Par Abdenour DZANOUNI

Les chenilles dans le chou-fleur et les asticots dans le riz… C’est ce que les personnels des cantines de trois écoles primaires à Marseille ont découverts à leur grand effroi. Prévenues, les mamans accoururent éperdues pour récupérer et réconforter leur progéniture. Mais pourquoi donc vouloir toujours faire peur aux enfants? Tous les démographes et les nutritionnistes s’accordent pourtant pour dire qu’il faut se préparer à substituer au régime alimentaire actuel, un mode d’alimentation insectivore seul propre à satisfaire les besoins nutritifs futurs de la planète. C’était là une opportunité pour l’école de préparer l’avenir de ces chers petits. Mais non, encore une occasion ratée d’accrocher le wagon au train du progrès. Ah, préjugé quand tu nous tiens !
À l’heure où les pianos de cuisine envahissent les plateaux de télévision, découvrir et s’accoutumer à une cuisine exotique et ouvrir la palette des sens à de nouveaux goûts et fumets, peut participer à l'essor de la fraternité universelle. Que reste-t-il de ces grands voyages ou de ces guerres de conquêtes et de rapine, sinon ici le couscous des berbères, les pâtes de Chine et les pommes de terre du Pérou ? Il n’est peut-être pas nécessaire d’en arriver à ces extrémités belliqueuses, pour partager un repas avec l’autochtone ?
Une nouvelle industrie alimentaire pourrait ainsi voir le jour avec des termitières en Ethiopie, des fourmilières au Mali et des nids de criquets au Sénégal. Les insectes, qui comme les sauterelles, sont un fléau qui ravage les récoltes et provoque la famine, deviendraient une ressources nutritive et protéïniques formidable qui nourrirait les autochtones et s’exporterait. La brochette de sauterelles grillées en barbecue est un délice comparable à la crevette de méditerranée. L’Ethiopie éradiquerait ses famines endémiques et exporterait ses termites pour pizza afin de nourrir les italiens affamés. Le bouillon de fourmis à la malienne serait dans toute les cartes des restaurants français. Les plus grands chefs rivaliseraient d’imagination pour apprêter les insectes chatoyants d’Amazonie, d’un filet de citron et d’herbes odorantes.
Mais enfin les préjugés culinaires sont des freins puissants qui pèsent sur la société et la rejette en arrière comme le ressac de la vague quand celle-ci croit avoir atteint la plage. Voilà, l’histoire !
Ce sont ces freins qu’il nous faut examiner chez celui qui en grimaçant demande inquiet : est-ce comestible ? est-ce cascher ? est-ce hallal ? Et comme l’âne de Buridan qui, hésite entre l’eau et l’orge et ne peut se décider, finit par mourir de faim.
Qui ne se souvient de l’irruption soudaine dans le débat politique en France de la consommation de la viande halal dans les cantines scolaires ? Les gens étaient terrorisées par ce mot, si inoffensif en arabe, mais barbare pour ceux qui ignorent sa signification en français.
S’étant pourtant promis de ne pas discuter ni les goûts ni les couleurs, votre humble serviteur se résout à rompre ses vœux de silence et à se départir de sa réserve ordinaire. Car il y a nécessité d’apporter les premiers soins, sinon le réconfort, à des hommes et des femmes désemparés et terrifiés par ce mot « halal » si difficile à prononcer et à l’accent si suspect… à l’oreille. Ce faisant, nous suivons le bel exemple de Louis Pasteur qui disait « demander au malade non pas d’où il vient, ni qui il est, ni en quoi il croit, mais où il a mal ! »
Gardons-nous toutefois de faire comme la cigogne qui voulant donner un bécot à son petit, l’a éborgné ! N’y a-t-il pas en effet de la présomption à vouloir raisonner une personne tétanisée par la peur, paniquée par la menace d’une nouvelle épidémie qui déferle sur les assiettes de nos chers petits innocents… menace d’autant plus terrifiante que son nom est barbare ?
Les nouveaux convertis et le cochon
« Est-ce que la viande halal est licite ? » Traduit au pied de la lettre, cela revient à dire « est-ce que la viande licite est licite ? ». Reposons donc la question de manière plus contextuelle et précise : « Est-ce que la viande licite pour les musulmans est tabou pour les chrétiens ? » Avant d’y répondre, remarquons combien, parmi tous les interdits, l’emprise du tabou alimentaire est formidable. Pour illustrer en contre-champs ce propos, suivons ce reportage sur la conversion d’algériens à la religion chrétienne et diffusé clandestinement de nuit sur les ondes de France Culture.
Le premier interviewé avoue au journaliste qu’ayant émigré clandestinement, il voulait régulariser sa situation administrative en se faisant passer pour un chrétien persécuté pour sa religion dans son pays. Pour prouver sa bonne foi, il fréquente alors assidument l’église.
_ « Et c’est comme cela, dit-il, que me croyant malin, je suis devenu vraiment chrétien ! »
_ « Alors, lui dit le reporter, tu manges du cochon ! »
_ « Ah, non ! Jamais ! » s’écria le jeune dans un haut le cœur.
Le second interviewé raconte que sa famille inquiète des sorties dominicales mystérieuses de leur fille aînée, lui confia la mission délicate de la suivre discrètement pour voir où elle se rendait. Ce qu’il fit ce dimanche là et sa filature le mena aux portes de l’église où sa sœur entra sans se douter qu’elle était suivie.
_ « Quand je poussais la porte après elle, j’ai entendu de la musique et des chants. C’était si beau, si merveilleux que je suis tombé sous le charme ! »
_ « Alors, lui dit le reporter, tu manges du cochon ! »
_ « Jamais ! se défendit furieusement le jeune homme. »
À ce moment, passe une jeune exaltée qui, avec l’enthousiasme du néophyte, chante d’une voix mélodieuse et douce, et annonce au monde entier:
_ Jésus revient… Jésus est parmi nous…
Et notre reporter, insensible à ce moment délicieux d’extase, pose obstinément la question qui fâche:
_ « Alors, tu manges du cochon ? » lui dit-il.
_ « Jamais de la vie ! » s’écria-t-elle soudain bouleversée.
Voilà donc trois personnes, qui ne se connaissaient pas et qui toutes trois, par des démarches et des voies différentes, ont bravé l’apostasie et se sont converties allégrement à une religion souvent considérée comme adverse sinon impie. Mais toutes trois ont la même réaction vive d’aversion et de rejet à l’idée de consommer du porc.
Si le tabou porte ici sur le porc, il concerne là le chien ou là encore le serpent ou bien le singe ou encore la chair humaine, pour les humains autres que les cannibales, et jusque chez les végétariens pour qui toute viande est tabou. Et ce qui est tabou chez les uns est comestible chez d’autres. Mais chez tous, la simple évocation de l’idée de consommer de la viande tabou, provoque, un haut le cœur irrépressible. Et cela partout dans le monde depuis la nuit des interdits.
AD
( Prochain article: LE HALLAL POUR LES NULS, Selon Saint-Augustin )