Au 6ème jour du confinement, un sentiment d’étrangeté flotte avec intensité. Et le printemps a fait demi-tour, lassé lui aussi de ce monde malveillant.
Pendant que tu t'affaires à combler le quotidien de milliers de petits gestes de rien, quelque part dans un recoin la poésie attend, se tapit dans un coin de lumière. La poésie de Cesare Pavese se nourrit indifféremment des ombres.
"Caché par les volets, l’enfant respire au frais,
tout en fixant la rue. Par la fente lumineuse,
on voit les pavés sous le soleil. Personne ne marche
dans la rue. L’enfant voudrait sortir tout nu
la rue est à tout le monde et se perdre au soleil.
C’est interdit en ville. Mais pas à la campagne,
s’il n’y avait au-dessus de la tête la profondeur du ciel
qui atterre et déprime. Il y a l’herbe froide
qui chatouille les pieds, mais les arbres au regard
immobile, les troncs et les buissons sont autant d’yeux sévères
pour un corps blême et faible, qui frissonne.
Même l’herbe est étrange et la toucher répugne.
Mais la rue est déserte. Si quelqu'un y passait,
depuis l’ombre l’enfant oserait le fixer
et se dire que tous dissimulent un corps.
C’est un cheval qui passe, ses muscles sont saillants,
et les pavés résonnent. Cela fait très longtemps
que le cheval s’en va, tout nu et sans pudeur, au soleil :
au point même qu’il marche au milieu de la rue. L’enfant
aimerait être fort et bronzé comme lui, et tirer
au besoin sa charrette : alors, il oserait se montrer.
Puisque l’on a un corps, il faut bien qu’on le voie. L’enfant
se demande si tout le monde a un corps. Le petit vieux ridé
qui passait ce matin ne peut avoir un corps
à ce point triste et pâle, il ne peut rien avoir
qui soit si déprimant. Et même les adultes
ou les mères qui donnent le sein au nouveau-né,
ne sont pas non plus nus. Seulement les enfants ont un corps.
L’enfant n’ose pas se regarder dans l’ombre,
et pourtant il sait bien que pour devenir homme
il devra se perdre dans le soleil et se faire aux regards du ciel."
Cesare Pavese