La communauté Emmaüs de la Halte-Saint-Jean est en grève depuis plus de 5 mois. Les compagnon.nes dénoncent un système d’exploitation basé sur le mirage d’une régularisation qui n’est jamais arrivée. Certain.es ont travaillé plusieurs années 40 heures par semaine, dans des conditions déplorables et pour une indemnisation ridicule. Le statut de compagnonnage prévoit d’être logé.e et nourri.e, plus un pécule de 250 à 300 euros qui n’est pas considéré comme une rémunération, puisque le ou la compagnon.ne n’est pas un.e travailleur.se salarié.e.
Depuis, une enquête a été ouverte pour traite d’êtres humains et travail dissimulé et trois autres communautés ont rejoint le mouvement de grève dénonçant des abus similaires : Grande-Synthe, Tourcoing et Nieppe. En fin d’été, les compagnon.nes de Grande-Synthe ont dû supporter plusieurs face à face avec la police, appelée à dégager le piquet de grève par la direction. Ceux de Tourcoing, en revanche, ont arrêté le mouvement de grève en octobre suite à la nomination d’une nouvelle direction et l’annonce d’un audit sur la communauté.
Emmaüs France a, de son côté, pris des mesures contre les directions des communautés de Saint-André et de Grande-Synthe, mais l’organisation nationale a également mis en avant son pouvoir limité vis-à-vis de l’autonomie des communautés. Entre temps, les compagnon.nes de Saint-André-lez-Lille qui ont initié le mouvement ont occupé leur bâtisse. Jeudi 23 novembre, la police est intervenue à la communauté pour mettre fin au piquet de grève qui se déroulait tous les jours sur le trottoir devant la bâtisse. La préfecture a parlé de “faire cesser des troubles à l’ordre public”. La CGT et le Comité Sans Papiers du Nord (CSP 59) ont dénoncé des violences policières.
La communauté de Nieppe, dernière arrivée dans le mouvement de grève, fait aussi face à une direction sourde aux revendications et qui a demandé l’intervention de la police.
Ci-dessous, des photos prises aux communautés de Saint-André-lez-Lille et de Tourcoing en septembre dernier
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Saint-André-lez-Lille est une ville pavillonnaire en banlieue de Lille. Dans un cadre plutôt tranquille, la communauté Emmaüs, couverte de banderoles, saute à l’œil. Ici les compagnon.nes qui ont commencé la grève des Emmaüs ont habité et travaillé, certain.es plusieurs années. Sur le trottoir devant la grande maison, un barnum rouge prêté par la CGT abrite une vingtaine de compagnon.nes. Un grand bruit se lève régulièrement du piquet, quand les compagnon.nes sonnent leurs tambours et entonnent des chants.
La directrice de la communauté, Anne Saigner, était également présidente du réseau de communautés Emmaüs du Nord-Pas-de-Calais. Lorsqu’elle a pis connaissance de l’enquête sur sa communauté et de l’article publié sur StreetPress, elle a organisé une manifestation pour soutenir la direction, devant la communauté. “C’était la goutte de trop, lance Alixe, porte-parole des compagnon.nes en grève. C’est une humiliation qu’on ne pouvait pas supporter, d’aller au travail et d’avoir ces gens qui nous huaient et qui criaient ‘Anne on est avec toi’.
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“Emmaüs, y en a marre, l’esclavage, c’est fini!” ou encore “Hier colonisés, aujourd’hui exploités, aujourd’hui, aujourd’hui régularisés.” Les compagnon.nes chantent et dansent au rythme de tambours plusieurs fois dans la journée, pour se faire entendre. Une mise en lumière qui fait le contrepoint à l’invisibilisation que subissent les sans-papiers dans tous les domaines de leurs vies.
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“On nous faisait travailler 40 heures par semaine, témoigne Happy, porte-parole des compagnon.nes de Saint-André. Pour 250-300 euros par mois, et ils nous prenaient le prix du loyer dans la paye !” Les compagnon.nes ont tenu plusieurs années en poursuivant le mirage d’une régularisation. Mais la Halte-Saint-Jean est l’une des rares communautés Emmaüs à ne pas avoir l’agrément de l’État pour les régularisations, l'OACAS (Organismes d'accueil communautaire et d'activités solidaires). Les compagnon.nes soutiennent d’avoir été escroqué.es : “Pourquoi aurais-je travaillé comme ça, sinon ? Évidemment que j’attendais une régularisation”, lâche Happy.
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Tourcoing est la troisième communauté à avoir rejoint la grève, fin août. La grève a été tout de suite très suivie au sein de la communauté. Les CDDI (CDD d’insertion), les salarié.es et les compagnon.nes ont formé un groupe uni. Peut-être grâce à cette solidarité, la grève a été la plus brève parmi celles des communautés Emmaüs et la direction a été changée dès le mois d’octobre, avec un audit externe lancé sur la communauté.
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Les grévistes de Tourcoing mettent en avant les mêmes problèmes qu’à Saint-André. “Pendant deux ans et demi, je n’ai entendu que des promesses, lance Achraf, porte-parole des compagnon.nes. J’ai cru qu’en France il n’y avait que des pâtes, parce qu’on nous donnait que ça” , dit-il, sarcastique. Le compagnon est diplômé en gestion de trésorerie, il vient du Maroc. À Emmaüs, il formait les responsables. “J’étais exploité pour former des salariés qui auraient gagné plus que moi. Si c’est une association qui fait ça, comment ils gèrent les autres boîtes qui ont juste le principe du profit ?”
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Les grévistes sont soutenu.es par la CGT et le CSP 59 à travers des manifestations, de la présence sur les piquets et de la mise à disposition de matériel, mais également à travers les caisses de grève. Sans cette participation, les compagnon.nes n’auraient pas de quoi se nourrir depuis le début de la grève.
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Les grévistes mettent en avant la condition de faiblesse dans laquelle iels sont plongé.es, qui les rends exploitables. Une des compagnon.nes, qui préfère rester anonyme, est en France depuis 4 ans. Ses demandes d’asile ont été refusées 2 fois, malgré le fait qu’elle vienne du Soudan, un pays en guerre, et que ses 3 enfants soient scolarisés en France. “Pour nous c’est une raison de vie, tranche Achraf, sérieux. On ne va pas lâcher parce qu’on ne peut pas vivre sans dignité."
Ce billet est paru dans la newsletter Saltafossi, à retrouver ici