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Billet de blog 23 février 2015

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CIMETIÈRE JUIF DE SARRE-UNION: LETTRE D'OUTRE-TOMBE

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 Ah, mes aïeux, quelle charivari ! Nous étions là allongés au bord de ce bras de rivière, à l’ombre des arbres, distraits par le chant des chardonnerets et le clapotis de l’eau effleurant la berge… Là est un trou de verdure et d’eau où, dirait Brassens (1),  on passerait bien l’éternité à faire du pédalo. Dieu, qu’il est mignon ce cimetière de Sarre-Union ! Une préfiguration du paradis !

 De loin en loin, la haute grille qui nous enferme s’ouvre pour laisser entrer un nouveau pensionnaire : est-il Sépharade ou Ashkénaze ? Si la tombe est plate, il est Sépharade, si elle a une stèle, il est Ashkénaze. Shalom ! Et selon l’accent et le teint il rejoint sa tribu d’origine. Ici, parler américain ne donne aucune supériorité car allongés tous les gisants ont la même hauteur. Réduits à la poussière d’où nous venons, c’est là que viennent s’échouer toutes les illusions vaniteuses !

 Mais ce qui rend insupportable la mort, c’est la solitude ! Abandonnés par nos enfants égoïstes et ingrats, nous habitons des tombes oubliées dont aucun cailloux ne marque la dernière visite et dont plus personne de vivant ne connait l’adresse. Mon dieu est-ce cela l’enfer ? Oui, le cimetière de Sarre-Union est abandonné comme n’importe quels ruines antiques ou village dévasté. Nos familles et le maire font peu de cas de notre dernière demeure. Depuis des lustres, les tombes et les allées qui y mènent n’ont ni gardien ni entretien ! Que d’orages diluviens et que de vents de tempête, renversant les tombes et emportant les stèles, avions nous essuyés sans que cela n’inquiète.

 « Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ! » devrions-nous écrire au fronton du cimetière. Mais nos proches, ici et ailleurs, qui ne jurent que par leurs aïeux, se bousculent à la porte de la synagogue pour se faire voir en se mettant au plus près du rabbin. Et qu’il n’y ait plus que deux familles juives à Sarre Union peut expliquer mais pas justifier que le cimetière soit abandonné au gouffre de l’oubli.

 Au cimetière, quand au bord des tombes, nous avons fini d’échanger les recettes de h’rira tunisienne et de bortsch russe, fini d’écouter les souvenirs des survivants d’Auschwitz et d’évoquer les soirées de malouf de Constantine, supporté patiemment les louanges des grands-mères sur leurs petits fils chéris qui « sont connus dans le monde entier » mais qui ne viennent jamais les voir, tout est dit.

 L’ennui y est mortel ! Imaginez alors quand ce jeudi mémorable, du 12 février 2015, le portail a grincé sur ses gonds sous la poussée de cinq gosses venus explorer ces ruines abandonnées, ce cimetière juif-incas aux motifs étoilés, ces rives d’un continent inconnu qu’ils découvraient, les yeux écarquillés !

 Imaginez ! Pour nous les morts, c’était comme être réveillés par le chant des oiseaux, le murmure de la source, un souffle au parfum de sève qui remonte des racines au faîte des arbres. Nous avons été jeunes comme eux. Comme eux nous nous sommes amusés. Que n’avons-nous chambré de plus vieux et déniaisé de jeunes culs-terreux par nos farces cruelles et tendres. Quels gamins n’a pas eu sa « maison brûlée » ou son chantier abandonné pour y jouer à cache-cache ? Nous avons fait de ces ruines le terrain de nos jeux et défis de gamins insouciants. Et pour des gosses quel lieu est plus tranquille qu’un cimetière pour se délasser de la galère du bahut ?

