Un juif éploré suivait le riche corbillard du défunt Rockefeller. Il pleurait à chaudes larmes. Son voisin alerté, impressionné par un si grand chagrin, lui demande : « Est-ce que le défunt est de votre famille ? » A cela, l’homme répond, entre deux sanglots : « Justement non, et c’est pour ça que je pleure ! »
Vous êtes autorisé à rire, c’est de l’humour juif. Mais faites vite, c’est déjà interdit ! Vous êtes-vous un jour demandée pourquoi l’humour juif est… si drôle ? Non, vous êtes-vous un jour penchée sur ce mystère universel : le rire chez l’homme ? Dans quelle forge, dans quelle sombre grotte, sous quel terrible orage, le trait d’humour est-il né ?
Depuis le jour où l’homme apprivoisa le feu et dompta sa peur, son rire vola en éclats le libérant de ce qui le terrifiait jusque là. Le rire devait, depuis ce jour, être comme le youyou, cri de guerre et cri de joie, accompagnant l’homme à la bataille comme à la fête !
Tous ceux qui ont vécu l’effroi de la guerre ou la répression des dictatures, vous le confirmeront : jamais ils n’ont entendu autant d’histoires drôles, ni autant ri qu’au cours de ces sombres nuits où braver le couvre-feu valait la mort sans sommation. On ne manquait pas de dire sa prière ou sa profession de foi avant de dormir car la mort pouvait rafler dans le sommeil toute la maisonnée. Tous feux éteints, rassemblés dans la case, dans la baraque ou dans le gourbi, les histoires filaient et dans leur sillage se déroulait le rire des enfants et des vieillards. Le rire et le rêve ont irrigué, de toute éternité, les luttes de libération.
Quand j’imagine les camps d'extermination, je vois au fond d’une baraque, un musicien, sans violon, jouer un air tzigane entre les dents. Il me plait alors à songer à Robert Desnos, s’épouillant et claquant les poux entre les ongles de ses pouces, en égrenant sa poésie comme dans un rêve éveillé. Sur le seuil de la baraque un enfant, assis, frissonne et soudain s’esclaffe à la vue du capo glissant sur le verglas. Et puis, il y a tous les otages à fusiller qui vont à la mort en chantant. Ils auraient ri à gorge déployée s’ils avaient su qu’un jour le rire devrait être interdit.
Il me plait à songer que dans les sinistres geôles de Cayenne ou sur l’Île de Gorée, qu’au fond des cales des navires négriers ballottés sur l’Océan Atlantique, il se trouvait un M’bala M’bala pour distraire les galériens de leurs chaînes, de leur folle inquiétude et de leur incurable chagrin. Ne serait-ce pas aussi dans ces voyages irréversibles que le blues serait né pour accompagner hommes et femmes, déchus de leur humanité, vers l’enfer des plantations de cannes et de coton?
Là, le blues a soigné les blessures infligées à l’âme par l’humiliation permanente et entretenu la mémoire vive des chroniques de l’esclavage. Le blues a forgé la résistance muette et célébré les victoires arrachées à la gueule du caïman. Et si les femmes, comme les hommes, ne pouvaient retenir leurs larmes, elles les cachaient.
Le bourreau d’Alger témoigne, lui qui a coupé des centaines de têtes de militants condamnés à mort, sous Guy Mollet et François Mitterrand, qu’aucun d’eux ne s’est plaint face à la mort ni n’a exprimé de regrets au pied de la guillotine. Aucun ! Mais tous ont chanté l’hymne à la gloire de l’Algérie libre et indépendante. Ils étaient accompagnés à l’aube par les you-you des femmes de la Casbah comme s’ils allaient à leurs noces.
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