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Billet de blog 11 août 2014

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LE JEUNE HOMME QUI PARLAIT AUX OISEAUX.

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Par Abdenour Dzanouni

Chardonneret

Malik a reçu une lettre de la préfecture des Hauts de Seine en réponse à sa demande de résidence. Le regard inquiet, il me demande de la lui lire. Malik ne sait ni lire, ni écrire et vit, au jour, le jour de travaux de peinture, de déménagement et autres services, nécessairement sous-payés quand on est « sans papiers ». A l’école. Il préférait le livre vivant de la nature. Il ne marchait pas encore que son père l’emmenait sur ses épaules promener en forêt à Biskra. Son père capturait les oiseaux pour les élever au chant. Quand il lui a appris ce qu’il savait sur les chardonnerets, appelés Bou m’ziène à Biskra et Meqnine dans l’algérois, Malik a continué à apprendre l’art du chant avec les oiseaux. Ainsi, il a été plus loin que son père… Se déplaçant d’un marché aux oiseaux à un autre, de Biskra à Sétif, Constantine, Annaba, Alger… il appris que les chants des chardonnerets diffèrent d’une région à une autre. Chaque tribu d’oiseaux avait son répertoire. Et si on demandait à Malik, pourquoi il place le chant du chardonneret au dessus de celui du rossignol ? Il explique que le rossignol est un parfait imitateur, il peut reproduire le chant de la source et de l’eau qui court le ruisseau tout comme la scie du bucheron qui mord dans le bois. Mais le chardonneret apprend des éléments de langage, compose des trilles et les interprète sur différents niveaux de gammes, son ramage diffère des autres. Il n’imite pas, il créait.

Pour Malik, l’oasis de Filliache a abrité les meilleurs chanteurs au monde. La légende rapporte qu’un artisan, par ailleurs mélomane, avait élevé un chardonneret au son du luth. L’oiseau vivait en liberté, dans la minuscule boutique, aimé et soigné par l’artisan. Un jour, il s’envola vers l’oasis de Filliache pour s’y établir avec une compagne et éleva les nombreux petits qu’elle lui donna. Bientôt, l’oasis se remplit de son chant et fit la réputation de Filliache, l’oasis qui abritait les meilleurs chardonnerets au monde. Elle conserva longtemps cette renommée et on venait de loin et payait très cher pour en avoir un spécimen. Un jour, par un terrible orage, une pluie de pierres s’abattit sur l’oasis, détruisit les nids et extermina les oiseaux. Plus jamais Filliache ne retrouva son enchantement.

Son père lui a transmis sa passion mais aussi son métier : celui de la bijouterie traditionnelle. Dans son atelier-boutique, attenant au logement et ouvrant sur la rue, il travaillait l’argent et le corail. Un jour le père acheta un réfrigérateur, ce qui était alors peu répandu au Sahara sous ses 50 degrés à l’ombre. Toute la journée, les gens de passage toquaient à la porte de la boutique pour demander de l’eau fraîche. Malik les servait jusqu’à plus soif.

Dans la tradition, il y a deux choses que tu ne peux refuser : l’eau à boire et le feu pour le foyer. Son père qui lui a appris ça, entra un jour dans une grosse colère car il n’y avait pas d’eau fraîche. Il rabroua son fils en lui criant qu’il n’avait pas acheté un frigo à prix d'or pour servir de l’eau fraîche à la population de Biskra. Vexé, Malik ramassa toutes ses économies et entreprit d’aller au souk pour acheter un réfrigérateur. Il pourra rafraîchir qui il voudra sans rendre compte à quiconque. Arrivé au souk, le chant d’un chardonneret l’interpella et l’attira irrésistiblement vers le marchand aux pieds duquel était posée la cage.  Le chant était exceptionnel. Malik ne s’y trompait pas. Le prix demandé était en conséquence. Il le négocia âprement et réussit à obtenir l’oiseau chanteur pour la somme qu’il avait en poche. Il revint avec l’oiseau en cage à la maison où on avait déjà fait place au frigo attendu. Cette année là entra dans les annales sous le nom de « l’année où Malik a été acheté un frigo et qu’il revint avec un oiseau.»   

Malik est passionné par les oiseaux et familier de leur univers A l’oreille, il peut dire si c’est un chardonneret ou un "mulet", si c’est un jeune ou un male,  s’il fait la cour à sa femelle, s’il éduque ses petits alignés sur la branche ou s’il les alerte d’un danger au sol. Depuis son plus jeune âge, Malik nettoie leur cage matin et soir, leur change, toutes les heures, leur eau par une plus fraîche, les nourrit de graines de la meilleure qualité, leur fait écouter les plus beaux chants d’oiseaux enregistrés, les interpelle en sifflant leurs ramages et eux lui donnent la réplique.  Souvent, il est si absorbé par leur conversation et leur compagnie, qu’il en oublie le manger et le boire, le jour entier.