 Nos visiteurs ont fait la course à perdre haleine dans les allées, sauté par-dessus les tombes en dérive, joué à saute-moutons sur les stèles branlantes. Ils ont rempli de leurs cris joyeux le sinistre cimetière et ri aux éclats à réveiller les morts. Nous sommes alors sortis de notre gangue de pierre, mêlant nos cris aux leurs et nos rires à leur joie. Nous avons couru ensemble et ensemble renversé les dalles et les stèles. En voilà un chahut de gamins qui ressuscite les morts quand depuis longtemps des vivants sont morts et ne le savent pas encore ! Vive la Révolution !

 Mais quel ne fut notre sidération, le lendemain quand dans une même chorégraphie, les télévisions, radios et journaux ameutèrent le monde entier de l’agression de notre cimetière par des antisémites ! Les journalistes rapportent les chiffres de 300 puis 250 tombes profanées. Le troisième jours elles ne sont plus que 50 et plus approximatifs encore quelques dizaines de tombes. Selon la police ou le CRIF ? Mais on a vite mis les morts à table et le banquet pour asticots  dressé.

 Ecoutons les convives : Jacques Wolff , représentant de la communauté juive de la ville, composées seulement des deux dernières familles juives de Sarre Union, se dit «anéanti». «Mon père est mort à Auschwitz en 1943, il est enterré  ici. Il y a de quoi être ému ». M.Wolff, tous les survivants d’Auschwitz vous le diront : « Si votre père y est mort en 1943, il ne pouvait être enterré en Alsace car il n’y avait alors pour les déportés d’autre sortie  que la cheminée » comme aimaient à le dire les déportés eux-mêmes, ne pouvant résister à l'humour tendre et cruel qui aujourd’hui décline irrésistiblement.

 Terrorisé par cette campagne médiatique, le plus jeune des gamins court au commissariat se rendre les-mains au ciel en criant « Je ne suis pas antisémite ! ». Il avoue qu’il croyait avec ses potes que le cimetière était abandonné et qu’ils l’ont choisi pour terrain de jeux. Gageons qu’après leur passage du lycée à la prison, ces gosses deviendront de vrais antisémites. 

Questions: les palestiniens et les libanais étant sémites, quand le juif américain Netanyahou bombarde et tue des milliers de femmes et d’enfants palestiniens et libanais, qui est antisémite ? Quand l’américain G.W Bush bombarde les populations irakiennes et fait, toutes confessions confondues,  des centaines de milliers de victimes sémites, qui est antisémite ? Quand le juif hongrois, Nicolas Sarkozy bombarde les villes libyennes détruit des milliers de maisons et tuent des milliers de civils, pour soutenir au sol l’avancée des mercenaires saoudiens et qataris, qui est antisémite ? Quand pour réaliser leur fantasme d’un califat chimérique, les sultans arabes saoudis et qataris lèvent les troupes de mercenaires et sèment la mort et le chaos, depuis le Nigéria jusqu’à la Tchétchénie, qui est antisémite ?

Et nous les juifs, regardons-nous : les Ashkénazes qui se croient «la tribu élue» tiennent en mépris les Sépharades, et en haine les Falashas. Ne disons rien de leurs sentiments pour les juifs noirs… Comble de la vanité : à Tunis, il y’a un cimetière pour les riches juifs de Livourne et un autre pour les pauvres juifs twensa. Ainsi, même dans la mort qui rend toutes choses égales, nous nous croyons supérieurs aux « autres ». Autant le dire : Plus antisémite, tu meurs !

 Alors, comme le disait le journaliste Ahmed Halli, « De grâce, au lieu de vous lamentez sur les morts, ayez pitié des vivants ! »

 Signé : Par procuration pour un juif pensionnaire perpétuel du cimetière de Sarre-Union

 Abdenour Dzanouni

(1) Allusion à la chanson "Supplique pour être enterré à la plage de Sète," …

"Pauvres rois pharaons ! Pauvre Napoléon !

Pauvres grands disparus gisant au Panthéon !

Pauvres cendres de conséquence !

Vous envierez un peu l'éternel estivant,

Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant,

Qui passe sa mort en vacances...

Georges Brassens

(1966 - Supplique pour être enterré à la plage de Sète,)

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