de dames, les jeunes à l’ombre d’un arbre et les enfants jouant avec une balle en chiffons… Plus de quarante enfants et adultes de tout âge, alignés, l’un derrière l’autre, les mains sur la tête, reviennent au village. Ils sont enfermés dans une cave, à l’entresol de la mairie, une pièce de trois mètres sur trois, sans ouverture ni fenêtre. Ils sont debout, pressés les uns contre les autres, étouffant dans la chaleur terrible de ce mois d’aout. Le long supplice commence alors que les miliciens ont rejoint le maire et ses adjoints en week-end de détente au plein air, en villégiature à la ferme.
Toute la nuit, les cris des suppliciés déchireront le silence et personne pour les délivrer. Les cris se muèrent en gémissements jusqu’au matin. Kheira el Kahla, une figure du village de Zeralda, dont le fils de 12 ans avait été arrêté pour s’être baigné aux Sables d’or, s’arma d’une barre de fer, entra dans la cour de la mairie et défonça la porte en fer. « Quand la porte s’est ouverte, m’a raconté une des victimes alors âgée de 13 ans, nous nous sommes jeté en face sur le robinet d’eau. On était mort de soif ! » Revenus à la vie, ils virent Kheira assise au sol, berçant son fils dans ses bras où il s’était jeté pour y mourir. Quarante deux morts, enfants et adultes mêlés, entassés les uns sur les autres en cherchant la hauteur pour respirer. Trois enfants survivront pour témoigner de l’horreur du crime colonial.
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