Que de fois, se promenant en forêt ou à travers champs, il frémit à l’écoute du ramage d’un chardonneret. L’esprit ravi, il suit l’oiseau sautillant de branche en branche, volant d’arbre en arbre. Malik,  fasciné par le chant qui l’entraîne, suit le chardonneret  jusqu’à la tombée de la nuit. Rentré chez lui, il passe une nuit blanche dans la hâte de revenir avant le lever du jour sur les lieux. Il fait encore nuit quand il se retrouve à siffler  sous l’arbre où la veille il avait perdu la trace de l’oiseau.

Tôt le matin, alors que la nuit baigne encore l’oasis, la cage au chardonneret à la main, Malik allait dans la forêt poser son piège à glu. Malik pose  en arc les feuilles pennées enduites sur la cage. Puis, il se replie à distance sous un arbre au tronc large et aux branches imposantes. Il s’accroupit dans la nuit. Le chardonneret en cage lance l’appel à ceux de son espèce en liberté. Soudain, Malik s’entend distinctement appelé par son nom :  « Maaaliiiiiik ! Maaaliiiiik ! »  Malik se dresse et croit reconnaître la voix de son jeune frère. Il regarde partout, fait le tour de l’arbre, tente du regard de percer l’obscurité, mais, hormis le chardonneret et lui, pas âme qui vive. Il se rassoit au pied de l’arbre et, à nouveau, il entend plus près et plus fort « Maaaliiiiiik ! Maaaliiiiik ! »  Il se relève, fait le tour complet de l’arbre dans un sens puis dans l’autre, mais personne à l’entour. Malik s’éloigne et campe plus loin le dos tourné à une haie naturelle de roseaux. Sur le qui-vive, il regarde à droite et à gauche, la peur au ventre, près à détaler à la prochaine alerte. Soudain, les roseaux s’écartent derrière lui et leurs feuilles s’agitent et bruissent. Effrayé, Malik bondit et vole plus qu’il ne court loin des génies et démons qui peuplent la forêt. Brusquement, il freine des quatre fers : il avait oublié la cage et l’oiseau. La peur de perdre son chardonneret est alors plus forte que celle des démons de la forêt. Revenu sur ses pas, Il trouva une vieille femme qui avait franchi la haie de roseaux à la recherche de sa chèvre fugueuse.  Elle le moqua : « Une vieille femme comme moi t'a fait peur ! Ah, les hommes d’aujourd’hui ! »

 Nous voilà donc avec Malik à ouvrir la lettre de la préfecture en réponse à sa énième demande de résidence. Il est inquiet. Serait-elle un refus comme les précédentes ? L’ultime demande se fondait sur une convention qui ouvre droit à une résidence régulière si le postulant prouvait avoir vécu de manière permanente pendant dix années dans le pays. Quand il reçut l’ordre de reconduite à la frontière, il venait d’accomplir dix années d’exil ininterrompu « sans papiers » et sans droits. Sur mon conseil, il réunit toutes les pièces témoignant de sa présence, relevés bancaire, ordonnance médicales, certificats d’hospitalisation, quittances de loyer, bulletins des impôts… Je l’aidais à les classer par année et par nature de document avec un numéro d’ordre pour chacun. Une lettre d’accompagnement, une copie de la convention et un tableau récapitulatif des éléments du dossier furent préparés.  Le tout fut mis sous enveloppe et déposé au service des étrangers. L’attente a commencé. Maintenant, la réponse était là sous nos yeux et l’angoisse qui se lisait sur son visage, tirait les traits de Malik. Je lui lu… la convocation à venir retirer sa première carte de résidence. Il fit un bon de joie. Il m’embrassa transporté de bonheur. Désormais il ne donnera son courrier à lire qu’à moi et je serai le seul à lui écrire ses lettres. Il ajouta enthousiaste que je lui apprendrai à lire et à écrire en français !

_« Mais, lui dis-je, qu’as-tu besoin d’apprendre une autre langue, quand tu sais parler aux oiseaux ? »  

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llustrations photo et sonore du chant de chardonneret de Filliache:

http://www.wat.tv/audio/chant-chardonneret-biskra-1qa9x_2jq6z_.html?ref=profile

Illustrations photo et sonore du chant de chardonneret de Filliache:

http://www.wat.tv/audio/chant-chardonneret-biskra-1qa9x_2jq6z_.html?ref=profile

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