La suite de la lettre est de l’eau de roche : limpide, fraîche et revigorante pour la pensée économique et tellement novatrice dans l’approche et la conception du devenir humain. L’honnête homme qui veut se libérer de la camisole idéologique sous laquelle la propagande dominante le confine, trouvera dans cette lettre un trousseau de clés et un plan d’évasion pour faire le mur de l’asile. Alors, j’invite à sa lecture, j’invite à l’évasion, j’invite à lever la tête pour suivre des yeux cette étoile qui scintille. Et quand bien même, ce serait un quinquet ou un trognon de bougie, il éclaire ! Que demande l’aveugle ?
Je voudrais tenter une ultime argumentation quant au caractère absolument létal des théories économiques-managériales dominantes : néoclassique et néolibérale. Ce qui dépasse largement, mais inclut, le cas algérien. L’argument tient essentiellement en l’usage d’éclairages de sciences fondamentales pour comprendre pourquoi le couple économie-management dominant (à la US) ne tient pas (euphémisme) ses promesses de prospérité pour tous.
Sortant, suivant le légendaire conseil d’Einstein, du raisonnement économique pour comprendre pourquoi il y a des problèmes économiques. Et appliquant des éclairages venant de la biologie, de la biophysique et de la thermodynamique, il devient aisé de réaliser que le pivot de la logique économique dominante est irréaliste et destructeur (ce qui dure depuis près de deux siècles, dès l’avènement de la pensée néoclassique) : le principe de croissance infinie, appuyé sur celui du marché autorégulé.
Partons du constat scientifique fondamental que tout n’est, in fine, qu’énergie : matière, travail, carburant, électricité, machinerie… Et même argent et capital – ces derniers n’étant que «du travail cristallisé» sous forme monétisée : nulle unité monétaire ne saurait «circuler» sans avoir été, d’abord, la rémunération d’un travail quelconque, effectué quelque part.
Le travail étant de l’énergie, l’équivalence argent-capital-énergie est évidente (le raisonnement est tout aussi valable pour l’argent produit par l’usure, l’intérêt : voir livre cité plus haut). Il devient donc légitime de se poser la question de savoir d’où provient la quantité d’énergie dénommée «profits» (en tant que quantité monétaire qui n’est, à la base, que portion du paiement du «travail global» à l’origine de ladite valeur ajoutée, qui est à l’origine dudit profit…).
Quelques connaissances en physique et en thermodynamique nous font vite réaliser que nous ne savons faire qu’une chose et une seule avec l’énergie : l’extraire et la détruire ! Irréversiblement. Nul ne sait fabriquer, ni créer, nulle énergie : in fine, puisque tout est énergie, non seulement nous ne créons absolument rien (nous transformons, ce qui est d’abord destruction) mais nous dégradons toujours plus en rapport de ce que nous prétendons créer.
Prenons un exemple simpliste : le boucher qui transforme des bovins en biftecks et les vend avec «valeur ajoutée», crée-t-il ses profits ? (on peut aussi bien prendre comme exemples le bûcheron avec les arbres, ou la pétrolière avec le pétrole…). Si le boucher créait le profit qu’il réalise avec des biftecks, cela voudrait dire qu’il crée la viande. Puisque c’est avec de la viande qu’il gagne de l’argent. Ces biftecks et cette viande ne sont pourtant que destruction de vaches transformées en biftecks, alors que nul boucher ne sait fabriquer une vache.
C’est la destruction systématique et irréversible (on ne peut refaire une vache à partir des biftecks) de vaches qui fait les profits. On sait par ailleurs que nulle source d’énergie ne peut être utilisée à 100%... il y a donc, dans toute transformation, plus de pertes que de dits gains, en termes bio-physico-écologiques nets.
