C'est étrange d'entendre un corbeau croasser à la nuit tombée, voilà ta pensée en ce soir du 5ème jour d'enfermement involontaire.
Quand le corbeau est passé tu as eu envie de relire quelques poèmes de Cesare Pavese. Le hasard, ton meilleur allié et fidèle conseiller t'invite à la lecture d'un poème intitulé "Simplicité". Violence de la solitude. Désespérance de l'homme seul. Homme seul, ton hiver est notre hiver à travers ces vers résignés et tristes.
"L'homme seul - qui a été en prison - se retrouve en prison
toutes les fois qu'il mord dans un quignon de pain.
En prison il rêvait de lièvres qui détalent
sur le sol hivernal. Dans la brume d'hiver
l'homme vit entre des murs de rues, en buvant
de l'eau froide et en mordant dans un quignon de pain.
On croit qu'après la vie va renaître,
le souffle s'apaiser, et l'hiver revenir
avec l'odeur du vin dans le troquet bien chaud,
le bon feu, l'écurie, les dîners. On y croit,
tant que l'on est en taule, on y croit. Puis on sort un beau
soir
et les lièvres, c'est les autres qui les ont attrapés
et qui, en rigolant, les mangent bien au chaud.
On doit les regarder à travers les carreaux.
L'homme seul ose entrer pour boire un petit verre
quand vraiment il grelotte, et il contemple son vin :
son opaque couleur et sa lourde saveur.
Il mord dans son quignon, qui avait un goût de lièvre
en prison ; maintenant, il n'a plus goût de pain
ni de rien. Et le vin lui aussi n'a que le goût de brume.
L'homme seul pense aux champs, heureux
de les avoir labourés. Dans la salle déserte
il essaye de chanter à voix basse. Il revoit
le long du talus, la touffe de ronciers dénudés
qui était verte au mois d'août. Puis il siffle sa chienne.
Et le lièvre apparaît et ils cessent d'avoir froid."
Cesare Pavese
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