Par Abdenour DZANOUNI

Ne vous inquiétez pas, monsieur Morelle, bientôt le scandale de vos chaussures s’éteindra. Il ne fera pas plus de bruit que ne faisait leur crissement dans les allées de l’Elysée. Peut-on vous reprocher sérieusement d’avoir donner du travail à un cireur de chaussures qui sans vous aurait grossi les hordes de chômeurs ? Que vous ayez remonté de l’illustre cave des crus de haute lignée pour les faire découvrir à des journalistes ignorant la richesse du terroir français, prouve que vous avez bon goût et savez recevoir. Ne disons rien de votre patriotisme ! Au nom de quelle règle sacrosainte, le divin nectar devrait-il être réservé aux chefs d’Etat, bourreaux des peuples, qui régentent le monde ? En quoi leur palais serait-il plus fin que celui des journalistes ? Vous, premier conseiller à la communication du palais, votre mission est d’imbiber les journalistes d’alcool, suffisamment pour leur faire croire qu’une vessie est une lanterne et qu’ils l’écrivent dans leur journal. « Tout va bien ! » écriront-ils le soir pour le découvrir le lendemain en émergeant des vapeurs éthyliques des grands châteaux. Pour retrouver leurs esprits, ils sortiront, du tiroir de leur bureau, la bouteille subtilisée à votre table la veille et feront la soudure. Ils attendront ensuite, le portable à la main, la prochaine invitation à l’Elysée. Mais quel mal y a-t-il à tenir salon ? Vous étiez en quelque sorte dans le rôle de la première dame du pays, en l’absence de l’officielle. Ne rougissez pas, il n’y a pas de sot métier.
Monsieur Aquilino Morelle, ça va ?
La vie était belle n’est-ce pas ? Enfant , votre père vous a pris sur ses solides épaules d’ouvrier, vous faisant découvrir d’en-haut un monde vertigineux … Ah, ce qu’il était fier et votre mère gorgée d’orgueil. Vous étiez leur chef d’œuvre, pardi ! Leur revanche sur les bourgeois qui se faisaient un rang social d’avoir leur « bonne espagnole ». On disait snobs, à l’époque ! Le mépris de classe, ce racisme social, existe. Et un enfant qui voit son père ou sa mère pleurer d’impuissance, face à l’humiliation ou à l’abus d’employeurs, sera habité toute sa vie par cette image en boucle. Un jour, il prendra sa revanche, se jure-t-il. Cette haine rageuse sera le moteur de ses études et l’accompagnera pas à pas, jour après jour, classe après classe.
Il vous a fallu de la rage au ventre pour réussir vos études, vent debout contre les préjugés. Les espagnols seraient des aficionados invétérés de sieste, de corrida et de fiesta. Les bruits courent que pour les espagnols « être ponctuel est une perte de temps ! ». « L’idée de travailler les fatigue ! » ajoutent les amateurs du prêt à penser, eux pour qui réfléchir par soi-même donne des crampes au cerveau ! Ce n’est pas le plus doué de ces gens qui serait admis à entrer, en même temps, à l’ENA et en Faculté de médecine et surtout à en sortir doublement diplômé ! Mais comme me disait ma mère qui n’a pas été longtemps à l’école : « Il y a ceux dont la faim habite le ventre et d’autres la tête. ». Les premiers resteront taraudés par l’envie insatiable de posséder et de dominer les autres pour exister. Les seconds réfléchiront avant de parler ou d’agir de crainte d’humilier un enfant qui quelque part, en rentrant de l’école, verrait pour la première fois, sa mère ou son père pleurer.
Le cireur de chaussure du Bon Marché, David Ysebaert raconte que vous l’aviez fait venir à un salon de l’hôtel Marigny au milieu des lustres et des dorures. Vous étiez au téléphone, en chaussettes, au milieu de cette salle immense. Et lui en face de vous en train de vous cirer les souliers. Quel sentiment de revanche d’avoir un homme à vos pompes ? Quelle jouissance en avez-vous éprouvée ? Est-ce cela le prix des larmes d’un ouvrier ?
Monsieur Aquilino Morelle, ça va ?
Au sortir de vos riches études, vous rejoignez, en 1992, le corps d’élite de l’Inspection Générale des affaires Sanitaires et Sociales (IGAS) qui sera désormais votre port d’attache administratif. De là, vous faisiez des virées dans les ministères ou dans le privé et vous y reveniez sans passer par la case ANPE. En 2007, retour à la prestigieuse IGAS où, rapporte Média part, vous rédigez un rapport sur « l’encadrement des programmes d’accompagnement des patients associés à un traitement médicamenteux, financés par les entreprises pharmaceutiques ». En même temps , par l’entremise d’un directeur des Hopitaux et Assistance Publique de France, vous êtes mis en relation avec le laboratoire danois, Lundbeck auquel vous proposez vos services. Le responsable qui vous a rencontré raconte : « Il m’a dit qu’il cherchait à travailler pour l’industrie pharmaceutique, qu’il avait du temps libre, que son travail à l’IGAS ne lui prenait que deux jours sur cinq, ce qui m’a semblé bizarre. Mais son profil et son carnet d’adresses nous intéressaient. » Vrai ou faux ? Si c’est vrai, vous êtes trop intelligent et cultivé en la matière pour ignorer que vous commettiez là un délit pénal. Dans ce cas, par pitié, ne vous enfermez pas comme d’autres, dans le mensonge.