Les «profits» du boucher, c’est la destruction de la vache additionnée aux déchets de la même vache jamais utilisés, additionnés aux innombrables autres énergies qui ont été utilisées depuis l’élevage de l’animal jusqu’à son étalage sur un comptoir à steaks. Il y a en fait, du point de vue des sciences de la vie et de l’univers, à l’inverse de ce que prétendent les «sciences» économiques et managériales, toujours plus de pertes que de gains. C’est ce qu’on dénomme «boucles de rétroactions positives» : l’inverse des boucles de «rétroactions négatives» qui régissent la vie, la nature et l’univers, et qui ne sont que constants fragiles équilibres homéostatiques.
En bref, cela veut dire que notre monde marche sur sa tête depuis pas loin de deux siècles en admettant l’idée folle que, contrairement à tout ce qui fait nature et univers -les équilibres-, l’économie, elle, (avec son éternel complice le management) peut s’en passer en visant un déséquilibre aussi constant qu’exponentiel : la croissance infinie des gains et profits… dans un monde fini ! Ce qui peut en être déduit est imparable : il ne saurait y avoir croissance en un lieu que s’il y a décroissance toujours plus grande ailleurs (effets cumulatifs du principe de non-usage total de l’énergie).
Cela signifie qu’il n’y a croissance du PNB aux USA par exemple, que parce qu’il y a dégringolade –constante et toujours plus importante – de la qualité de vie des plus démunis, des Amérindiens, des Noirs, de la Nature…; que parce qu’il y a destruction de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Syrie, de la Libye… hyper pauvreté en Afrique, en Asie… réchauffement global, étouffement des océans, hausse des chômages, des inégalités, des conflits. La boucle de rétroaction positive du profit et de la croissance s’alimente d’une autre qui, elle, forcément, s’accélère plus vite : celle de la dégradation exponentielle de la qualité de vie du plus grand nombre et de la nature.
Il ne peut y avoir augmentation d’usage de l’énergie en un lieu quelconque de notre monde, sinon en en privant d’autres lieux, d’autres êtres, d’autres créatures, d’autres sociétés : le gain d’énergie des uns - croissance- se paie par un «transfert», une perte toujours plus grande d’énergie des autres : appauvrissements, sécheresse, disparition d’espèces, guerres, famine, épidémies, désertification… (Conséquences inexorables du principe de non-usage total de l’énergie et du 1er principe de la thermodynamique : la constance de la quantité d’énergie à l’échelle de l’univers).
La seule issue, comme je ne cesse de le crier depuis des décennies, est de renoncer aux létaux principes de l’économie néoclassique et néolibérale, qui dominent notre planète depuis déjà trop longtemps. Aller vers ce que d’aucuns dénomment (et prônent un peu tard) «croissance zéro», «économie de la décroissance», «économie circulaire»…
Nul besoin de savants calculs ou statistiques pour se rendre compte que tout, et partout en ce monde, ne fait que se dégrader de jour en jour. Chaque dollar supplémentaire de profit, ou de hausse du PNB, fait chaque jour plus de dégâts que la veille : chômage, pauvreté, injustice, pollution, dégâts climatiques, violences sociales, disparition d’espèces par milliers, etc.
Faut-il être à ce point aveugle pour ne pas voir que pour chaque pseudo «création», il y a toujours plus de destructions ? C’est exactement ce qu’indique l’indice Earth Overshoot Day (calculé par l’ONG américaine Global Footprint Network : c’est le jour de l’année où nous épuisons tout ce que la Terre ne peut donner qu’au bout de 12 mois, depuis l’eau jusqu’au pétrole en passant par le blé, le poisson, les arbres… et tout ce qu’on voudra…) qui recule chaque année davantage.
En 1970, c’était le 23 décembre, en 1993 le 21 octobre, en 2003 le 22 septembre, en 2015 le 13 août et en 2016 le 8 août. Cela signifie que, depuis le 8 août de cette année, nous vivons sur 5 mois de «crédit» pris sur ce que la terre ne donnera qu’en 2017 ! Le jour où cette date arrivera au 1er janvier, il n’y aura plus de planète viable, ce que certains prédisent pour les horizons 2030-2050. Il y a plus que feu en la demeure. Mais la «science» économie-management ne peut expliquer ni comprendre cela puisqu’elle confond hausse de richesses en numéraire avec usage efficace des ressources de la terre.
