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Billet de blog 6 mars 2014

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LA FEMME NUE

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Houria CHAKIB

  • Un matin, alors que l’odeur du pain embaumait les maisons qui abritaient nos peurs et nos espoirs...

 Dans ce village , les femmes m’ont appris à pétrir le pain lorsque l’accès aux vendeurs de pain devenait un chemin qui tranchait la vie pour qui s’y aventurait ; le couteau aiguisé pouvait se poser à n’importe quel moment de la journée sur nos gorges nouées de peur. La boulangerie devenait alors inaccessible. Ce qui m’obligeait à rassembler toute la patience de la création pour faire face à la chair de ma chair qui réclame du pain et encore du pain toute la journée.

 Tôt le matin où habitaient les femmes qui m’ont appris à pétrir le bon pain de chez nous avec juste une poignée de semoule ; nous nous organisions pour ne jamais manquer de vivres. En ces temps-là, il fallait anticiper toutes les situations de la vie, aucune erreur n’était permise ! Les médicaments, l’huile, le sucre, la semoule… la viande séchée, les gros pulls en laine étaient entassés dans les sacs de secours … les nuits étaient longues et ma plaie vive.

Un matin, alors que l’odeur du pain embaumait les maisons qui abritaient nos peurs et nos espoirs, surgit de nulle part une jeune femme toute nue, oui toute nue ! Elle errait dans le champ au milieu des épis de blé qui commençaient à s’envelopper d’une couleur or sous le soleil printanier, bousculant toutes les incertitudes lorsque la splendeur de la vie te crucifie le cœur. Oui, elle était là, dénudée, fauchée, dévoilée. Nous avions essayé de couvrir son corps mais en vain. Nous avions essayé de l’approcher pour comprendre mais il n’y avait rien à comprendre, tout était là : la tête tombant sur la poitrine, les yeux perdue dans l’abîme s’ouvrant sous ses pieds…  et ce corps épi de blé dans la poussière des rues. Elle n’avait plus sa tête, plus de maison, plus aucun rêve ; plus rien !

 Les gendarmes sont arrivés, ils l’ont ramassée ; ils étaient plusieurs à ramasser ce paquet humain-ce qui lui restait d’humain- sous les couvertures. Elle prit le chemin de l’asile, escortée de gendarmes. Dans ce cortège funéraire, il y avait une femme qui avait perdu la tête parce qu’on lui a volé son corps ; toutes les nuits, on lui volait son corps, ils étaient plusieurs à s’acharner sur son sexe, à salir sa peau, à dénuder son être, à vider son corps. Elle n’avait plus de corps, plus de tête, plus de vie à vivre ; rien.

 C’était en 1995, dans un village où les femmes savaient pétrir le pain pour continuer d’exister face à cette déchirure qui a plongé l’Algérie dans un tourbillon de haine. Et moi, …moi, aujourd’hui, la mémoire de mes yeux me colle à la peau lorsque je me rappelle cette femme nue au milieu d’un champ de blé, vomissant la souillure de violeurs assassins qui savaient déloger l’espoir tout au fond de l’être pour effacer la vie.

 Le 8 Mars ? Pour moi, c’est ce combat de femmes qui continuent à écrire la vie partout dans le monde pour qu’il n’y est plus de femmes vampirisées qui errent dans les champs de blé sous un ciel d’avril dénudé d’hirondelles lorsque plus rien n’est à sa place : les hommes terrés pour survivre, les femmes sur les chemins pour fuir, les enfants sur les routes poussiéreuses, fuyant les faiseurs de mort qui ont détruit leurs maisons… ces guerres qui ne finissent pas et toute cette haine qui continue à vider le ventre et la tête…

 Encore une fois, me voilà dans ce train qui m’éloigne de cette ville que je porte comme je porte mes enfants sur tous les chemins de ma vie. Il m’est très difficile de quitter Alger ; il m’est très difficile de quitter ma mère, ma famille, mes amis, mes souvenirs et une grande partie de mon histoire.

 Dans ce train qui m’éloigne … de moi, je porte aussi mes déchirures qui font de moi un sac qui voyage sans jamais se poser ; un sac pesant, lourd et gonflé de mots qui attendent d’être posés pour se libérer afin de construire un sens face à cette errance qui ne finit point ! Ce sac lexical qui porte des mots polysémiques est devenu mon espace, je cherche un sens pour m’accrocher, pour ne pas sombrer. Impossible de trouver une phrase descriptive qui peut porter entre ses mots tout ce que je n’ai pas eu : mes rêves avortés, les choses tant attendues que je n’ai jamais vu venir, cet amour gâché et ces instants de partage non vécus.

 Dans ce sac qui porte mes mots ami et ennemi, il y’a d’abord ces millions d’affamés qui sillonnent l’espace terrestre et qui nous montrent combien on peut être cons jusqu’à la limite de la connerie humaine lorsqu’« ILS » nous roulent dans leur farine moisie juste avant de nous dire dans leurs chaines de télé mensongères qu’ils font tout pour sauver ces enfants chétifs desséchés par la famine alors que dans les heures qui suivent ces sac de riz déposés quelque part sur cette terre qui se meurt, des guerres éclatent pour mettre encore une fois comme maintes fois, des enfants dénudés de tout dans la rue, sous les bombes et puis… dans les tombes.

 Des millions de femmes de par le monde pleurent leurs enfants fauchés par les bombes que jettent les bombardiers pilotés par des assassins, envoyés par des assassins, fabriqués par des assassins, applaudis par les médias assassins ! Ceux-là continuent à nous rouler dans leur farine pour nous faire avaler leurs gros mensonges qui servent à remplir encore et encore leurs comptes en banque déjà gorgés à vomir de pièces d’or cumulés sur le dos d’êtres innocents qui ne demandent qu’à vivre dignement.

 Gare à mes mots ! Je porte en moi la colère que les journaux n’ont pas encore racontée. Cette narration est mienne ; vécue, partagée, archivée dans les silences de ma mère et les chuchotements de ma grand-mère.

Gare à ma colère, elle porte les chaînes de tous les hommes bons qui portent les déchirures d’un monde écartelé par le profit démesuré qui écrase les peuples, tous les peuples du monde pour que les richesses continuent à gonfler les sacs d’or entassés dans des banques qui affament chaque jours un peu plus les enfants des hommes qui ne veulent pas de cet or, non, non ! Ils cherchent juste à s’en sortir, ils cherchent juste un chemin qui leur donne le droit de vivre sans être rouler dans de la farine moisie. Il y a des choses que je ne peux pas dire, que je ne peux pas dire encore ; ma mère m’a appris à tisser les silences et cette tresse de mutisme que j’accroche à mes lèvres, m’empêche d’avancer : le monde n’est pas prêt à accueillir mes rêves.

 En attendant ce monde ou mes rêves peuvent prendre leur envol, je sais que Partout dans le monde, les femmes attendent la fin de ce cauchemar qui ne finit pas. Elles font des rêves comme moi. Ce n’est pas interdit de rêver si ça peut nous rendre heureuses ; un tout petit peu … en attendant des jours meilleurs ! Et rien ne peut m’empêcher de vous offrir ce bouquet  arc en ciel pour vous rappeler que la vie mérite d’être vécue.   

Bonne fête à toutes les femmes du monde

 J’allais oublier : ma fille a mis ses bras autour de mon cou et m’a dit dans le creux de l’oreille ; « La plus belle femme au monde n’est pas miss monde mais celle qui m’a mise monde. »

HC

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