Pour mémoire:

Pho-bin-Gia, 21 mars 1895
Lettre du général Lyautey au commandant de Margerie**
«… J’ai fait couper aujourd’hui ma première tête. C’était un vieux pirate chinois, récidiviste et repincé ces jours-ci. Les renseignements de Girard el les miens se sont trouvés d’accord ; l’affaire était réglée et l'opération s'est faite à notre arrivée à 5 heures assez malproprement. Le Doï-lé fatigué, s’était fait suppléer et l’apprenti s’y est repris à sept fois. C’était de la très sale charcuterie. Je n'ai pas félicité l’opérateur mais je lui ai pris son couteau. Par exemple, le Chinois a été épatant, conforme à tout ce qu’on m’avait dis d’eux devant la mort. Pas un cri, pas une émotion, s’asseyant de lui-même au piquet et là, tandis qu’on achevait de trop longs préparatifs, racontant tranquillement toutes ses petites dispositions, comment il voulait être enterré, où , qui il fallait prévenir.
J’ai ce soir dans l’oreille, obsédante, le son de cette mélopée tranquille et douce, de cette litanie d’agonisant psalmodiée par l’homme même_ interrompue tout à coup par l’horrible chose ; il parait que je faisais une sale tête. Je ne m’en défends pas_ mais vraiment il faut leur être impitoyable et il n’y a pas un témoin thô qui n’exulte de cette tête qui tombe, au souvenir des affreuses misères endurées. »
*Extrait de "l’Anthologie amoureuse du colonialisme" par Abdenour Dzanouni, Editions La Belle Feuille (2012).
**Lettres du Tonkin et de Madagascar (1894-1899), Librairie Armand Colin (1921). Page170.