" Il faut dire qu'Alphonse Juin n'est pas n'importe quel maréchal de l'histoire militaire française!" écrit le journaliste Nicolas Berrod du "Parisien" avant d'en faire, à l'unisson de ses confrères, un portrait lustré à la gomme. Il rapporte en soutien, les réactions unanimes des élus offusqués par l'offense au maréchal: " Une « honte », pour le secrétaire d'Etat Olivier Dussopt, tandis que sa collègue auprès de la ministre des Armées Geneviève Darrieussecq s'est dite « écœurée et scandalisée ». Le député Les Républicains Éric Ciotti a accusé de son côté des « casseurs [qui] crachent sur la mémoire nationale ». Éplorés et contrits, Anne Hidalgo et le maire du 13 eme ont observé une minute de silence pathétique aux pieds du maréchal...
Silence assourdissant sur la participation du maréchal, aux côtés d'un certain Francisco Franco, commandant alors les troupes espagnoles, à la répression des marocains insurgés. Quelle gloire en effet d'avoir détruit la première République moderne fondée en Afrique, en 1921, par Abdelkrim El Khettabi Nous ne dirons rien de l'usage massif de l'ypérite, le terrible gaz moutarde, répandu sur les populations civiles du Rif. Nous ne dirons rien, non plus, sur sa participation à la déportation des juifs d'Algérie, dans un camps de concentration au Sahara. Disons seulement que la la lutte contre l'amnésie devrait être une cause nationale.
Mais que dire de l'opportunisme impénitent du maréchal Juin, lui qui a retourné sa veste toujours du "bon côté" et au "bon moment"? Si bien, qu'à la moindre brise, sa statue se mettrait à tourner comme une toupie. Jugez-en! il a été, en 1925 au Maroc partisan de Lyautey quand il fut remplacé par Pétain. Puis, en mai 1940, quand l’armée nazie envahit la France, il sert avec zèle Pétain contre de Gaulle. Enfin, en Afrique du nord, deux semaines après le débarquement des américains à Alger, en novembre 1942, il se rallia, contraint et forcé, à de Gaulle contre Pétain,! « Ce n’est pas moi qui tourne, aurait dit Talleyrand, mais le vent ! »
Poursuivons notre promenade autour de la Place d'Italie comme on vérifie sa mémoire en revisitant un passé d’apparence révolu... Ah la butte aux cailles ! Où que vos yeux se posent, s’élève le cri des parisiens insurgés contre les généraux déserteurs, fuyant devant l’armée prussienne. Partout, les murs chantent « Le temps des cerises… le merle moqueur… » 1870 ! Tendez l’oreille… Fermez les yeux… Voyez les communards debout sur les barricades, défendant leur commune contre les canons des Versaillais. Vous entendrez, comme si vous y étiez, le général Thiers, incapable de défendre son pays contre l’envahisseur allemand, vociférer l’ordre de tirer à boulets rouges contre le peuple de Paris.
Ouvrez les yeux… Des milliers de policiers, harnachés en Robocop et armés de grenades invalidantes, éborgnent et mutilent des citoyens vêtus _ allez savoir pourquoi ?_ d’un gilet jaune sensé, dit-on, les protéger.
Au sortir de la rue de la Butte aux cailles, visez de l’autre côté de la place d’Italie. Là, en face, la rue Godefroy. Vous y découvrirez des plaques, ici et là, évoquant le séjour du jeune Ho Chi Minh, futur dirigeant de la guerre d’indépendance du Vietnam, ou celui du jeune Chou En Lai, ouvrier chez Renault et futur ministre des affaires étrangères de la Chine populaire.
Bifurquons sur la droite pour nous engager dans la rue improprement nommée Impasse Vallée. Au fond, un hôtel meublé accueillait des travailleurs et retraités émigrés sous l’aile protectrice de Rabah. La plupart venaient de son village, celui de l’écrivain Mouloud Mammeri, et certains étaient, sans papiers ni travail régulier, hébergés et nourris par pure bonté de l’hôtelier. Quand la solidarité sociale fait défaut, celle du village d’origine reprend le flambeau.
Rabah le généreux est aujourd’hui parti pour toujours et ses hôtes emportés par la bourrasque qui soufflait dans la rue et les dispersa. Puis, des Chinois sont venus de Chine donner ses étoiles à l’hôtel du 15, Impasse Vallée. Un monde disparaît... Un autre prend sa place !
Je quitte l’impasse avec la mémoire de ces lieux qui me remonte à la gorge. Des musiciens de fortune animaient les soirées de Ramadhan, où une vieille femme, la robe fleurie et les reins ceints d’une corde, s’agitait avec une frénésie et une foi à faire trembler le sol.
Un vieux musicien, virtuose du banjo et retiré alors de la scène, me confiait en aparté des épisodes magiques vécus au cours de soirées avec le magnifique Dahmane El Harrachi. Sa compagnie était agréable, ses récits savoureux comme ce soir d’été où nous sortîmes prendre le frais. Nos pas nous conduisirent naturellement à la rue des Châteaux rentiers plus arborée. Un peu plus loin, Il s’arrêta et se balança sur ses béquilles, en silence. Il estima longuement du regard, de bas en haut, un immeuble imposant.
_ « Avant, il y a longtemps, un hôtel, pareil à celui de l’impasse Vallée se dressait là. Nous étions des émigrés qui y louions des meublés. Et devine qui était parmi nous ?" Après un long silence,Il répondit à sa question :
_ « Kateb Yacine… C’est lui qui nous écrivait nos lettres pour la famille au pays ou pour l’administration d’ici. On lui confiait nos secrets en confiance. C’est simple, il nous connaissait par cœur ! ». Puis, il conclut, ému et fier : « C’était notre écrivain ! »
_ "Et Dahmane ?" lui dis-je.
_ "Dahmane était… Comment te dire ? Voyant ! Un jour, pour un public bien de chez nous, nous animions une soirée lui, le maître, au mandole et moi, à sa droite, au banjo. La chanson évoquait les anges quand soudain surgit dans la salle, une jeune européenne parmi les plus belle des filles du Seigneur Jésus Christ (« Sidna Aissa »). Elle était vêtue d’une robe légère et fleurie et d’escarpins haut-perchés… Elle venait là pour la première fois."
"Dès l’entrée, Dahmane, raccord avec le thème de la chanson, me dit : « Cet ange va se déchausser, monter sur la table et danser. » L’ange s’assit à une table et ne quitta plus des yeux l’orchestre. Arrive le mouvement « bérouali » où la chanson s’emballe et invite à la danse. "
La jeune fille se leva, se déchaussa, monta sur la chaise, grimpa sur la table et dansa ! Épaté, je lui dis : « Elle est sous ton charme, mon ami ! Tu fais danser les anges! » Il me répliqua : « Non, mon ami, moi, je m’occupe des anges du ciel et je te cède volontiers les anges sur terre ! »
Et mon compagnon de s’esclaffer à l’évocation des bons mots du maître qui soudain se trouvait bien vivant parmi nous, comme dans un doux… songe d’une nuit d’été !
AD
*Cette tirade est une réplique aux informations falsifiées et hommages scandaleux que le quotidien "le Parisien a publiés au lendemain de la manifestation anniversaire des « Gilets jaunes à la Place d'Italie. Voilà le lien vers cette manipulation éhontée de l’histoire :http://www.leparisien.fr/politique/gilets-jaunes-qui-est-le-marechal-juin-dont-le-monument-commemoratif-a-ete-degrade-17-11-2019-8194968.php