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Billet de blog 11 mars 2014

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AZIZ MORSLI, UN GEANT AU CŒUR GRAND COMME CA !

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Par Abdenour DZANOUNI

  • Le Général Giap et Aziz Morsli, directeur général d'El Moudjahid échangent une poignée de main..

Imposant par sa taille et sa voix de stentor, le directeur d’El Moudjahid, Aziz Morsli levait les bras au ciel dans les larges couloirs de la rédaction! « Qui est donc ce Semghouni ? J’ai l’impression d’être le capitaine d’un navire où chaque jour remontent de la cale des passagers clandestins. Celui-là me dit qu’il est journaliste et me demande ce qu’il doit faire ? Que sais-je ? Vas écrire si tu sais écrire ou retourne où tu étais ! Comme s’il n’y avait pas suffisamment de problèmes dans ce satané journal, il faut encore que je trouve de quoi occuper chacun !»

 D’habitude, Mohamed Semghouni, allait le pas lent. Le bras gauche replié comme en écharpe, légèrement décollé du corps. Il semblait porter une invisible toge d’édile romain. Halim Mokdad l’avait affectueusement surnommé « Sénatus Enculus ». À jouer les césars, hautain sans un regard pour la plèbe, son cou s’était raidi d’un torticolis sévère et incurable. Ainsi, comme une pièce de monnaie, de face, il présentait toujours son profil. Ce jour là, revers de la médaille, il filait sous la bourrasque, les oreilles rabattues, la tête enfoncée entre les épaules, battait en retraite poursuivi, là où il allait, par la voix tonitruante de Aziz et son humour féroce.

 Syndicaliste, je tentais à nouveau, ce jour là, d’avoir l’aval de Aziz pour une méthode de reclassement,  peu ordinaire, qui consistait à uniformiser la valeur du point indiciaire des différentes catégories et par un système d’avancement à trois échelons qui sans léser aucune catégorie, réduirait les écarts de salaires entre celles-ci et entre les salaires des travailleurs d'une même catégorie. Je savais, par ma mère, qui a travaillé depuis 1962 au Peuple puis à El Moudjahid, que Aziz Morsli avait, en 1967, dirigé très jeune El-Moudjahid et qu’il fut le premier, en Algérie, à instituer le 13ème mois pour les travailleurs.  Mais visiblement ce jour là n’était pas le jour des étrennes, et ce ne l’était pas depuis plusieurs semaines, tant Aziz tempêtait de sa voix forte et rocailleuse pour mobiliser l’équipage et affronter le grain. Mais  jamais cette voix ne trahissait la colère même quand il se dressait contre l’injuste ou l’absurde.

 Au moment où j’allais rebrousser chemin avec l’idée de revenir à la charge plus tard, il me prit par l’épaule et m’invita à l’accompagner. «  Il faudra que je trouve le temps d’inspecter les cales de ce navire, me dit-il amusé, la voix adoucie et fraternelle. Je sais, tu veux me voir pour la grille des salaires mais je n’ai vraiment pas le temps. Avec le passage à l’offset et à la saisie informatique, la décision qui traîne au ministère d’augmenter le prix du journal pour réduire le déficit, et la sortie quotidienne du journal, ce Tonneau des Danaïdes…»   

 Il m’invite à m’assoir et s’assied lui-même pendant que j’ouvre mon porte-documents… « Laisse, Abdenour Khouya. Nous verrons cela plus tard. » Le pouce dressé, il m’indique le « haut » signifiant la présidence : « Ils m’ont envoyé une liste de 17 journalistes à renvoyer. Je leur ai dit : « Il n’en est pas question, ce sont ceux qui font le journal. Si vous me les enlevez, autant enlever El Moudjahid et vous serez tranquilles ! » Cela fait onze démissions que je présente à Chadli et qu’il refuse.  As-tu lu mon billet ce matin ? Je leur dit que le journal a besoin de crédibilité_ et d’ajouter pour moi en arabe « el mesdaqia ! »_ C’est la seule valeur vraie que ce soit pour un gouvernement, un journal ou un homme. Sans cela quelque soit ta richesse ou ta puissance, tu ne vaux rien ! » J’écoutais. Il prit un document sur son bureau et le posa sur la table basse. « Vois, ils m’ont envoyé une lettre pour l’afficher à la rédaction. Les journalistes qui veulent étudier en France auront une bourse et conserveront leur salaire ici pendant deux années. »

 J’avoue, pour quelqu’un qui comme moi, aurait aimé étudier toute sa vie et ne faire que ça, l’offre était alléchante.  Toutefois, c’est bien là,  la méthode douce pour la même politique de « purification journalistique ». Alors Aziz ajouta comme se parlant à lui-même: « Ce n’est en tout cas pas moi, qui vais faire « la chasse aux sorcières ». Que penses-tu de ça? Me dit-il en désignant du menton, la lettre. Il faut que tu saches aussi que si tu refuses, Cherif Messadia te mettra dehors d’El Moudjahid » Mon sang ne fit qu’un tour. « S’il te plait, Aziz, réponds lui que s’il est le fils de sa mère, qu’il vienne lui me chasser d’El-Moudjahid. » Et je me levais. Au moment où je sortais de son bureau, Aziz me dit « Pour ta méthode de reclassement, tu prépares tout et je signe. Je te fais confiance. Enfin, je vais lire quand même avant de signer…» Ajouta–t-il bourru, comme un voile de pudeur sur un cœur, un moment dénudé. Un cœur grand comme ça ! Un cœur de géant.

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