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Billet de blog 28 octobre 2012

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Enseignants contractuels: les pompiers silencieux de «l’école de l’égalité»

Trois mois. Cela fait trois mois que je n’ai pas touché le moindre salaire. Tout le monde semble s’être résolu à accepter une situation devenue monnaie courante pour les précaires de l’éducation nationale. Ces sans grades, oubliés du débat sur la refondation de l’école.

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Trois mois. Cela fait trois mois que je n’ai pas touché le moindre salaire. Tout le monde semble s’être résolu à accepter une situation devenue monnaie courante pour les précaires de l’éducation nationale. Ces sans grades, oubliés du débat sur la refondation de l’école.

Pompiers invisibles et inaudibles du système.

Titulaire d’une maîtrise d’histoire, j’ai eu durant mon parcours à subir trois échecs au concours de recrutement des enseignants du second degré (Capes). Sur ces trois échecs, deux l’ont été lors de l’épreuve orale d’admission, une fois parvenu sur le seuil de la porte ouvrant au métier d’enseignant.

De ces échecs, j’ai gardé une profonde amertume envers ce système de recrutement qui m’apparaît bien éloigné des réalités du métier auquel il ouvre. J’ai hérité aussi d’un sentiment de culpabilité au moment d’effectuer mes premiers remplacements en tant que vacataire : un peu comme si, ayant vu la grande porte me claquer dans le visage, j’avais choisi de défoncer la fenêtre pour entrer par effraction.

Le système sait jouer de cette situation et s’en nourrit : reclassé du concours, je suis aujourd’hui appelé à jouer les pompiers du système. Le ministre Vincent Peillon l’a dit, en attendant l’ouverture de postes, il faudra puiser dans ce vivier. Et ce ne sont pas les postes promis qui vont mettre fin à ce recours de plus en plus massif aux « non tit’ ». 

Je disais donc que je suis entré dans le milieu de l’enseignement par la fenêtre. Mais, loin de devoir la briser, il m’a suffit de toquer timidement au carreau pour qu’elle s’ouvre en grand. Conscient qu’il fallait que je fasse des sacrifices pour entrer dans ce milieu, j’ai enchaîné les remplacements dans des conditions souvent difficiles. Mes trois premières expériences l’ont été dans des établissements distants de plus de 100 km de mon lieu de résidence, ce qui m’obligeait à louer une chambre sur mon lieu de travail (en plus de mon loyer à l’année). De mon salaire de 1300 euros nets, il fallait que je soustraie environ 200 euros pour me loger, puis au minimum 150 euros pour faire les aller-retour en train les week-end. Cela ne faisait pas cher payé les nombreuses heures de cours et de préparation… mais je ne m’en suis jamais plaint car je pensais que c’était le prix à payer en attendant que ma situation ne s’améliore. 

Taillables et corvéables à merci.  

Je n’ai pas pour habitude de pleurer sur mon sort, qui est bien plus enviable que beaucoup d’autres. Mais ces trois mois sans salaire me mettent hors de moi.

Être enseignant non titulaire, c’est accepter d’être taillable et corvéable sans jamais attendre la moindre reconnaissance en retour… C’est accepter par exemple de ne pas être payé pour effectuer un certain nombre de tâches inhérentes à ce métier (assister aux conseils de classe, corriger des épreuves d’examen…). C’est, parfois, apprendre la veille de l’échéance que son contrat se termine, et devoir partir sans même avoir dit au revoir aux élèves avec lesquels on a travaillé pendant des semaines, voire des mois. C’est aussi s’asseoir, parfois (et cela m’est arrivé) sur des heures de travail car on a malencontreusement dépassé le quota affecté à l'établissement. C’est accepter de toucher le chômage durant les deux mois d’été, mais que ces indemnités ne soient pas versées avant septembre ou octobre (pour ma part, au 27 octobre, je n’en ai encore pas vu la couleur).

C’est accepter, toujours, d’apprendre deux jours avant l’entrée en fonction quelles seront les classes qui se présenteront à nous et d’entamer alors un marathon de plusieurs semaines (jusqu’aux vacances suivantes) durant lequel on préparera des cours au jour le jour. C’est accepter cette fatigue, ce stress, qui jouent souvent sur la relation avec les élèves... Bref, être enseignant contractuel c’est accepter d’avaler beaucoup de couleuvres, de sauter beaucoup d’obstacles, avec pour seule motivation la possibilité de faire ce métier passionnant.

Alors, à l’heure où la « crise des vocations » dans l’enseignement est sur toutes les lèvres, pourquoi aucune parole ne porte sur ce « vivier » des enseignants contractuels (comme l’a qualifié le ministre Vincent Peillon). De l’énergie et de la motivation, il y en a pourtant à revendre par ici. Des compétences acquises par l’expérience également. Combien de temps faudra-t-il attendre pour que cessent les abus les concernant ? Par ailleurs, est-il illégitime de penser à une régularisation des précaires qui ont répondu convenablement à leurs missions depuis des années ? Dans un système où l’on nous abreuve de méritocratie, les contractuels sont oubliés. Invisibles et inaudibles. Jusqu’à quand ?

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