Ce sont des sciences fondamentales, comme la biophysique et la thermodynamique qui nous expliquent comment chaque transformation de la nature en 1 $ de dite «richesse» monétisée, n’est en fait que destruction de l’équivalent de nombre de fois (impossible à estimer) plus d’équivalents $ de ce que la terre a donné pour cette transformation. C’est cela qui explique l’accélération du Earth Overshoot Day, et c’est cela qui explique aussi le fait que toutes les pseudo-théories du rattrapage ne sont que poudre aux yeux et impossibles chimères. Le prix à payer pour les (si relatifs) «progrès» de la Chine, du BRICS… c’est l’hyper pauvreté de pans entiers de leurs citoyens, les hyper-dégâts à leurs milieux naturels, à leur climat...
C’est aussi l’extrême pauvreté de l’Afrique, le chaos du Moyen-Orient, l’Europe qui s’enlise, l’Amérique qui stagne malgré la multiplication de ses invasions pétro-impérialistes… Tout cela sans parler de la fonte accélérée des banquises et des pergélisols en Sibérie, Toundra, Taïga, Laponie. Libérant à la fois des mégatonnes de méthane qui accélèrent les dérèglements climatiques, et des bactéries et des virus revenus d’autres âges comme ceux de l’anthrax qui décime troupeaux de Rennes et Sibériens, ceux de la variole, de la lèpre, du typhus, de la peste bubonique…
Au moment où j’écris ces lignes, nous vivons avec plus que l’équivalent de 1,6 fois notre planète. Si l’Afrique «rattrapait» aujourd’hui le niveau de vie du Canada, il nous faudrait immédiatement, selon des rapports de l’OCDE, deux ou même trois planètes ! Combien en faudrait-il si l’Afrique s’amusait à rattraper le niveau des USA… ou de la Suisse ?
Mon désespoir face à ces «science» économiques-managériales psychopathiques dépasse de loin, on le comprend, le seul cas algérien. La question ne se pose plus guère en termes de théories, modalités ou modèles, elle se pose en termes de changement radical de paradigmes. La chose la plus intelligente à faire avec la finance (j’ai eu maintes fois l’occasion d’expliquer comment la finance est l’ennemi de l’économie et comment la crise de 2008 qui n’en finit pas s’alimente de la spirale «pensée néolibérale qui veut guérir les maux du néolibéralisme») c’est de fermer immédiatement toutes les bourses et nationaliser toutes les banques du monde (voir Islande et…Suisse qui étatisent ou enlèvent aux banques privées le droit de création monétaire ! Voir : http://theconversation.com/priver-les-banques-du-pouvoir-de-creation-monetaire-un-remede-suisse-et-islandais-contre-les-exces-bancaires-58075). Avec le PNB, c’est non seulement d’en stopper d’urgence la croissance, mais d’en organiser la baisse partout où l’on vit au-dessus des besoins essentiels.
Voilà le combat intelligent que nos élites, en Algérie et ailleurs, devraient mener, pas celui du continu et suicidaire «comment enrichir plus les riches», sous prétexte que «le marché» transformera leur enrichissement en emplois, en services, en bien-être commun ! Mais… qui est prêt à écouter ce discours ? A faire l’effort de le comprendre ? A en faire une plateforme d’économie politique ? Une plateforme électorale ?
L’écrivain-philosophe, Upton Sinclair, m’aide à conclure cet ultime cri par cette magistrale formule : «Il relève de l’impossible que de tenter d’expliquer quelque chose à quelqu’un dont les intérêts et les émoluments dépendent précisément du fait qu’il n’y comprenne rien !» L’économie dépend de l’écologie et non l’inverse : à quand un miracle pour l’admettre et l’appliquer?
Professeur Omar Aktouf