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Billet de blog 21 avril 2015

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Esprit français, es-tu là ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Abdenour Dzanouni

A l’est de Paris, j’entrais dans une agence luxueuse d’emploi. Celle-ci était, contrairement aux autres, organisée en espaces ouverts, sans les horribles guichets qui vous obligent à baisser la tête et vous plier en deux pour parler au fonctionnaire assis derrière. De magnifiques plantes vertes agrémentent et séparent les petits salons coquets où sont reçus les chômeurs de luxe.

La conseillère en emploi et formation, une dame en tailleur signé et enguirlandée d’or et de pierreries, vint tout sourire m’accueillir. Elle m’invita à la rejoindre dans un coin végétal et discret où nous nous enfonçâmes dans des fauteuils moelleux. Elle me proposa de choisir entre thé et café pendant que j’enviais le petit Jésus en or qui reposait sur une croix au creux de ses seins.

La dame lut attentivement mon CV, long comme un jour de carême, puis levant le sourcil, me posa emphatique la fameuse et redoutable question: « Pourquoi n’avez-vous pas demandé la nationalité française ? » Je répondis avec la même emphase, sans réfléchir et sans malice : « Pourquoi la demander ? » Elle fit la moue, la mine assombrie et contrariée par mon manque d’enthousiasme à devenir français. Elle saisit le téléphone et me prit rendez-vous avec une autre conseillère d’une association au nom poétique d’Arpèges.

Je m’y rendis croyant enfin trouver le sésame du travail. Mon nouveau coach me sourit l’œil bienveillant. C’est après plusieurs séances de longues conversations dont je ne voyais pas l’utilité pratique que je m’aperçus que ma charmante conseillère était une psy qui pleine d’empathie pour moi, n’avait pas pour mission de m’aider à trouver du travail mais à me soigner car j’étais fou. Je savais que je n’étais pas futé mais fou ? Je ne pouvais pas le savoir, ni le deviner puisque j’étais fou ! fou, le compliment qui vous distingue de la foule des gens fiers d’être né quelque part, et de préférence blanc, catholique et français ! La joue dans une main et le regard désespéré de ma conseillère témoignaient de son impuissance à comprendre mon cas désespéré. J’avais essayé en vain de l’orienter vers l’examen de mon CV. Peine perdue, j’étais son gagne pain et elle voulait mon bien. C’est bien là l’esprit français : faire son petit profit au nom des grandes causes!

Dans l’intention de renouveler mon titre de séjour, je fus reçu au guichet de la préfecture par une dame fine guêpe qui me dit intriguée que « les algériens qui étaient nés après l’indépendance de l’Algérie avaient presque tous la nationalité française. Celle-ci leur était octroyée à la naissance par le droit du sol ou, après une longue résidence, par acquisition. Mais, ajouta-t-elle, presque tous ceux qui sont nés avant l’indépendance ne sont pas français. Pourquoi ne demandez-vous pas à être français ? » _ « Pourquoi ? répétais-je, l’air aussi intrigué qu’elle, je vous avoue madame que je ne me suis jamais posé la question, Cela ne m’a pas effleuré l’esprit… » Puis, levant les bras, j’ajoutais : « Croyez-moi, je ne me suis pas entendu avec eux pour ne pas en faire la demande ».

La « naturalisation » m’a ainsi poursuivi comme l’idée du mariage est ressassée à un vieux célibataire endurci par ses amis, tous mariés, qui veulent à tout prix son bonheur. Ils le harcèlent jusqu’à ce qu’il se pende au propre ou au figuré. Eux, seraient-ils si heureux en ménage ou jalousent-ils en secret sa liberté ? Le mot même de « naturalisation » m’a toujours terrifié et le fait de le lire ou de l’entendre prononcé suffit à me glacer d’effroi. Aussitôt je me sens métamorphosé en animal empaillé et exposé au Jardin des Plantes à côté de la pauvre Vénus Hottentote qui, enlevée d’Afrique du sud, fut exposée au regard civilisé de la volaille parisienne en plumes et monocle. Ceux-là, corsetés dans leur racisme ordinaire sont bien français, pitoyables mais bien français ! J’ai du mal à imaginer un jour leurs ressembler. Mais j’ai surtout peur de leur ressembler un jour. 

Des amis français de souche et d’autres de greffe récente ont, sous la menace d’un tsunami xénophobe dévastateur, tenté de me convaincre de devenir français. J’examinais leurs arguments et demandais un délai de grâce pour répondre. Imaginons que, par hasard ou nécessité, je veuille m’intégrer à la nation française mais laquelle ? En histoire, le Robespierre des uns jure avec le Robespierre des autres, le Napoléon sublimé de David n’est pas celui cruel et vrai de Henri Guillemin… En lettres, hormis le Roman de Rabelais, la poésie de Villon et le théâtre de Molière, le reste n’est que gâchis d’encre et de papier ! Je parle de chefs d’œuvres et non pas de quelques pages de Stendhal ou même d’une histoire de Victor Hugo ! Le moins doué des tâcherons sauvera bien une pièce ou deux, mais de chefs d’œuvres point ! Cela n’est pas particulier à la France mais vaut pour toutes les langues. Que dire des sciences ? Marie Curie pour la physique chimie planent au-dessus d’un fatras d’imposteurs et de persécuteurs. Sur la méthode, en philosophie, préférons la rigueur mathématique d’Evariste Gallois plutôt que le discours nébuleux de Descartes qui, convenez-en, manque le plus de ce qu’il prétend traiter. Puis, passons notre chemin, nous ne trouverons personne pour sauver son prochain !

Devenir français a pour résultat magnifique, pour la France, d’avoir, en une opération, un étranger en moins et un français en plus. La belle affaire ! Je l’aurai donc cherché et n’aurais plus aucune excuse ni aucun mérite d’être né ici ou là. Et puis, devenu français que vais-je faire de moi qui ne sais pas même jouer du pipeau ? « On dira par tout le pays, le joueur de flûte a trahi. » m’a prévenu Brassens. « Le seul avantage d’être français est de ne pas être étranger. » m’a soufflé Pierre Daninos. En fait, l’étranger a l’avantage incommensurable sur l’autochtone, d’être un terrien, la grosse tête en moins. Les quelques réserves exposées plus haut et qui montre la difficulté à se définir français, invitent au degré zéro de l’humilité.

Alors, comme Georges Brassens, allons-y doucement. A quoi bon se dresser sur ses ergots si demain la France change de raison sociale pour devenir « l’Emirat françaoui », une espèce de baronnie de l’Arabie saoudite, voir une réserve de chasse d’un émir qatari quelconque ! Alors, que deviendrais-je à l’insu de mon plein gré? Le serviteur obligé d’un baril de pétrole coiffé d’un chèche ? Ce ne serait pas la première fois que le rêve de Liberté mène à la prison ! Etre français alors m’obligerait à porter contre mon gré la barbe et à me promener en kamis que je retrousserai pour montrer aux gardiens de la vertu que je suis bien circoncis. Plutôt être et rester étranger et payer la dîme pour échapper à la corvée de la prière collective et à l’infamie de la servitude! 

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