Réfléchissez : pourquoi donc ce responsable du Laboratoire Lundbeck vous balance-t-il aujourd’hui ? Ce faisant, il se réclame, protégé par le secret des sources, de sa propre forfaiture et dénonce nommément le laboratoire, son employeur, de corruption de fonctionnaire ! Quand la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, créée à la suite de « l’affaire Cahuzac », déclare qu’elle examine votre dossier pour « une étude plus approfondie de vos déclarations d'intérêts et de patrimoine », cela rappelle le triste spectacle de la commission parlementaire qui, à propos de l’affaire Cahuzac, se limitait à étudier des « dysfonctionnements » et autres euphémismes du genre, à prononcer la bouche en cul de poule, pour embrouiller le français normal. Sans préjuger du résultat, il ne faut pas être sorti de Saint Cyr pour comprendre que l’investigation n’ira pas plus loin que « l’affaire Morelle » et que ni l’assemblée nationale, ni la Haute Autorité citée n’ont l’ambition de dévoiler le système qui vous a engendré. Devinez-vous pourquoi, monsieur Morelle?
Que fait l’Inspection Générale des Affaire Sociales et Sanitaires (IGAS) dont l’inspectrice générale, Dominique Voynet prend aujourd’hui les commandes ? L’IGAS, créée en 1967 de la fusion de plusieurs corps d’inspection est devenue de plus en plus une pension pour les cadres en réserve de la république et une résidence pour élus retraités. François Chérèque, Fadéla Amara et d’autres y coulent des jours heureux. Mais pour Dominique Voynet, si elle reste fidèle à ses engagements politiques écologiques et environnementaux, que de chantiers à ouvrir pour l’inspection et le contrôle effectif et efficient des industries biologiques, nucléaires, chimiques, automobile, pharmaceutiques, agroalimentaires et d’élevage? Rassurez vous, monsieur Morelle, elle n’aura pas le temps d’étudier un éventuel passage pour vous en commission de discipline. Elle aura à dépoussiérer les bureaux en donnant des dossiers à traiter à tous les inspecteurs, assurer la relation entre eux et les ministres… nettoyer les écuries d’Augias.
Dans ce haras de reproduction des purs sang du système, les bureaux des barons restent généralement inoccupés. Pour ceux qui pointent, le zèle n’est pas permis. Aux frais émoulus qui ont le feu sacré de servir l’intérêt public, on fait comprendre subtilement que la « fonction d’inspection implique la renonciation aux ambitions de carrière », selon le mot d’Hélène Strohl. Pour briller, il faut être dans le rapport à fort potentiel de retentissement médiatique. Vous avez su, monsieur Morelle, vous mettre en évidence en vous emparant du scandaleux dossier du « Médiator » dont vous étiez seulement corédacteur. Pourtant, il n’y avait pas à pavoiser que l’IGAS produise un rapport plus de quinze ans et deux mille morts après la validation du produit et de son prix par le ministère de la santé ! Près d’un milliard versé par la Sécurité Sociale et les mutuelles à l’industrie pharmaceutique pour un médicament qui tue. Quand cet argent, fruit des cotisations des entreprises et des travailleurs, sera-t-il remboursé ? Où sont les experts scientifiques du ministère de la santé qui ont autorisé ce poison à la vente et son remboursement. Où sont ceux qui ont autorisé les prothèses mammaires PIP? Le nom des personnes qui ont délibéré sont sur des procès verbaux qu'il est possible à la Haute Autorité, l’IGAS ou l'Assemblée Nationale de retrouver pour peu que leurs fonctionnaires soient soucieux de mériter leur salaire .
Car au delà de la sanction de la faute, et de la récompense du mérite, qui doivent être la règle en démocratie, la société est en droit d'interroger les "Grands Prescripteurs" du ministère de la santé pour savoir et corriger les failles du système. Mais qui contrôle qui ? Ceux qui sont chargés, à titre divers et à tous les stades, de la protection de la santé publique ont failli. Un peu comme vous qui avait franchi le Rubicon en participant à ce système qui autorise la fabrication, la vente et le remboursement des médicaments qui au lieu de soigner tuent. Au lieu donc de dénoncer les « attaques » dont vous dites être l’objet, prenez vos responsabilités. Contribuer à redresser des torts plus grands que ceux que vous avez commis.
AD